Quelles inégalités sont compatibles avec les différentes conceptions de la justice sociale ?
Synthèse
Déroulé du chapitre :
Question 1. Les inégalités économiques et sociales et leur évolution
Question 2. Les principaux outils de mesure des inégalités
Question 3. Les différentes conceptions de la justice sociale
Question 4. L’action des pouvoirs publics en matière de justice sociale
La mise en place de politiques en faveur d’une plus grande justice sociale suppose, au préalable, de définir clairement ce qui est accepté par tous comme une répartition « juste » des richesses dans la société. Le principe d’égalité est au fondement de toutes les conceptions de la justice sociale ; mais ce principe recouvre plusieurs dimensions parfois contradictoires. La question est donc de savoir quelles inégalités sont acceptées et jugées acceptables par les différentes conceptions de la justice sociale.
1. Les différentes formes d’égalité et les principes qui les fondent
L’égalité désigne l’équivalence, ou du moins la similitude, des ressources possédées, des statuts occupés, ou des conditions possibles, entre individus ou groupes sociaux. Cette définition, très large, englobe plusieurs dimensions possibles du concept d’égalité, en fonction des objectifs recherchés.
1.1. Le principe d’égalité, au fondement des sociétés démocratiques : égalité des droits, égalité des chances et égalité des positions
L’égalité des droits est l’un des fondements des régimes politiques démocratiques. L’égalité des droits n’est jamais entièrement acquise et il s’agit d’un principe de justice qui guide, encore aujourd’hui, les choix opérés en matière de politiques sociales. (document 1).
Pour Alexis de Tocqueville (1805-1859), les sociétés démocratiques se caractérisent par l’existence d’une égalité des positions. Contrairement à ce qui prévaut dans les sociétés aristocratiques de l’Ancien régime, dans les sociétés démocratiques, les valets peuvent devenir maîtres, et les maîtres peuvent devenir valets. L’égalité des positions n’est possible que si les individus ont les mêmes possibilités que quiconque d’accéder à n’importe quelle position sociale : Alexis de Tocqueville théorise ainsi ce que l’on appelle l’égalité des chances (document 2).
1.2. Le principe d’égalité dans les sociétés contemporaines : entre égalité des chances et égalité des situations
L’égalité des situations et l’égalité des chances sont deux modèles d’égalité distincts qui portent deux conceptions opposées de la justice sociale. L’égalité des situations a pour objectif le rapprochement des conditions économiques et sociales entre individus. Les politiques de justice sociale peuvent aussi s’attacher à « donner à tous les individus les mêmes chances de s’élever dans la société et de réaliser leurs ambitions et leurs projets » : il s’agit d’un objectif d’égalité des chances. Les politiques se concentrent alors sur la lutte contre les discriminations, car ces dernières empêchent les individus issus des minorités d’être récompensés pour les efforts individuels fournis. (document 3). Si l’on s’intéresse à la manière dont les individus définissent aujourd’hui le juste ou l’injuste, il ressort des enquêtes que les Français adhèrent à des critères de justice multiples, hiérarchisés selon l’ordre suivant : la satisfaction des besoins de base pour tous, la reconnaissance du mérite de chacun, et la réduction des inégalités économiques. L’égalité des chances est considérée comme prioritaire sur l’égalité des situations ; les individus considèrent que chacun doit être rémunéré selon son mérite. Pour cela, il convient de corriger les inégalités que subissent des personnes ou des groupes défavorisés : il s’agit du principe d’équité. (document 4).
2. Qu’est-ce qui est considéré comme juste par les différentes conceptions de la justice sociale ?
La justice sociale est une construction morale et politique, ce qui signifie que les membres d’une société s’accordent sur certains principes de justice, acceptés par tous et qui orientent l’action politique. Il existe plusieurs conceptions de la justice sociale, qui diffèrent notamment selon le degré d’inégalités qu’elles jugent acceptables :
2.1. L’utilitarisme et le libertarisme considèrent que les inégalités de situations sont acceptables
L’utilitarisme est une conception de la justice sociale issue d’une doctrine philosophique, fondée par Jeremy Bentham (1748-1832) et qui s’est développée à la fin du XVIIIème siècle. Cette doctrine propose un modèle de justice sociale où le choix le plus juste est celui qui maximise la somme des bonheurs individuels de la société. Or, pour un même niveau de bien-être, plusieurs distributions sont possibles : dans l’absolu, le bien-être collectif peut atteindre son niveau maximal, tout en ne procurant du bien-être qu’à un seul individu. Les inégalités économiques et sociales sont donc acceptées par les utilitaristes (document 5). Pour de toutes autres raisons, le courant du libertarisme justifie également l’existence d’inégalités de situations entre les individus. Selon Robert Nozick, il est impossible de demander à un individu de supporter un quelconque coût au prétexte d’apporter un bénéfice à d’autres individus, car cela constitue une atteinte à ses libertés individuelles et au droit de propriété privée (document 6). Le libertarisme considère également que l’égalité des chances constitue une atteinte à l’égalité devant la loi.
2.2. L’égalitarisme libéral tente de concilier égalité des chances et égalité des situations
L’égalitarisme libéral est une doctrine développée par John Rawls (1921-2002), dans l’ouvrage Théorie de la justice sociale (1971), afin d’essayer deux concilier deux des principes des sociétés démocratiques souvent considérés comme incompatibles : la liberté et l’égalité. La conception de l’égalitarisme libéral repose sur deux principes fondamentaux : le « principe de liberté », selon lequel les libertés individuelles de tous les individus doivent être garanties ; le « principe de différence », selon lequel certaines inégalités socio-économiques peuvent être tolérées dans une société juste, à condition que ces inégalités puissent permettre d’améliorer le sort des plus démunis, et à condition que l’égalité des chances soit respectée. (document 7).
2.3. L’égalitarisme strict considère que les inégalités sont fondamentalement injustes
Cette conception de la justice sociale implique une égalité des résultats et des traitements entre les individus. L’égalitarisme prône le rapprochement des situations socio-économiques des individus dans la société ; en ce sens, il s’agit d’une conception de la justice sociale qui met l’accent sur l’égalité des situations pour guider les décisions politiques. L’égalitarisme strict considère que l’égalité des droits n’est que formelle et que, appliquée à un système inégalitaire, elle permet de légitimer et reproduire les inégalités déjà en place (document 8). Il faut donc chercher à atteindre une égalité des situations, seule forme d’égalité qui permet réellement l’existence d’une société juste. L’égalité des situations permet en effet d’améliorer la cohésion sociale et la solidarité. Elle permet également de renforcer l’égalité des chances, en resserrant la hiérarchie des positions sociales (document 9).