Les tarifs de l'électricité à la loupe

Les faits

Au mois de juillet 2009, Pierre Gadonneix1 annonçait qu’il souhaitait une augmentation des tarifs réglementés pour la fourniture d’électricité aux ménages, entreprises et collectivités de l’ordre de 20 % sur trois ans. Après débat au sein du gouvernement, pour lequel cette augmentation risquait de nuire à la fragile reprise économique, le principe d’une hausse modérée de ces tarifs a été accepté et annoncé le 6 août. La commission de régulation de l’énergie (CRE) a été ensuite saisie par le gouvernement pour avis. Le 15 août, une augmentation de 1,9 % (en moyenne) pour les particuliers et de 4 à 5 % pour les entreprises ainsi été autorisée. Par ailleurs, le 27 août ERDF2 a demandé une hausse de ses tarifs de concession de 15,5 %.

De quels tarifs s’agit-il ? Comment sont-ils réglementés ?

Après l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité, sous l'impulsion des institutions européennes en 2000, EDF a signé en octobre 2005 avec les pouvoirs publics français un « contrat de service public ». Les consommateurs ont ainsi deux options : conserver un tarif réglementé de l’électricité chez EDF, ou bien choisir un tarif libre, avec retour possible vers le tarif réglementé, chez EDF ou un autre fournisseur. Ce contrat, qui court jusqu’en 2010, est destiné à assurer une transition vers le passage à une concurrence plus complète sur ce marché.

EDF ne peut pas augmenter les tarifs réglementés comme elle le souhaite. Obtenir l'aval des pouvoirs publics est indispensables. La hausse des tarifs réglementés pour les ménages ne peut dépasser la hausse du niveau général des prix.

Ainsi en août un arrêté du ministre de l’écologie et de l’énergie a fixé les augmentations de ces tarifs réclamées par EDF. Elles n’ont pu cependant entrer en vigueur qu’après avis consultatif de la commission de régulation de l’énergie. Celle-ci veille à la cohérence des tarifs appliqués (entre tarifs des ménages et des entreprises par exemple) et accompagne l’ouverture progressive à la concurrence, notamment en s’assurant du lien entre coûts de fabrication et tarifs.

Pourquoi une telle augmentation ?

Les motifs invoqués par EDF portent pour l’essentiel sur les investissements nécessaires pour l’entreprise, mais la hausse des coûts et l’état des infrastructures (nucléaires notamment) sont aussi avancés.

L’écart des prix par rapport au reste des pays membres de l’Union s’explique notamment par le choix de l’énergie nucléaire fortement subventionnée par les pouvoirs publics et un coût de fabrication plus faible. Cependant, il comprend également un effet dissuasif pour la concurrence sur ce marché.

Quelle est la portée de cette augmentation ?

La fixation des prix de l’électricité est un cas intéressant dans le sens où elle est atypique.

Si la loi de l’offre et de la demande s’appliquait, les tarifs de l’électricité seraient très fluctuants à cause des variations erratiques de la demande (en fonction du climat ou de la saison, en fonction de l’heure du jour ou de la nuit…) mais aussi à cause des fluctuations de l’offre et de l’impossibilité de stocker cette énergie. Celle-ci est donc fabriquée au rythme des besoins. Les tarifs de l’électricité ne sont donc pas des prix de marché, qui s’ajustent aux fluctuations de l’offre et de la demande, car ils sont fixés pour une certaine durée.

Les tarifs réglementés sont peu liés au coût de fabrication de l’électricité. Monopole naturel3 oblige, les infrastructures de production ont longtemps été payées directement par les pouvoirs publics. Le service public imposait également que les petits clients isolés ne paient pas la réalité de leur coût d’acheminement. En quelque sorte, les gros clients accessibles payaient pour eux.

Pour l’essentiel, les concurrents d’EDF ne fabriquent pas leur propre électricité, ils l’achètent sur le marché de gros, notamment à EDF. Ils fixent donc librement leurs prix, mais en fonction de ce prix d’achat.

Au total, il y a de multiples tarifs de l’électricité. Si l’on considère les seuls tarifs réglementés, il existe une discrimination tarifaire en fonction du type de clientèle et du type de contrat signé, qui dépend de la puissance électrique souhaitée par le consommateur (c’est le tarif de l’abonnement). Depuis 2005, cette grille tarifaire s’est encore complexifiée : par exemple une multiplication des types de professionnels (et donc des prix correspondants) a eu lieu.

La polémique autour de cette hausse tarifaire a donc surtout soulevé un problème : le manque de visibilité de ces tarifs et et de leur augmentation. Les gros consommateurs peuvent voir une baisse de leur facture (baisse par exemple de 28,9 % de l’abonnement annuel pour les grosses installations), tandis que d’autres connaîtront une hausse plus forte que la moyenne (hausse de plus de 10 % de la facture pour 3,5 millions de clients).

Dans le rapport de la CRE, il est néanmoins souligné que les révisions récentes vont dans le sens de plus de cohérence : alignement des tarifs professionnels et particuliers, prise en compte du coût d’acheminement.

Quels sont les risques de cette augmentation ? Quelles critiques lui sont portées ?

L’électricité est un bien dont la demande est inélastique au prix4, pour deux raisons principales. En premier lieu, les énergies sont des biens de dépendance, pour lesquels il n’existe que peu de substituts. Même si, pour le chauffage par exemple, il existe des substituts, il y a une grande inertie dans la consommation de ces biens par la nécessité de renouveler l’intégralité d’une installation en cas de changement d’énergie. D’autre part, comme d’autres biens de première nécessité, le coefficient budgétaire5 de ce poste de dépense est beaucoup plus élevé dans les foyers modestes. Ils seront donc relativement plus touchés par l’augmentation de prix. A titre d’illustration, en 2006 et selon l’enquête de l’INSEE sur le budget des familles, le coefficient budgétaire des dépenses de logement (incluant les dépenses d’eau, gaz, électricité et autres combustibles) se monte à 18,5 % pour les ouvriers et 12,3 % pour les cadres.

Le contexte macroéconomique comme celui de l’entreprise n’est lui aussi pas favorable. En juillet, la baisse des prix a été de 0,7 %. En juin, sur une année, la déflation a été de 0,5 %. Certes, le contrat de service public ne précise pas la période de référence et sur la durée de ce contrat (depuis 2005) l’inflation est de 7,4 %, la hausse des tarifs de 6,5 %. Quoi qu’il en soit, la hausse apparaît importante. Au même moment, une reprise économique légère se fait sentir, mais fragile, notamment au niveau de la consommation (repli de 1,1 % en juillet pour le commerce de détail, hausse de 0,4 % en août).

Ses détracteurs évoquent également le manque de réussite d’EDF dans ses achats à l’étranger et donc la compensation discutable par une restauration des marges à l’interne. Au même moment, EDF a annoncé une hausse de 8 % de son chiffre d’affaire, et un résultat net de 3,1 milliards d’euros sur les 6 premiers mois de l’année 2009. Après la réussite du grand emprunt de 3,3 milliards d’euros rémunéré à 4,5 %, un lien a aussi vite été établi entre intérêts à verser et nécessité de prélever de nouvelles recettes. Autre critique formulée par Christine Lagarde au mois de juillet : la rentabilité d’une entreprise passe par des efforts au niveau de la productivité qui ne semblent pas avoir été accomplis. 

ERDF vient d'annoncer l’augmentation des concessions d’utilisation des réseaux, et Michel Francony6 souhaite voir répercuter sur les tarifs réglementés cette croissance. Le rapport de la commission Champsaur quant à lui, préconise plus de concurrence dans le secteur pour voir les prix baisser : le 15 septembre, le Premier ministre a donc annoncé que les tarifs réglementés pour les grandes entreprises disparaîtraient le 1er juillet 2010. Bref, le débat est loin d'être clos !

Notes

  1. Pierre Gadonneix était alors le PDG d’EDF. Il a depuis été remplacé par Henri Proglio.
  2. ERDF, Electricité Réseau Distribution France, est la filiale d’EDF qui gère 95 % des réseaux d’électricité en France.
  3. Un monopole naturel décrit la situation dans laquelle se trouve une entreprise seule sur un marché face à un grand nombre clients, soit du fait de ses sources d’approvisionnement, soit du fait du coût élevé des infrastructures nécessaires à sa production.
  4. L'élasticité prix d’un produit définit la variabilité de la demande d’un bien face à la variabilité du prix de ce bien. Un bien inélastique a son élasticité proche de 0, la variation relative de la demande de ce bien est nulle ou presque suite à la variation relative du prix de ce bien.
  5. Selon l’Insee, « un coefficient budgétaire est le rapport de la dépense consacrée à un bien ou service particulier (ou à une catégorie de biens ou services, par exemple l'alimentation, le logement,...) à la dépense totale ».
  6. Il s'agit du président du directoire d’ERDF.

 

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