Real Business Cycles (RBC) ou Cycles d'affaires réels

Définition

Selon les théories des Real Business Cycles (RBC), les cycles sont engendrés par les réponses (optimales) des agents à des chocs réels, essentiellement des chocs technologiques. Ces auteurs nient l'existence des trends (les tendances générales de l'activité). Selon eux, les chocs (de demande, et surtout d'offre) que connaissent les économies ont des effets permanents, et non temporaires, de sorte qu'on ne revient pas après le cycle sur la trajectoire de long terme qui le précédait. La croissance serait ainsi une marche aléatoire (random walk) dont on ne pourrait prédire le sentier.

Analyse

Dans les années 1970, l'approche keynésienne a été remise en cause par les théories de la nouvelle macroéconomie classique. S'inspirant du programme de recherche élaboré par Lucas, c'est à dire dans un cadre de concurrence parfaite avec anticipations rationnelles, des modèles mettent à nouveau les fluctuations économiques au cœur du débat théorique.

Le socle théorique des RBC apparaît proche de la perspective néoclassique : il s'agit de construire des modèles d'équilibre général dans une économie sans rigidités. Il se rapproche également du programme de Lucas, les RBC reprennent l'idée qu'il est intéressant de disposer de petits modèles, aisément simulables. Selon le projet initial, les modèles macroéconomiques doivent être capables de reproduire les principaux faits stylisés, sans qu'il soit nécessaire d'introduire des défauts de coordination, une rigidité des prix (à l'instar des néo-keynésiens) ou encore des chocs monétaires.

Deux articles sont considérés comme fondateurs du courant : Kydland et Prescott (1982) et De Long et Plosser (1983). On peut également se référer à King, Plosser et Rebelo (1988) pour un exposé du modèle "canonique" des RBC.

Des cycles aux chocs

Ces auteurs se démarquent des néoclassiques traditionnels en étudiant spécifiquement les fluctuations. Ils se démarquent néanmoins du modèle de Lucas où la source des fluctuations réside dans les variations aléatoires et non anticipées du stock de monnaie.

Dans ce modèle, les variations aléatoires sont celles du progrès technique. Ils expliquent 70% des fluctuations de l'activité aux Etats-Unis depuis 1945 selon Prescott. Les autres chocs viennent des changements sectoriels et des modifications des arbitrages intertemporels des agents.

L'effet de ces chocs est prépondérant sur le sentier de croissance. Avec un modèle RBC standard, l'effet d'un choc ne décline que de 5% par trimestre ; cela implique que le choc a encore la moitié de sa puissance trois ans et demi après son déclenchement. Ainsi, une récession forte à une date donnée est susceptible d'entraîner une baisse permanente, dans le futur, de la production. Par exemple, après la forte récession de 1973-1975, l'économie américaine n'a pas retrouvé son sentier de croissance de 1947-1973. Nelson et Plosser soutiennent que les cycles sont moins des fluctuations de la croissance par rapport à son trend que des fluctuations du trend lui-même. On est loin de Kondratieff, Juglar etc.

Tous ces chocs ne sont pas coûteux socialement car les agents y répondent de façon approximativement optimale. Ainsi, en cas de choc technologique positif affectant la productivité des facteurs, le produit augmente. Le ménage arbitre entre un comportement lié à l'effet richesse induit, qui l'incite à consommer plus et à moins travailler, et un comportement lié à l'effet de substitution intertemporelle qui le pousse au contraire à investir et à travailler aujourd'hui pour consommer plus et moins travailler dans le futur. Par ailleurs, le ménage arbitre aussi selon sa préférence entre la consommation et le loisir à une date donnée.

Pour résumer ces mécanismes de propagation, avec un choc technologique positif sur la productivité globale des facteurs, le travail et l'investissement augmentent, le loisir et la consommation diminuent ; les effets de substitution sont dominants.

Implications de politique économique

Si, dans le cadre du fonctionnement normal des économies de marché, la demande et l'offre agrégées sont toujours égales et en équilibre, on n'a que faire d'une politique budgétaire ou d'une politique monétaire : Finn Kydland, Edward Prescott et Robert Lucas furent certainement, avec Robert King et Charles Plosser, ceux qui sont allés le plus loin dans la contestation des politiques de stabilisation conjoncturelle. Alors que ces dernières sont simplement inefficaces et/ou nocives pour les théoriciens de l'offre, elles n'ont le plus souvent aucun sens pour les partisans des RBC. De toutes façons, pour ces derniers, les chocs ne sont pas coûteux en bien-être.

La théorie part en effet d'une description de l'économie fondée sur les demandes d'un unique consommateur représentatif qui maximise une fonction d'utilité sous un ensemble de contraintes perçues. Dans les premières versions, ces contraintes étaient telles que les modèles n'admettaient qu'un seul équilibre, celui appelé équilibre d'anticipations rationnelles. Évidemment, dans une telle économie, les politiques macroéconomiques n'avaient pas grand chose à faire. La théorie a été amendée et on y a introduit des imperfections, tant du côté des marchés que du côté de l'information, ce qui a permis de lui donner des apparences plus réalistes. Cela n'a pourtant pas suffit à rendre les politiques conjoncturelles plus souhaitables. La seule chose que les autorités doivent faire c'est d'aplanir le terrain (fiscal, réglementaire,…) pour encourager les gains de productivité ; elles ne doivent surtout pas chercher à lisser ou stabiliser l'activité.

A l'intérieur des modèles RBC

Les premiers modèles RBC sont construits à partir du concept d'agent représentatif avec des comportements d'optimisation intertemporelle en concurrence parfaite. Ils reposent sur le calibrage d'un nombre restreint de paramètres. La flexibilité des prix, l'hypothèse de marchés complets et concurrentiels, ainsi que l'absence d'externalités assurent que l'équilibre est un optimum social. Le modèle RBC standard est donc analogue au modèle de croissance néoclassique. Ce qui est nouveau, c'est l'exploitation que les RBC ont faite des propriétés du modèle néoclassique dans l'interprétation des fluctuations. Les fluctuations sont perçues comme les déviations par rapport au sentier stationnaire sous l'effet de chocs technologiques exogènes, c'est-à-dire de perturbations exogènes sur le résidu de Solow. La propagation des chocs et les propriétés cycliques du modèle résultent des réactions individuelles des agents à des chocs technologiques. Dans les modèles RBC, les fluctuations s'inscrivent dans le comportement d'optimisation des agents.

Les modèles RBC sont de petits modèles, très compacts, qui correspondent à un nombre minimal d'hypothèses ainsi qu'à un nombre restreint de paramètres structurels. L'évaluation de ces paramètres ne s'effectue pas via les techniques d'estimation économétriques traditionnelles mais par calibrage. Une des limites importantes de cette technique tient à l'absence de toute mesure de l'incertitude entourant les paramètres. Cette faiblesse s'est estompée avec le temps mais la méthode de validation proposée par le courant RBC reste originale ; elle rend la comparaison difficile avec les performances d'autres courants puisqu'on ne peut tester un type de modèle contre un autre.*

Les prévisions et l'analyse des politiques économiques étant l'une des utilisations naturelles des modèles macroéconomique, une question importante est d'évaluer l'apport de la théorie RBC dans ces domaines. Il ne s'agit pas de modèles "généralistes", au sens des modèles macroéconomiques traditionnels avec leurs centaines d'équations. Il est par ailleurs impossible de se servir de ces modèles à des fins de prévision au sens où on l'entend habituellement. Les scénarios étudiés ne peuvent être "calés" sur la conjoncture récente et restent donc assez théoriques, même s'ils visent à représenter le comportement stylisé de l'économie.

Critiques

C'est un euphémisme de dire que le courant des RBC dérange ; il a été très mal accueilli par la "vieille garde", quelle soit keynésienne (Tobin, Malinvaud, Solow…), néo-keynésienne ou monétariste (Friedman le conteste pour son manque de validation empirique). Les plus virulentes attaques viennent des économètres travaillant sur les modèles macroéconomiques traditionnels, habitués à accorder un grand rôle aux questions monétaires et qui rejettent à la fois les liens micro/macro, les anticipations rationnelles, la méthode de calibrage (une "régression caractérisée" selon Bernard Guerrien), l'hypothèse de l'agent unique, etc. La raison de cette opposition peut être résumée par un mot de Summers (1986) : "si ces théories sont correctes, la macroéconomie développée dans le sillage de la révolution keynésienne sera bientôt reléguée aux oubliettes de l'histoire".

  1. Une question de méthode

Les critiques de Solow (2002) sont assez représentatives : "(…) J'ai fondé ma critique de la théorie du cycle réel sur l'argument d'irréalisme des hypothèses. Mais ne nous a-t-on pas enseigné qu'une théorie doit être jugée à l'aune de ses implications, et non de ses hypothèses ? Il me semble que ce dogme est l'une des plus regrettables contributions de Milton Friedman à l'analyse économique (…). Je pense que les modèles de type Lucas-Prescott n'ont eu aucune espèce de validation empirique sur données américaines. L'une des raisons de cet état de fait tient à ce que les "tests" empiriques auxquels sont habituellement soumis ces modèles sont intrinsèquement faibles : les principaux paramètres sont, en effet, généralement "calibrés" ; puis on nous montre que le modèle peut reproduire de manière raisonnablement satisfaisante certaines des variances et covariances relatives caractéristiques des séries temporelles observées. Cette procédure de validation me semble être un obstacle bien facile à franchir pour un modèle qui a des prétentions empiriques. On peut, notamment, se demander s'il n'existe pas des dizaines de modèles pouvant passer ce test avec un aussi grand succès apparent, ce qui rendrait la valeur de l'épreuve négligeable. Ces modalités de validation (de même, je le crains, que bon nombre de travaux empiriques en économie) ne semblent pas se soucier de la puissance et du pouvoir discriminant des tests, alors que c'est précisément ce qui devrait importer dans le cas présent : lorsqu'il s'agit de choisir entre différentes théories ayant un pouvoir explicatif comparable, il ne semblerait pas aberrant de prêter attention au réalisme des hypothèses et au caractère plus ou moins plausible des comportements. Bref, je ne pense pas que quiconque puisse affirmer que ces modèles fonctionnent tellement bien qu'ils doivent être acceptés". La réponse d'Edward Prescott mérite un peu d'attention : "My guess is that the reason for skepticism is not the methods used, but rather the unexpected nature of the findings" (FED de Minnéapolis, 1986).

  1. Le caractère aléatoire du progrès technique et son caractère exogène

Une autre source de questionnement émis à l'encontre de la modélisation RBC provient du fait que les conclusions reposent sur les fluctuations de la productivité globale des facteurs le plus souvent calculée comme un résidu de Solow. En pratique, certains tests effectués sur le résidu de Solow conduisent à en rejeter l'exogénéité : ce résultat signifie non seulement que certaines hypothèses du modèle des RBC sont peut-être erronées, mais aussi que la véritable variance du choc technologique est surestimée. Les modèles RBC construits depuis quelques années ont approfondi le traitement du résidu de Solow, en envisageant une autre mesure, plus complexe, du progrès technique et en en isolant la partie considérée comme véritablement exogène. Mais il semble paradoxal de faire reposer tout l'édifice et la pertinence des RBC sur une donnée qui est fondamentalement inobservable et sans doute mal mesurée.

  1. L'école des RCB et les fluctuations du taux de chômage

Sur l'analyse du marché du travail qui dérive du cadre d'analyse RBC, les critiques pleuvent. Les échecs des modèles RBC à reproduire correctement les variations liées au marché du travail (emploi, productivité) ont joué en leur défaveur. Par exemple, James Tobin : "… l'idée que les agents opèrent sans cesse des substitutions intertemporelles pour déterminer leur offre de travail ne me parait pas crédible. Il est ridicule d'interpréter l'augmentation du chômage de ce pays (les Etats-Unis) de 5,7% en 1978 à 11% en 1982 comme un désir des travailleurs de prendre plus de vacances en prévision du travail qu'ils devront fournir quand les salaires deviendront plus intéressants !".

  1. Les conditions de validité du modèle en matière de dépenses publiques

On pourrait également interroger certaines hypothèses des RBC. Par exemple, pour que l'équilibre concurrentiel coïncide avec l'optimum social il faut qu'il n'y ait ni dépenses publiques, ni impôts, ni externalités. Quand on connaît le poids de l'Etat dans les pays de l'OCDE, et à moins de considérer que les dépenses publiques coïncident avec les préférences des agents et sont, en outre, financées par des impôts totalement neutres (hypothèses héroïques), on ne peut pas inférer des modèles du cycle d'équilibre que la réponse actuelle des économies aux chocs réels est optimale.

  1. Les crises financières n'existeraient pas ?

Enfin, la neutralité des variables monétaires dans la théorie des cycles d'affaires réels conduit à ne voir dans les crises financières que des épiphénomènes sans impact sur l'activité. Or, des crises nées du rationnement du crédit (imperfection de l'information, défaillances du marché à appréhender le risque de faillite) peuvent faire des ravages (voir le dossier de politique monétaire et les études de cas sur le Japon disponibles sur ce site) et justement une partie de la science économique depuis 30 ans (avec un certain succès comme l'indique le prix Nobel accorde à Joseph Stiglitz) est consacrée à approfondir les fondements microéconomiques de cette approche "à la Irving Fisher". De même, une approche de type RBC peut conduire à disculper les banquiers centraux : si ce sont les chocs technologiques qui sont à la source du cycle, les décideurs de politique monétaire avec leurs erreurs de pilotage ne sont pas responsables. Comment les partisans des RBC pourraient-ils par exemple expliquer la grande dépression des années 1930 ? Et comment pourraient-ils même en reconnaître la nocivité puisque "les fluctuations économiques sont les réponses optimales à l'incertitude qui affecte le rythme du progrès technique"…

Conclusion

L'école des RBC constitue le courant de pensée économique dominant dans les départements de macroéconomie des universités d'élite américaines depuis bientôt 20 ans. Comme le reconnaît Solow lui-même : "(…) Elle peut sans doute nous fournir certains enseignements : comment pourrait-il en être autrement avec une telle débauche de talents mis à son service". Les modèles de RBC sont, en effet, de splendides constructions intellectuelles à l'avant-garde de la science économique, des modèles élégants mais dont certaines hypothèses apparaissent héroïques et qui entretiennent avec les données empiriques des rapports compliqués que la spécificité de la méthode de validation entretient.

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