En 2020, la BCE va monétiser l’intégralité des déficits publics très élevés (autour de 8% du PIB) mis en place par les pays de la zone euro pour réagir à la crise du Covid. Ceci veut dire qu’elle va acheter la totalité des dettes publiques (des obligations souveraines) émises pour financer ces déficits publics et payer ces achats en créant de la monnaie. Ceci va éviter en 2020 toute tension sur les taux d’intérêt, tout écartement anormal de l’écart de taux d’intérêt entre les pays périphériques et les pays du cœur de la zone euro. Mais la BCE pourra-t-elle poursuivre cette politique de monétisation complète des déficits publics des pays de la zone euro alors qu’ils vont rester élevés ? Ceci nous amène à nous poser cinq questions concernant le comportement de la BCE en 2021.
L’arrêt de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe est-il un problème ?
Sur le fond, les juges de Karlsruhe ont raison. La BCE n’est plus indépendante, puisqu’elle est obligée d’acheter une très grande quantité de dette publique pour éviter une crise des dettes publiques, de perte de solvabilité budgétaire des États ; elle monétise les dettes publiques, c’est-à-dire qu’elle achète les dettes des États et les remplace dans les actifs des agents économiques par de la monnaie (peu importe que cela soit fait sur le marché secondaire et non sur le marché primaire des dettes publiques).
La BCE est donc bien obligée de sortir de son mandat et des traités européens pour éviter une crise majeure de la zone euro, partant d’une crise des dettes publiques de certains pays. Cependant, l’arrêt de la Cour de Karlsruhe n’aura pas d’effet dans la pratique, puisque la BCE et le Système Européen de Banques Centrales sont sous la juridiction de la Cour Européenne de Justice, ce qui a été clairement répété.
Quelle est la portée de l’argument selon lequel la BCE doit assurer une bonne transmission de la politique monétaire à l’économie ?
La BCE met régulièrement en avant l’argument selon lequel elle doit assurer une bonne transmission de la politique monétaire à l’économie des pays de la zone euro. Cela lui permet en réalité de contrôler les spreads de taux d’intérêt des pays périphériques. En effet, supposons par exemple que l’écart de taux d’intérêt de l’Italie par rapport à l’Allemagne s’écarte fortement. Les conditions monétaires deviendraient restrictives en Italie puisque les taux d’intérêt à long terme y monteraient, alors que la BCE veut que la politique monétaire soit expansionniste, et il n’y aurait plus alors bonne transmission de la politique monétaire à l’économie. Ceci justifie les achats de dette des pays périphériques par la BCE (qui peut surpondérer aujourd’hui ces pays dans ses achats).
Que se passerait-il si l’inflation revenait en 2021 ?
On peut effectivement anticiper une hausse de l’inflation de la zone euro en 2021, non pas en raison de la création monétaire, mais en raison de certaines revendications salariales et surtout de la hausse des coûts de production liée aux nouvelles normes sanitaires mises en place dans les entreprises avec la crise du Covid-19.
Si l’inflation de la zone euro revient au niveau de l’objectif d’inflation de 2% ou même le dépasse, la BCE ne pourra plus dire que le Quantitative Easing, les achats massifs de dette publique, ont comme objectif de redresser l’inflation de la zone euro. Elle sera alors en difficulté, sauf si elle peut dire qu’il ne s’agit pas vraiment d’inflation mais d’une marche unique à la hausse sur le niveau des prix causée par les nouvelles régulations.
Quels sont les liens entre la politique monétaire et la mutualisation du financement des déficits publics au niveau européen ?
Le financement des déficits publics des pays de la zone euro va être partiellement mutualisé, en 2020 pour 540 milliards d’euros d’émissions de la Banque Européenne d’Investissement, du Mécanisme Européen de Stabilité et de l’Union Européenne, en 2021 peut-être par le projet d’émissions de 500 milliards d’euros par l’Union Européenne finançant un plan d’investissement européen intégré dans le budget de l’Europe.
La mutualisation du financement des déficits publics, des investissements nécessaires après la crise du Covid est importante politiquement, puisqu’elle fait apparaître un mécanisme de solidarité entre les pays de la zone euro. Tant que la BCE monétise les déficits publics, la mutualisation n’a pas de bénéfice économique ou financier, puisque les dettes publiques émises sont achetées par la BCE, et qu’il n’y a donc pas de limite au déficit public ou de tension sur les taux d’intérêt.
La mutualisation du financement des déficits publics deviendrait importante et nécessaire en 2021 si la BCE devait réduire ses achats de dette publique par exemple en raison de la hausse de l’inflation.
Que pourrait faire de plus la BCE si la situation économique de la zone euro se dégradait encore plus ?
La BCE pratique déjà l’Helicopter Money, ce qui n’est pas toujours compris. Quand un pays de la zone euro réalise un transfert public au profit d’un groupe d’agents économiques, le finance en émettant des obligations, et que ces obligations sont achetées par la BCE contre création monétaire, tout se passe comme si la BCE donnait de la monnaie aux bénéficiaires du transfert public, c’est-à-dire qu’il y a Helicopter Money.
Par ailleurs, la BCE, si elle ne réduit jamais dans le futur la taille de son bilan, conserve les dettes publiques qu’elle achète et les renouvelle à l’échéance, transforme ces dettes publiques en dette perpétuelle gratuite (gratuité puisque les Banques Centrales reversent leurs profits aux États). La BCE achète des dettes du secteur public et des entreprises, même d’entreprises ayant une mauvaise qualité de crédit, finance les banques à taux d’intérêt négatif.
La seule chose qu’elle ne fait pas est donc d’acheter des actions, probablement parce qu’elle a peur de l’aléa de moralité que cela ferait apparaître (les investisseurs-épargnants penseraient que les interventions de la BCE les protègent contre la baisse des cours boursiers) ; pourtant l’argument de bonne transmission de la politique monétaire pourrait être utilisé puisque si les cours boursiers reculent, il y a effet de richesse négatif qui affaiblit la demande de biens et services et contrarie l’effet de la politique monétaire expansionniste.
Que retenir alors de cette analyse du comportement de la BCE ?
Nous avons vu que ce qui pourrait mettre la BCE en difficulté en 2021 est le retour de l’inflation, qui peut être dû aux nouvelles normes sanitaires, et pas l’arrêt de la Cour de Karlsruhe. L’argument de la bonne transmission de la politique monétaire à l’économie permet à la BCE d’intervenir pour stabiliser les écarts de taux d’intérêt des pays périphériques, et pourrait lui permettre d’acheter des actions. La mutualisation par l’Union Européenne du financement des déficits publics n’aura un bénéfice économique et financier que si la BCE doit réduire en 2021 ses achats de titres publics.
Enfin, la BCE fait déjà beaucoup : Helicopter Money, transformation des dettes publiques en perpétuités gratuites, financement direct des entreprises.