Définition
Chaque état disposant généralement de sa propre monnaie, les échanges internationaux de biens et services nécessitent des opérations de conversion entre monnaies (lorsque les monnaies sont convertibles). Le taux de change représente le prix d'une monnaie par rapport à une autre. Il implique donc toujours deux monnaies, autrement dit deux économies en interaction.
Il peut être fixé de manière institutionnelle ou résulter du libre jeu sur le marché. Dans le premier cas, les autorités politiques déterminent les taux de changes officiels et interviennent sur le marché des changes afin de maintenir le niveau choisi, avec plus ou moins de succès. Dans le second, la parité dépend des achats et des ventes de devises sur le marché : typiquement, plus la monnaie est demandée, plus son cours monte.
Le plus souvent, le régime de change est de type intermédiaire : le marché joue un rôle prépondérant, mais rares sont les autorités monétaires qui se désintéressent totalement de la valeur de leur monnaie. L'intervention régulière des banques centrales sur le marché monétaire vise à agir sur les cours et on parle dans ce cas de flottement impur.
Analyse
Dynamique et transition
Bien qu'une majorité de pays soient encore aujourd'hui dotés d'un régime de change plus ou moins fixe, ceux qui ont opté pour la flexibilité, tels le Brésil, le Chili, Israël et la Pologne, ont vu leur nombre augmenter ces dix dernières années et il est probable que cette tendance va se poursuivre. C'est une tendance globalement positive, pour plusieurs raisons. Nous n'en mentionnerons que trois :
1. Il est vrai que l'ajustement face à des chocs asymétriques durables peut tout à fait s'opérer de façon optimale en changes fixes, en Union monétaire ou dans un régime d'étalon-or mais… si les salaires réels sont très flexibles. Dans l'environnement contemporain, caractérisé par l'existence de marchés du travail rigides, la flexibilité du taux de change permet de réaliser cet ajustement avec plus de souplesse. Citons Milton Friedman :"Pourquoi ne pas laisser à un prix unique (le taux de change), très flexible celui-là, le soin de procéder à l'ajustement au lieu de multiplier les modifications de prix internes avec tout ce que cela implique comme contrainte et effets marginaux ? Pourquoi ne pas laisser le chien remuer la queue au lieu de laisser la queue remuer le chien ?". C'est également le sens de la citation de Paul Reynaud vue plus haut, quoique dans un contexte monétaire différent.
2. La stabilisation macroéconomique est surtout assurée, de nos jours, par la politique monétaire (cf. le dossier de politique monétaire, disponible sur ce site), et cette dernière ne peut pas être pleinement opérante (dans un contexte de mobilité des capitaux) si le taux de change nominal est fixe (cf. le triangle d'impossibilité mis en avant par Mundell). Par conséquent, la flexibilité des changes dispose d'un véritable avantage sur la fixité en termes d'autonomie. Et l'on a vu, lors des crises du SME du début des années 1990, l'importance de cet argument. Désormais, ceux qui défendent la fixité se placent, le plus souvent, dans le cadre de zones régionales de changes fixes ou d'Unions monétaires, mais cela suppose une intégration commerciale et politique importante.
3. Un autre argument, moins souvent avancé, est qu'il est essentiel que les pays se dotent d'un marché des changes profond et liquide en vue de la découverte et de la détermination du prix des monnaies, c'est-à-dire du taux de change. Dans la plupart des pays en développement et des pays émergents, le marché des changes est étroit et ne fonctionne pas bien, en partie à cause des nombreuses réglementations dont il fait l'objet. La rigidité des parités empêche elle aussi le développement du marché des changes parce que les intervenants n'ont pas vraiment de raison de chercher à interpréter les tendances des taux de change, de prendre des positions, ou de gérer les risques. De plus, la banque centrale est généralement obligée de participer activement au marché, ce qui limite les opérations interbancaires. Quelles mesures un pays peut-il prendre pour développer son marché des changes et le rendre plus efficace ? Avant toute chose, il doit introduire une certaine souplesse dans son régime de change. Lorsque le taux de change commence à fluctuer, même légèrement, cela incite rapidement les opérateurs à s'informer, à estimer le prix des différentes monnaies et à gérer les risques de change.
Pourtant, de nombreux pays hésitent encore à laisser flotter leur monnaie par crainte de fluctuations excessives et aussi de peur de moins bien réussir à maîtriser les anticipations inflationnistes. C'est particulièrement vrai des pays dont les bilans bancaires sont exposés au risque de change et où la transmission de l'inflation par le biais du taux de change est plus importante)
Ils s'inquiètent également de la façon dont ils vont sortir du régime de change fixe, car ils savent qu'une sortie ordonnée exige de bien se préparer, d'agir au bon moment et de pouvoir prendre appui sur un cadre macroéconomique solide. En fait, dans la majorité des cas, les pays qui ont abandonné la parité fixe pour laisser flotter leur monnaie y ont été poussés par une situation de crise.
Sortie ordonnée ou due à une situation de crise ?
Source : Karacadag, Duttagupta Fernandez et Ishii (2004).
Selon le FMI, quelques mesures peuvent aider à réaliser une transition douce vers les changes flexibles :
1. Limiter le rôle de "teneur de marché " que joue la banque centrale au détriment des autres contrepartistes. Il vaudrait mieux qu'elle réduise le plus possible ses opérations avec les banques et renonce à exercer une influence sur les prix. Ainsi, en Turquie, la banque centrale s'est graduellement retirée du marché début 2001, ce qui a obligé les autres opérateurs à traiter entre eux.
2. Éliminer progressivement les réglementations qui restreignent l'activité du marché, telles que l'obligation de rétrocéder les recettes en devises à la banque centrale, les taxes et surtaxes sur les opérations de change et les restrictions imposées aux transactions interbancaires. Il faut aussi unifier les marchés des changes et assouplir les restrictions qui pèsent sur certains mouvements de capitaux.
3. Développer l'information sur l'origine et l'emploi des devises et sur les tendances de la balance des paiements afin de permettre aux participants de se faire une bonne idée du comportement du taux de change et de l'orientation future de la politique monétaire, et d'estimer correctement le prix des devises.
4. Favoriser la mise au point d'instruments destinés à couvrir le risque de change en levant les contrôles sur les opérations à terme dès que les établissements financiers sont en mesure de gérer correctement les risques.
5. Une politique d'intervention transparente a elle aussi son utilité. Ainsi, de nombreux pays qui ont affirmé leur volonté de laisser le marché déterminer leur taux de change, notamment les Philippines et la Turquie, ont clairement indiqué qu'ils n'interviendraient pas pour contrôler le cours de la monnaie. En matière d'intervention, l'engagement des autorités sur certains objectifs déclarés permet au marché de surveiller de près les opérations de change de la banque centrale, et à celle-ci d'en rendre compte. Exposer publiquement sa politique d'intervention, comme le font l'Australie et la Suède, et les raisons qui peuvent la motiver, constitue un bon exemple de transparence. Les interventions ne sont pas toujours efficaces quand il s'agit d'agir sur le taux de change ou de réduire sa volatilité, comme on a pu le constater au Chili, au Mexique et en Turquie ; en fait, elles ne font souvent qu'accroître l'instabilité du taux.
La grande question de la transition vers des changes plus flexibles est la suivante : quand libéraliser les flux de capitaux ? Toute la difficulté consiste à déterminer s'il convient de libéraliser avant ou après l'assouplissement du régime de change. L'expérience des marchés émergents ces dernières années souligne les risques qu'il peut y avoir à opter pour la première solution. Beaucoup de pays qui avaient fait ce choix ont en effet été contraints d'abandonner leur système de change fixe après un brusque revirement des flux de capitaux (le Mexique à la fin de 1994, la Thaïlande en juillet 1997 et le Brésil au début de 1999). Ailleurs, les entrées massives de capitaux et les tensions à la hausse qui en ont résulté sur la parité fixe ont obligé les autorités à assouplir le taux de change afin d'éviter la surchauffe de l'économie (Chili et Pologne dans les années 90). Ainsi, même dans un contexte économique favorable, libéraliser les flux de capitaux avant d'assurer la flexibilité du taux de change peut déstabiliser la situation de liquidité intérieure, créer des déséquilibres macroéconomiques et précipiter les attaques spéculatives. C'est désormais la position du FMI, qui militait autrefois pour une libéralisation plus précoce des flux de capitaux.
Conclusions
1. Autrefois, le taux de change était la variable d'équilibre de la balance des paiements, les opérations de biens et services déterminaient les cours. C'était dans un contexte d'économies fermées (on dit aussi insulaires) et de faible mobilité du capital. Aujourd'hui, il résulte surtout d'arbitrages de portefeuilles d'actifs, c'est une variable d'équilibre des marchés internationaux de capitaux. Ce changement de nature n'est pas pour rien dans l'évolution des régimes de change.
2. Le régime de change optimal n'est sans doute pas le même pour tous les pays : cela dépend, entre autres facteurs, du taux d'ouverture, et donc de la taille du pays, et des répercussions du taux de change sur l'inflation interne. On peut néanmoins se ranger à l'avis de Robert Rubin, ancien secrétaire américain au Trésor (administration Clinton) : les changes flottants constituent le pire des systèmes, à l'exception de tous las autres.
Par exemple, les variations de change sont-elles à l'origine des crises ou au contraire, de façon beaucoup plus probable, le fait de vouloir les contenir provoque-t-il des "reports de volatilité " ? On sait qu'en 1987 la gestion concertée des taux de change nominaux, qui avait pour but d'atténuer les fluctuations des devises, n'est pas pour rien dans la chute du prix des actifs enregistrée à la fin de cette même année ; plus largement, la volatilité peut être reportée des taux de change vers les taux d'intérêt, dont les fluctuations entraînent des pertes de bien-être nettement plus importantes (cf. Reinhart, 2002).
3. Le pire est sans doute de ne pas choisir entre flottement et fixité, car l'application partielle d'une norme de comportement est susceptible d'éloigner de l'optimum plutôt que d'en rapprocher (cf. le discours du FMI sur les "corner solutions " et le "vanishing intermediate " ; voir aussi la faillite des différents systèmes de crawling peg, au Mexique, en Asie, au Brésil…).
4. L'idée répandue selon laquelle la volatilité du taux de change nominal peut entraîner des coûts économiques réels (entraver le commerce et les investissements directs étrangers, par exemple) n'a jamais pu être confirmée par les études empiriques. L'instabilité de court terme n'est pas aussi problématique qu'on le dit souvent, surtout depuis l'essor des instruments de couverture face au risque de change. Le problème, ce sont les mésalignements de changes réels, qui peuvent conduire à une mauvaise allocation des ressources. L'instabilité des taux de changes nominaux et réels ne traduit pas seulement l'ajustement optimal d'un système de changes flexibles face à des chocs asymétriques mais résulte également de la conduite de politiques macroéconomiques discrétionnaires, inadaptées et incohérentes dans un environnement caractérisé par une mobilité croissante des capitaux ; de ce fait, une stabilisation ne peut se fonder sur la remise en cause de la flexibilité des taux de change ou de la mobilité du capital mais sur la conduite de politiques macroéconomiques plus crédibles accompagnées de stratégies concertées visant à limiter les mésalignements de changes réels.
Annexe
Les régimes de change dans le monde évoluent plutôt vers la convertibilité limitée.
Classification des régimes de change
Evolution par groupes de pays, 1940–2001
(en % des observations annuelles pour chaque groupe)
Source : Kenneth S. Rogoff, Aasim M. Husain, Ashoka Mody, Robin Brooks, et Nienke Oomes (2003), "Evolution and Performance of Exchange Rate Regimes", FMI, Working Paper WP/03/243