Sociétal en partenariat avec l'Académie des sciences morales et politiques et Newpolis ont lancé le 17 juin à l'Institut de France leur cycle de conférences. Premier grand témoin, Pierre-André Chiappori, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, a analysé les origines des inégalités et les moyens de les corriger.
Résumé de la conférence par Louise Leduc, étudiante et membre de Newpolis, présidée par Louis Lalanne
Investir dans l’éducation est de plus en plus rentable
Les entreprises privilégient les diplômes de qualité. Les parents qui consacrent du temps à leurs enfant, augmentent leur chance de réussite.
Montée du populisme en Europe, mouvement des gilets jaunes en France, les inégalités se sont imposées au cœur du débat politique dans de nombreux pays. Mais leur perception varie selon les pays. Les Français ont le sentiment qu’elles s’accroissent alors qu’ils vivent dans l’un des pays les plus égalitaires et protecteurs de l’Union européenne. Les Chinois sont surtout sensibles à l’accroissement de leur niveau de vie même si la réussite économique de l’Empire du milieu s’accompagne de fortes disparités.
Aux États-Unis, l’accentuation des différences entre les ménages les plus aisés et les autres groupes sociaux aggrave les tensions sociales et s’invite dans la prochaine campagne présidentielle. 18 milliardaires et héritiers ont même lancé un appel pour que les 0,1% des plus riches Américains soient taxés.
Après avoir présenté les grandes tendances des inégalités dans le monde, Pierre-André Chiappori, professeur d’économie à l’université de Columbia, a analysé la situation américaine pour montrer comment l’éducation et la formation peuvent jouer un rôle essentiel pour réduire les inégalités.
Outre-Atlantique, le chômage est faible (moins de 4%). Mais ce constat masque des situations très différentes selon le parcours scolaire et universitaire. 7,5% des personnes sans diplôme sont au chômage. Ce chiffre atteint entre 15 et 20% chez les jeunes. Les salaires sont également corrélés aux diplômes. La rémunération d’un homme formé dans une université était supérieure de 70% en 2012 à celle d’un homme qui ne l’était pas.
Cette tendance s’accélère. Les entreprises recherchent des hommes et femmes qualifiés possédant des diplômes de bon niveau. Les emplois nécessitant un niveau bac+4 connaissent une telle croissance que la détention d’un diplôme devient indispensable pour être recruté. Investir dans des études universitaires de qualité est donc de plus en plus rentable malgré l’augmentation des frais de scolarité. Le rêve américain fondé sur l’espoir d’une vie meilleure accessible à chacun grâce à son seul travail se brise.
Mais l’éducation ne se cantonne pas à l’école et à l’université, constate Pierre-André Chiappori. La famille joue un rôle clé. Notamment, les femmes, même si la productivité qu’elles consacrent à cette tâche est difficilement mesurable.
Le milieu social est déterminant. Les parents ne doivent pas se contenter d’investir de l’argent. Ils doivent y consacrer du temps pour augmenter les chances de réussite de leurs enfants. En résumé, la petite fille ou le petit garçon aidé par des parents éduqués gagnant bien leur vie réussit mieux à l’école et sur le marché du travail.
Corriger les inégalités sociales est toutefois possible. Une étude menée aux États-Unis a démontré que les enfants nés dans les milieux les plus défavorisés réussissent mieux à l’école quand ils sont placés dès leur plus jeune âge dans un contexte favorable à l’éducation. Les femmes peuvent également contribuer à augmenter les chances. Une autre enquête américaine menée dans des familles noires de milieu modeste a constaté que les grands-mères qui avaient reçu un revenu supplémentaire, avaient consacré cette somme aux enfants alors que les grands-pères n’en faisaient pas bénéficier les plus jeunes.
Mais réduire les inégalités sociales ne doit pas décourager les investissements de se porter là où ils sont les plus efficaces et donc les plus rentables. Former des personnes de bon niveau dans les meilleures universités est indispensable pour qu’un pays s’impose dans la compétition internationale. Le délicat équilibre à trouver entre une éducation rentable et efficace, la formation d’une élite et la réduction des inégalités est un choix éthique qui appartient aux pouvoirs publics.
Pierre-André Chiappori propose également d’améliorer la formation professionnelle dont l’efficacité est très faible. Il recommande que l’État mette en place un système de prime à l’emploi pour les travailleurs les moins qualifiés.
Transposer le modèle américain en France n’est pas envisageable souligne Pierre-André Chiappori. Les Américains privilégient l’emploi et acceptent que des travailleurs soient pauvres. La France privilégie la protection sociale avec notamment la mise en place du salaire minimum.
Alors que la France s’interroge sur l’avenir de son système éducatif et de son marché du travail, Pierre-André Chiappori a le grand mérite de nous faire observer avec un nouveau regard les liens entre éducation, investissement, inégalités et emploi.