L'urbanisation, révélatrice du développement
Processus de peuplement et concentration urbaine
Le XIXème siècle s'est caractérisé par un accroissement sans précédent de la population urbaine. Dans le même temps, la taille des villes s'est fortement accrue et la plupart des bourgs sont devenus de véritables agglomérations, qui ont ensuite perdu leur caractère rural avec le développement spectaculaire de l'économie durant la période des “ Trente glorieuses ” (1945-1975).
Ce processus de peuplement a été marqué par deux phases :
- Une première phase d'urbanisation industrielle liée au déplacement des populations rurales vers les centres urbains, une concentration spatiale des activités économiques et résidentielles, le tout sous une forme urbaine monocentrique ;
- Une deuxième phase apparue au moment des années 1970, lors de la prise de conscience générale des effets négatifs de la concentration : nocivité de la pollution industrielle, risques d'accidents, pillage des ressources naturelles. On a vu alors émerger une nouvelle forme d'organisation spatiale, marquée par la dispersion intra-métropolitaine des activités économiques et résidentielles adoptant désormais une forme spatiale déconcentrée et pluricentrique.
Le lien entre industrialisation, concentration de richesse et croissance urbaine
L'industrialisation a été l'un des moteurs du développement urbain. Ce processus a été capable de susciter la création de nombreuses villes ou tout au moins de cités ouvrières dont certaines sont devenues des villes à part entière. L'industrie, par ses besoins propres (bâtiments, logement des ouvriers, matériel, réseau de transports), a produit une accumulation de richesses et de services. L'activité industrielle a ainsi engendré et/ou développé en partie les autres fonctions traditionnelles des villes, notamment la fonction commerciale, qui dépend largement de la masse des consommateurs employés ou non dans le domaine industriel.
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Les différences et les convergences de deux modèles d'urbanisation
Le modèle français
L'image millénaire que nous avons de la ville s'organise autour du forum, de la cathédrale, du palais ou du beffroi : autour de ce point de commandement, d'interaction, s'ordonnent les hommes et leurs activités. Ainsi, les villes françaises (ainsi que la plupart des villes européennes) se caractérisent dans l'ensemble par un attachement des populations au centre qu'on ne retrouve pas partout. Le formidable étalement urbain postérieur à la seconde guerre mondiale n'a pas, dans un premier temps, changé le principe de cet ordonnancement : desserrement de l'industrie, déferlement des pavillons, etc. Le centre historique constitue un enjeu fondamental, caractéristique alors, des villes européennes.
Si certains centres-villes ont connu un phénomène de dépeuplement depuis quelques années, une politique de sauvegarde du patrimoine en centre ancien a été rapidement mise en place et le recensement de 1999 révèle que, pour la première fois depuis cinquante ans, les villes centres se repeuplent (sauf pour Paris et Marseille). Ce retournement de tendance résulte en partie des efforts de rénovation des centres, signe d'un investissement à la fois symbolique et financier des sociétés dans les centres-villes. De ce fait, cette reconquête infirmerait totalement l'idée que les villes françaises – et européennes – suivraient le modèle américain, qui voit les villes-centres se vider.
Enfin, si un urbanisme séparatif (séparation spatiale des activités et des fonctionnements) existe en France comme aux Etats-Unis, il y reste plus faible. Les élites sociales n'ont pas déserté les espaces centraux historiques en Europe. Le terme de ghetto employé parfois en France n'a pas la même signification qu'aux États-Unis, où il s'agit de communautés fermées en périphérie, regroupant des centaines de milliers d'individus.
Le modèle américain
Les villes industrielles américaines se sont transformées et sont progressivement passées d'un régime d'urbanisation à un régime de métropolisation. C'est dans ce contexte que le nouveau régionalisme métropolitain apparaît aux Etats-Unis dans les années 90.
Los Angeles et Chicago sont représentatives de l'organisation urbaine aux Etats-Unis. Les centres-villes jadis vivants et prospères se sont vidés de leur population riche et les plus pauvres ont comblé le vide et aggravé le phénomène de paupérisation. De ce fait, les services, les infrastructures se dégradent (hôpitaux, voirie, réseau de transport en communs…). L'étalement des quartiers périphériques le long des axes de communication où se construisent de nouveaux ensembles industriels (“high tech corridors”) comme à Boston apparaît comme un nouveau problème. En effet, ce sont ainsi de nouvelles conurbations avec centres multiples qui voient le jour. On parle alors, comme pour Los Angeles, de métropoles polycentriques.
Cependant, on constate depuis quelques années un phénomène nouveau, appelé gentrification, provoqué par la réhabilitation des cœurs urbains denses et l'afflux dans ces quartiers de populations jeunes aux revenus élevées (les “DINKI ”: double income, no kids1 ).
Les convergences entre ces deux modèles
L'étalement des agglomérations, le rythme de l'urbanisation, l'évolution des modes de vie, remettent plus ou moins en cause le modèle d'urbanité que constitue la “ville européenne”. L'éclatement de certaines villes françaises, avec l'apparition progressive d'un phénomène de ghettoïsation dans certains quartiers, l'installation de commerces en périphérie et la multiplication des banlieues dites “pavillonnaires” démontre que ce “modèle” dérive peu à peu vers le modèle américain.
Les sources de la ségrégation urbaine
Les causes géographiques
La première source de la ségrégation urbaine est constitué par la géographie des quartiers. En effet, d'une manière générale l'altitude, le micro-climat, la vue paysagère figurent parmi les premiers critères de choix d'implantation des ménages. Les ménages les plus fortunés disposent d'un choix d'implantation plus large et privilégient la qualité du site.
Les causes sociales (l'endogamie sociale) : le “vivre entre soi”
La ville permet la construction de réseaux, de “ successions de proximités sociales ” qui s'appuient sur les cadres familiaux disponibles. La ville intègre les micro-échelles et favorise les réseaux et les liens sociaux.
Dans une économie de marché, la réaffectation de l'espace se fait à chaque moment par une sorte de redistribution à la marge de l'ensemble de l'espace urbain, en commençant par les couches sociales les plus fortunées, qui peuvent choisir, jusqu'aux couches les plus pauvres, qui vont là où elles peuvent acheter, ou même, là où on leur affecte un logement social. Ainsi, la ségrégation de l'espace urbain reflète et renforce la ségrégation sociale.
Les causes économiques : la présence d'équipements, la tertiarisation, et les répercussions du prix foncier
La répartition des populations et des activités au sein des villes a longtemps été dictée par des logiques non économiques. Les règles d'affectation du sol y étaient principalement régies par la coutume, la religion ou le pouvoir politique, ce qui, dans certains cas, pouvait favoriser une plus grande mixité sociale au sein des mêmes quartiers, voire dans les mêmes logements.
Lorsqu'émergent la propriété privée des sols et le droit de les aliéner, l'achat et la vente de parcelles vont conduire à une spécialisation croissante des localisations fondée sur leur rentabilité relative. En bref, l'existence de marchés fonciers devient l'élément structurant de l'espace urbain qui conduit à une ségrégation progressive des lieux de travail, de résidence et de loisir.
Il est donc important de comprendre comment se forme le prix du sol – la rente foncière- et comment les activités s'organisent au sein de l'espace urbain en fonction des variations de ce prix. Le principe de base en a été énoncé par Von Thünen2 dans son étude de la rente agricole, principe qui reste valable pour les sols urbains : tout se passe comme si, de manière implicite, chaque ménage comparait toutes les localisations possibles et évaluait pour chacune d'elle le montant maximum (ci-après appelé “enchère”) qu'il serait disposé à payer pour y résider. Chaque lot est alors attribué au ménage ayant l'enchère la plus élevée pour le lot en question.
Les conséquences sociales de cette ségrégation
Le quartier, instrument de socialisation
La construction d'un mode de vie propre (migrations pendulaires, rythme de vie dans la journée ou la nuit)
Les quartiers, en dehors de leurs caractéristiques propres (fonctions, population, territoire…), diffèrent également par leur rythme d'animation. A chaque type de quartier, correspond un rythme d'activité et d'animation tout au long de la journée et de la nuit.
Les quartiers centraux, lorsqu'ils associent le tourisme, l'habitat et les affaires gardent des rythmes soutenus, pour ne s'assoupir que quelques heures en fin de nuit ou en début de matinée. Par exemple, le quartier de la Défense, ou encore la City à Londres se retrouvent vidés de toutes activités dès la sortie des employés (19h00, environ), et ce, jusqu'à 7h00 le lendemain, avec l'arrivée du personnel des sociétés d'entretien. De la même manière, les quartiers à dominance “habitat” (comme certaines banlieues pavillonnaires ou d'habitat collectif) sont seulement animées lors du retour des travailleurs et au moment des entrées et des sorties des établissements scolaires.
Enfin, les quartiers qui ne disposent que d'une fonction dominante (habitat, ou affaires) ont, eux, des rythmes beaucoup plus syncopés.
Ces migrations et ces rythmes d'animations aboutissent à la construction sociale d'un mode de vie propre pour les habitants de chacun de ces quartiers. Les migrations pendulaires sont alors souvent ressenties de façon négatives (“métro-boulot-dodo”) et certains quartiers peuvent être définis de façon péjorative comme étant des “cités-dortoirs”.
Le sentiment d'appartenance
Habiter dans un quartier n'induit pas forcément un sentiment d'appartenance à ce même quartier. Toutefois, lorsqu'on les interroge, les individus se considèrent le plus souvent comme des habitants de leur quartier, territoire social aux limites définies et relativement limitées, avant de se définir comme les habitants d'une ville, territoire plus complexe et plus déshumanisé. Il est ainsi révélateur de constater que le tissu associatif (culturel, social, sportif, économique, voire politique ou religieux) se structure avant tout à l'échelle du quartier et fait partie des lignes de force qui constituent le lien social.
A une plus grande échelle on constate la perte du lien social
Citoyenneté, “Vivre ensemble” et communautarisme
Ce sentiment d'appartenance peut donc être plus ou moins fort, à mesure que les phénomènes de différenciation territoriale à l'intérieur d'une ville s'établissent, se renforcent ou s'affaiblissent. Un phénomène contradictoire se déroule actuellement dans les grandes villes occidentales : alors que le tissu associatif se développe à l'échelle des quartiers, le lien social se dilue à l'échelle de la ville. La différenciation territoriale produit une communautarisation territoriale, accentuée par le phénomène d'endogamie sociale, qui veut que le “vivre entre soi” (vivre au sein du même groupe social, culturel, religieux, voire ethnique) assure une protection dans la grande ville, est vécue comme déshumanisante.
Dans les quartiers populaires : le sentiment de relégation et l'exclusion
La relégation ne relève pas que du ressenti social ou psychologique, elle se traduit aussi par des réalités physiques et géographiques à l'intérieur de la ville. Parmi les 500 quartiers en difficulté recensés en 1990, l'INSEE a constaté que 13% étaient traversés et 32% longés par une autoroute, 83% longés par une voie rapide, 70% à proximité d'une voie de chemin de fer qui ne les dessert que dans 40% des cas. Près d'un habitant sur cinq est au chômage et la part des jeunes et des étrangers est plus élevée. Ces quartiers ont souvent des taux d'équipements et de services publics inférieurs aux taux par habitant relevés dans les villes centres, voire dans certains territoires ruraux.
L'action des politiques publiques pour réduire ces inégalités
L'identification politique des problèmes sociaux de l'urbanisation
La pauvreté et l'insalubrité, premières sources de l'action publique
Depuis les années 70, une nouvelle pauvreté est apparue, issue du chômage et frappant toutes les catégories, et notamment les jeunes ménages. Vécue comme un processus de marginalisation sociale, cette situation déclenche souvent un processus d'exclusion, c'est à dire de rupture du lien social (perte d'emploi, difficulté à trouver un logement, rupture familiale, etc.).
Dès 1945, l'Etat a choisi d'intervenir au nom de la solidarité nationale (constitution de l'État-Providence) mais il faut attendre les année 80 pour voir apparaître les premières politiques volontaristes visant à lutter contre les exclusions et la réduction massive du chômage, dans le but d'améliorer la situation sociale et se résorber la précarité et la pauvreté. Deux axes d'action apparaissent alors principalement : la priorité à l'emploi et l'accès de chacun aux droits de tous (droit aux logements, aux services publics, à la santé, à l'éducation, à la culture, etc.).
Le logement constitue donc depuis cinquante ans un axe prioritaire de l'action publique. Au début des années 1950, au moment de la reconstruction, la lutte contre l'insalubrité (hiver 1954 et lutte de l'abbé Pierre en faveur des mal logés), est passée par la construction massive de logements confortables (chauffage, sanitaires, espace et luminosité) à prix modérés. Ces logements modernes, au regard des normes des années 1960-1970, ont été regroupés dans de grands ensembles HLM, en périphérie des centre-villes, par manque de place et pour une question de coût du foncier.
L'apparition de la violence urbaine en France et ses conséquences sociales et politiques
Dès 1979, à Vaulx-en-Velin, ont lieu les premiers affrontements entre forces de l'ordre et groupes de jeunes. Mais ce sont les émeutes de l'été 1981 à Vénissieux (banlieue lyonnaise), dans la cité des Minguettes, qui vont retenir l'attention des pouvoirs publics et des médias. Jusqu'à encore aujourd'hui, la violence urbaine est devenue un thème majeur de la vie politique et médiatique en France. Ces émeutes surgissent à l'occasion d'un événement vécu comme une injustice supplémentaire (bavure, décision de justice favorable aux policiers) et un mépris social, ce qui s'ajoute au sentiment de relégation économique et géographique. Les dernières émeutes qui ont marqué les esprits datent de novembre 2005. Pendant trois semaines, les banlieues populaires des grandes villes (Paris, Lyon, Lille, Toulouse et dans une moindre mesure Marseille) se sont embrasées à la suite de la mort de deux jeunes gens poursuivis par la police dans la commune de Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Les dégâts matériels provoqués par ces trois semaines d'émeute ont été considérables.
Une réponse française : “la politique de la ville”
Face aux trois crises – crise sociale, crise de l'urbanité et crise de la représentation politique – la France a développé, depuis les années 1980, une politique de la ville. Cette politique présente d'emblée un triple caractère :
- Politique née de l'urgence et souvent destinée à répondre à des situations d'urgence, elle se veut néanmoins une politique structurelle ;
- Politique de lutte contre l'exclusion, elle ne se réduit pas à une seule politique sociale ;
- Enfin, politique de terrain à base territoriale (les quartiers puis les agglomérations),
qui met au premier plan les acteurs locaux (élus, associations, etc.), elle est pourtant une politique nationale dans laquelle l'Etat remplit non seulement une fonction de régulateur mais d'animateur.
Toutefois, depuis 25 ans cette politique s'est construite dans l'hésitation, comme en témoignent les errances de vocabulaire : politique intitulée tour à tour politique “des quartiers”, “du développement social urbain”, politique “de la ville”, parfois “des villes”. La grande difficulté réside dans le fait que les problèmes sociaux se manifestent avant tout comme des problèmes urbains. Et que du même coup, la politique de la ville, politique nécessairement transversale, a du mal à définir son champ d'action.
Avec le “Développement Social des Quartiers” (DSQ), entre 1977 et 1984, l'approche globalisante de la politique de la ville est confirmée. L'action est ciblée sur les populations socialement les plus exposées. Il s'agit de lutter contre les inégalités sociales et de faire des efforts particuliers en faveur de l'insertion des jeunes des quartiers défavorisés.
A partir de 1984, on s'oriente vers la généralisation des expériences menées jusqu'alors et la définition d'une politique authentiquement de la ville. En effet, cette même année, l'apparition d'un Comité Interministériel des Villes (CIV) est une petite révolution, puisqu'il se propose, grâce au champ nouveau des possibles ouverts par la décentralisation, de généraliser les expérimentations menées jusqu'alors dans les villes-tests. Ce sont alors plus de 400 sites difficiles cumulant de lourds handicaps économiques et sociaux qui vont être concernés.
En 1988, la coordination au niveau central va se renforcer avec la mise en place d'un Conseil National des Villes. Parallèlement, on voit apparaître un comité interministériel des villes et du développement social urbain et une Délégation Interministérielle à la Ville (DIV). Après de nouvelles violences urbaines à Vaux-en-Velin, en 1990, un ministre chargé de la politique de la ville, Michel Delebarre, est nommé. On sort du cadre de l'action strictement locale, pour envisager une politique de la ville, qui met en place une solidarité financière entre les communes, envisage de faire de l'amélioration de la politique de la ville l'un des enjeux majeurs du renouveau des services publics, envisage l'avenir économique des grands ensembles et l'insertion des jeunes en difficulté.
Le “Pacte de relance pour la ville”, annoncé en 1996, qui devait être un véritable “plan Marshall pour les banlieues”, est une réduction et une simplification du nombre des cibles des politiques de la ville.
Malgré les efforts menés pour parvenir à inventer une authentique politique de la ville, les résultats escomptés n'ont pas été atteints, à cause de l'enchevêtrement des procédures et des programmes et d'une trop grande complexité des modes de financements
En 1999, le gouvernement a mis en place un plan de solidarité et de rénovation urbaine, qui s'est traduit par la création de 50 Grands Projets de Villes et 30 Opérations de Renouvellement Urbain, afin de permettre aux quartiers défavorisés de bénéficier de la reprise économique, tout en enclenchant une profonde transformation de leur urbanisme.
Enfin, la Loi Solidarité et Renouvellement Urbain votée en 2000 constitue un dispositif clé pour la mise en place d'une politique urbaine plus solidaire. A cet effet, elle s'articule autour de trois objectifs : rechercher une plus grande cohérence entre les politiques urbaines ; associer déplacement et développement durable ; construire une ville plus solidaire (notamment par une meilleure équité de logements sociaux). Enfin, la loi lutte aussi contre les logements insalubres et marque ainsi une avancée décisive pour le droit à un logement décent pour tous.
Au-delà des efforts portant sur la rénovation des constructions, la politique de la ville se doit de favoriser le développement économique dans les quartiers les plus touchés par la crise. Diverses mesures ont été prises, destinées à stimuler l'activité économique. Ainsi, 44 Zones Franches Urbaines ont été créées, avec des avantages fiscaux pour les entreprises.
Les deux grands thèmes de la politique de la ville : le renouvellement urbain et la mixité sociale
Le renouvellement urbain et la mixité des fonctions urbaines
Pour lutter contre un phénomène de dévalorisation urbaine et de marginalisation de certains quartiers en crise : les quartiers anciens dégradés (construits avant 1950), d'habitat essentiellement privé et les quartiers des grands ensembles construits dans les années 1950-1970, d'habitat majoritairement social.
Les responsables politiques ont mis en place diverses mesures afin de renouveler et de modifier fondamentalement et durablement la physionomie de ces quartiers, en s'efforçant de reconstruire la ville sur la ville .
Ainsi, ce renouvellement urbain œuvre à améliorer leur fonctionnement et à favoriser leur insertion dans la ville. Ces interventions empruntent plusieurs voies et vont de la restructuration des logements, l'amélioration de la desserte de transport, la création de nouveaux services publics, à l'implantation d'entreprises, la création d'emplois et l'accompagnement social des habitants.
L'Agence Nationale pour le Renouvellement Urbain (ANRU) créée en 2003 a pour objet de développer un programme national qui vise la production d'une offre nouvelle de 250 000 logements locatifs sociaux et la démolition concomitante du même nombre de logements locatifs sociaux vétustes, inadaptés ou trop concentrés. Des moyens exceptionnels de l'Etat portés à 6 milliards d'euros sur 10 ans permettent par un effet démultiplicateur d'estimer les travaux engagés à 35 milliards d'euros sur la même période.
La mixité sociale : un objectif ambitieux
Dans le cadre de cette politique publique, une réelle volonté de reconquête de la ville apparaît, avec pour objectif de créer “une ville partagée”. La politique de la ville menée par l'Etat a pour but de lutter contre l'exclusion et, d'autre part, d'assurer à l'ensemble de la population des conditions de vie et d'habitat favorisant la mixité sociale. Cette dernière devient alors une réponse politique à la ségrégation.
Dès les années 80, les politiques affichent déjà un double objectif : la mixité et l'insertion. Mais il s'agit très clairement d'une action locale dans laquelle l'Etat joue plutôt un rôle d'incitateur. L'application de la mixité est laissée très largement aux acteurs locaux (bailleurs, villes, etc.). Ce n'est que dans les années 90 que l'objectif de la mixité sera plus affirmé. Différentes lois sont mises en place, dont la Loi d'Orientation sur la Ville en 1991, dont le but est de redistribuer le logement social afin de redistribuer les populations pauvres. La loi Solidarité et Renouvellement Urbain étend cette volonté à l'agglomération. C'est le sens d'un de ses principes fondamentaux : la loi fait obligation depuis 2000 aux villes de compter au minimum 20% de logements sociaux.
Les effets pervers de l'action publique
Si la mixité sociale peut être un principe de référence, un “idéal de société”, par ailleurs consensuel car elle fait appel aux logiques de justice et d'égalité partagées par un très grand nombre, sa traduction en outils techniques d'une politique est très difficile.
Ainsi, les pratiques d'attribution de logements dans certains quartiers pour les populations immigrées produisent les effets inverses de ceux escomptés : l'exclusion et la discrimination sont patentes. En effet, pour un certain nombre de bailleurs, un des critères de la mixité sociale est la taille des ménages qui serait un élément de “rééquilibrage” des quartiers. Autrement dit, ils tentent de diminuer la part des grandes familles et de favoriser l'arrivée de “petits” ménages.
Dans d'autres cas, la requalification publique de certains quartiers populaires peut avoir pour effet de modifier complètement la structure de la population, par le jeu de la hausse conjuguée du prix du foncier et des loyers, dans ces secteurs dont l'attractivité a été largement améliorée.
Les logements nouveaux en construction ne vont donc pas forcément être occupés par des populations pauvres et ce, pour deux raisons. Tout d'abord parce que les loyers dans les programmes neufs sont inaccessibles pour une partie de ces populations. Et ensuite, parce que les communes les plus attractives auront évidemment toujours plus de facilité que les autres “à sélectionner” les demandeurs de logement. Citons simplement en référence les villes nouvelles qui ont été conçues comme un modèle de mixité en matière d'offre de logements. Aujourd'hui, la ségrégation y est bel et bien présente.
Mais certaines interrogations apparaissent plus fondamentales. Toutes ces politiques, quelle qu'en soit la forme, partent de l'idée qu'il est nécessaire de “disperser” les populations les plus pauvres, qu'il est possible de favoriser leur intégration en les rendant minoritaire dans les quartiers où ils résident… autrement dit, le mélange social générerait l'intégration, et ce dans une conception française de la mixité : si les individus les plus modestes sont minoritaires, ils adopteront les normes dominantes des couches moyennes. La proximité spatiale atténuerait ainsi les distances sociales.
Notes
[1] Couple avec deux revenus, sans enfants
[2] Johann Heinrich Von Thünen (1783 – 1850) est considéré comme un des principaux pionniers de l'analyse économique spatiale. Dans son ouvrage “l'Etat Isolé”, il développe une théorie de la localisation agricole, en analysant l'influence de l'espace sur les implantations agricoles, les coûts de production et les prix des terrains