«… En dépit de plusieurs tentatives, le droit des successions et des libéralités n'a pas connu de réforme d'ensemble depuis la rédaction du Code civil en 1804. Cette situation a entraîné de graves conséquences. Les familles se trouvent confrontées à des liquidations de successions parfois extrêmement longues et inutilement conflictuelles. La gestion des patrimoines successoraux s'en trouve compliquée, avec pour conséquence une dépréciation des biens… La transmission harmonieuse des entreprises n'est pas garantie. Quant au droit des libéralités, il s'avère inadapté aux évolutions de la société ».
Ces quelques lignes, issues du rapport du Sénat relatif au projet de loi portant réforme du droit des successions et des libéralités adopté sous sa forme définitive le 23 juin 2006, résument les principaux constats à l'origine du mouvement de réforme des règles de transmission du patrimoine amorcé depuis l'année 2006 et dont les lois du 23 juin 2006 et du 21 août 2007 (souvent dénommée « paquet fiscal ») constituent les textes principaux.
L'importance pratique et symbolique de ces réformes se mesure, notamment, à l'ancienneté et à la pérennité des règles relatives à l'imposition de la transmission du patrimoine. L'impôt sur les transmissions à titre gratuit (dans le cadre de successions ou de donations) est en effet apparu dès le Moyen-Age sous la forme de droits féodaux. Plus tard, c'est la loi du 22 frimaire an VII qui a jeté les bases du système actuel, en posant le principe selon lequel le montant de l'impôt était calculé en fonction d'un taux proportionnel, dépendant à la fois du lien de parenté existant entre le défunt (ou le donateur) et le bénéficiaire et de la nature mobilière ou immobilière du bien transmis. Au cours de la période récente, l'acte « dit loi » du 14 mars 1942 est venu unifier et généraliser le régime fiscal des transmissions à titre gratuit et, depuis lors, les règles en vigueur n'ont fait l'objet d'aucune réforme de fond.
Si la réforme des règles de transmission du patrimoine, plusieurs fois tentée (trois projets de loi en date des 21 décembre 1988, 23 décembre 1991 et 8 février 1995 n'ont jamais été inscrits à l'ordre du jour de l'une ou de l'autre assemblée), n'a finalement abouti qu'au cours de l'année 2006, c'est que le système alors en vigueur était devenu profondément inadapté au regard des évolutions sociologiques et économiques intervenues depuis plusieurs années.
Dans ce contexte, les réformes de 2006 et de 2007 ont visé à adapter les règles applicables à ces nouvelles contraintes, rapprochant de ce fait le système français du modèle en vigueur au sein de certains grands pays européens.
I) Un système de transmission du patrimoine remis en cause par les évolutions sociologiques et les nécessités économiques
Le système de transmission du patrimoine en vigueur en France jusqu'aux réformes récentes
Les règles applicables jusqu'aux réformes récentes
La fiscalité de la transmission du patrimoine, dans le cadre d'une succession comme d'une donation obéit à un système complexe, issu du croisement entre une règle de calcul de base et une multitude de dispositifs particuliers (les abattements) destinés à alléger le montant de l'impôt exigible.
A la base du système, s'applique le principe selon lequel le montant de l'impôt dû est calculé sur la part nette revenant à chaque héritier (ou donataire) en fonction du lien de parenté qui l'unissait au défunt (ou donateur) et après déduction éventuelle d'un abattement, dont le montant est également lié à la nature de ce lien de parenté. Le degré de parenté joue donc un rôle essentiel dans la fiscalité de la transmission du patrimoine puisqu'il détermine à la fois le barème utilisé pour calculer l'impôt et le montant de l'abattement applicable : ainsi, plus le lien de parenté est diffus, plus le tarif applicable est élevé (cf. barèmes dans les documents ci-contre).
Le montant de l'abattement applicable pour calculer la part nette taxable est particulièrement significatif s'agissant des transmissions en ligne directe, puisqu'il atteint la somme de 50 000 euros pour les successions et donations faites entre parents et enfants alors qu'il ne s'élève qu'à 5000 euros pour les successions ou donations entre frères et sœurs. Il atteint en revanche 30 000 euros dans le cas des donations consenties par les grands-parents à leurs petits-enfants.
Parallèlement au système des abattements, qui servent à calculer la part taxable, des réductions d'impôt sont également prévues. La principale d'entre elles concerne les donations entre personnes vivantes et permet de réduire les droits de donation jusqu'à 50% en fonction de l'âge du donateur. Ainsi, lorsque celui-ci est âgé de moins de 65 ans, les droits de donation sont réduits de moitié sans qu'aucune autre condition ne soit exigée et ce, quel que soit le lien de parenté existant entre le donataire et le donateur. Lorsque ce dernier est âgé de plus de 65 ans mais de moins de 75 ans, la réduction est alors de 30%. Cette réduction ne s'applique en revanche pas aux successions.
Le cas particulier de la transmission d'entreprise
A la suite de plusieurs recommandations de la Commission européenne relatives à la transmission des PME, un régime fiscal propre à la création d'entreprise a progressivement été mis en place.
Sous réserve de l'application des règles générales qui viennent d'être décrites (et notamment du système de l'imposition progressive par tranches), ce régime, applicable aux transmissions par décès de parts ou d'actions d'une société comme d'entreprises individuelles, prévoit que celles-ci sont exonérées de droits de succession à concurrence de la moitié de la valeur de l'entreprise sans limitation de montant. Plusieurs conditions sont nécessaires à l'application de ce régime de faveur parmi lesquelles figurent, notamment, l'obligation faite à l'héritier de conserver les biens transmis pendant une durée minimum de six ans et d'exercer, pendant cette période, des fonctions effectives au sein de l'entreprise.
Ce régime de faveur n'est toutefois pas applicable aux transmissions d'entreprises entre vifs (c'est-à-dire aux donations).
Un système remis en cause par les nécessités économiques et les évolutions sociologiques
Les nécessités économiques
Si le système français de transmission du patrimoine en vigueur jusqu'en 2006 ne comportait pas que des aspects négatifs, il faisait néanmoins l'objet de critiques récurrentes.
En ce qui concerne les barèmes de calcul des droits, deux points faisaient, notamment, l'objet de nombreuses critiques : les relèvements successifs des taux d'imposition applicables en ligne directe et l'augmentation du nombre de tranches.
Les rehaussements successifs des taux marginaux d'imposition se sont en effet traduits par un doublement du taux marginal supérieur (c'est-à-dire du taux le plus élevé) applicable en ligne directe, lequel est passé de 20% à 40% en 1983 (pour les donations) et en 1984 (pour les successions).
L'augmentation du nombre de tranches s'est également opérée sans réévaluation concomitante des tranches préexistantes, réévaluation qui aurait pourtant été rendue nécessaire par le phénomène d'érosion monétaire. Ainsi, le seuil de 50 000 francs (7 600 euros) en deçà duquel le taux applicable est de 5%, déjà en vigueur en 1959, équivaudrait – en euros actuels – à 63 495 euros. Le système actuel défavoriserait donc fortement les petites successions. Dans le même ordre d'idée, il faut noter que les différents abattements existants n'ont pas davantage fait l'objet de revalorisations. Au total, et en raison de ces incohérences, le taux moyen d'imposition aurait été multiplié, entre 1959 et 1998, par 14, 3 pour une part héritée de 150 000 euros et par 2,8 pour une part héritée de 300 000 euros.
Dans le même temps, le principe de progressivité applicable au système de transmission du patrimoine n'a pas semblé atteindre l'objectif d'équité qui lui est traditionnellement attaché. En effet, la progressivité est, en la matière, particulièrement réduite en raison de la structure des barèmes, la quatrième tranche de la part nette taxable s'élargissant entre 15 000 et 520 000 euros (voir tableau supra) alors même que c'est dans cette tranche que se situe la majeure partie des patrimoines transmis. En conséquence, et exception faite de la progressivité réduite des premières tranches, la majorité des transmissions est en pratique imposée au taux unique de 20%.
Là encore, les successions moyennes se trouvent pénalisées et ce, d'autant plus, que le système actuel autorise le recours à différentes techniques d'optimisation fiscale (assurance-vie, adoption d'un régime matrimonial adapté, démembrement de propriété…) réservées, en pratique, aux personnes qui ont accès à l'expertise, souvent coûteuse, de professionnels de la fiscalité.
Au total, et selon les termes employés par Didier MIGAUD dans rapport de 1998 relatif à fiscalité du patrimoine, les droits de succession et de donation constituent « un impôt frappant essentiellement les contribuables détenant des patrimoines de moyenne importance, et n'ayant pas su ou pu organiser sa transmission », les ménages disposant des plus gros patrimoines étant généralement « les mieux informés et les plus à même de réduire le montant des droits qui résultent de la transmission de l'ensemble de leur patrimoine ».
En ce qui concerne les règles applicables à la transmission d'entreprises, de nombreuses critiques économiques ont également été formulées, dont la première concerne la limitation du régime de faveur précédemment décrit aux seules transmissions par décès. L'autre critique récurrente est relative à l'absence de barème spécifique applicable aux transmissions d'entreprise. Compte tenu de la faiblesse de la tranche d'imposition la plus élevée au regard de la valeur des entreprises, même de taille modeste, ce système aboutit en effet à appliquer à la grande majorité des transmissions d'entreprises le taux marginal d'imposition le plus élevé. De ce fait, les héritiers se trouvent fréquemment dans l'impossibilité de faire face au coût de la succession et sont alors contraints de céder l'entreprise concernée. Enfin, les conditions d'application du régime de faveur (exigence de conservation des parts pendant une durée minimale …) sont souvent jugées trop contraignantes pour les héritiers.
Dans le domaine de la transmission d'entreprise, la France serait donc moins compétitive que nombreux de ses voisins européens. L'exemple suivant permet d'illustrer ce constat : l'hypothèse retenue est celle d'un couple marié sous le régime de la communauté légale avec deux enfants majeurs et dont le patrimoine n'est constitué que d'une société non cotée en bourse d'une valeur de 15 millions d'euros. L'application à cette succession des règles applicables au sein des différents pays européens permet de constater que le taux global d'imposition de l'entreprise en question est de 15,5% en France, ce qui classe celle-ci en dernière position (le pays classé en première position étant celui au sein duquel le taux d'imposition est le plus faible), loin derrière l'Italie et la Grande-Bretagne, où la transmission d'entreprise se fait en franchise de droits ; l'Espagne, la Belgique ou la Suisse où le taux d'imposition est respectivement de 0,7%, 3% et 7,2% ; l'Allemagne ou la Suède où ce taux atteint 10,2% et 12,6% (exemple tiré du rapport d'information déposé au Sénat par Philippe MARINI le 20 novembre 2002 relatif à la fiscalité des mutations à titre gratuit).
Les évolutions sociologiques
Le défaut d'adaptation du système français de transmission du patrimoine aux évolutions sociales a fait l'objet de nombreuses critiques.
Parmi les évolutions sociales qui intéressent directement les règles de transmission du patrimoine figure, en premier lieu, l'allongement de l'espérance de vie. Ce phénomène a en effet pour conséquence directe de retarder la transmission du patrimoine entre les générations, en particulier pour les ménages qui ne disposent pas d'un patrimoine suffisant pour en faire, au moins partiellement, donation avant l'âge de 75 ans, âge au-delà duquel l'imposition est nettement plus élevée. En cela, le système en vigueur est socialement injuste.
Dans ce contexte légal, peu propice à la transmission de biens par des personnes âgées, le risque de stérilisation d'une partie du patrimoine, notamment immobilier, n'est pas négligeable. A cet égard, il faut en effet noter que l'âge moyen auquel un individu hérite est passé de 48 ans en 1984 à 52 ans en 2000.
Enfin, le système de transmission du patrimoine ne s'est pas adapté à l'émergence des familles recomposées. En effet, selon le système en vigueur jusqu'en 2006, les donations ou successions entre un individu et les enfants d'un premier lit de son conjoint étaient considérés comme des cas de transmissions entre non parents et, de ce fait, taxée à 60%. Dans ce contexte, la seule issue permettant de gratifier les enfants de son conjoint consiste à recourir à la procédure, relativement lourde symboliquement et juridiquement, de l'adoption.
II) De nouvelles règles qui tendent à rapprocher la France des autres pays européens
Les règles issues des réformes récentes
La loi du 23 juin 2006
La loi du 23 juin 2006 comporte deux volets, l'un étant relatif aux successions et l'autre aux libéralités (donations consenties entre vifs).
Le volet successoral de la loi
Aux termes de l'exposé des motifs qui accompagnait le projet qui allait devenir la loi du 23 juin 2006, celle-ci vise essentiellement à faciliter la gestion du patrimoine successoral et à accélérer et simplifier le règlement des successions.
En cela, elle concerne davantage les règles procédurales applicables au cours de la succession que les règles de fond qui gouvernent celle-ci.
A titre d'exemples, ses principales dispositions sont les suivantes :
- réduction du délai de l'option successorale, pendant lequel un héritier peut décider de renoncer à la succession ;
- création du « mandat à effet posthume » permettant à toute personne de désigner, de son vivant, un mandataire chargé d'administrer et de gérer le patrimoine successoral pendant la durée des opérations de successions (cette disposition peut se révéler particulièrement utile pour assurer la bonne gestion et la pérennité d'une entreprise incluse dans une succession) ;
- assouplissement des règles de gestion de l'indivision successorale dans l'attente du règlement de la succession par le biais, notamment, de la suppression du recours systématique à la règle de l'unanimité ;
- simplification des règles du partage de l'actif successoral.
Le volet relatif aux libéralités de la loi
La loi du 23 juin 2006 vise à accroître la capacité de chaque personne à disposer de son patrimoine de son vivant.
Pour ce faire, elle s'appuie sur le développement de pactes successoraux autorisant tout héritier à renoncer, par anticipation, à exercer une action judiciaire en réduction de libéralités consenties à d'autres membres de la famille. En revanche, la loi prévoit que si un héritier a reçu une libéralité qui excède sa quotité disponible, il doit indemniser les autres héritiers à concurrence de la portion excessive de la libéralité.
Cette innovation, dont le mécanisme juridique peut apparaître difficile à comprendre, vise en réalité à concilier le principe d'égalité entre les héritiers de même rang et de stabilité des situations juridiques. En effet, sous l'empire du droit antérieur, si un héritier avait reçu en donation une somme supérieure à la quotité disponible, les co-héritiers insatisfaits étaient contraints d'engager une action judiciaire aboutissant à l'annulation rétroactive de la donation litigieuse. Aux termes des dispositions de la loi de 2006, les donations déjà effectuées ne peuvent plus être remises en cause, l'héritier ayant trop perçu étant simplement contraint d'indemniser ses co-héritiers. La portée pratique de cette réforme est réelle, notamment dans les cas où le défunt avait souhaité, à dessein, de son vivant transmettre l'intégralité d'un bien à un héritier en raison, par exemple, des capacités de gestion de celui-ci (cela peut notamment être le cas en matière de transmission d'entreprise).
Dans le même ordre d'idées, la loi de 2006 élargit considérablement le domaine des donations-partages (donation faite concomitamment à l'ensemble des descendants) en permettant à toute personne de distribuer son patrimoine entre des descendants de degrés différents (enfants et petits-enfants par exemple). Le texte permet également d'inclure dans une donation-partage les enfants issus d'une précédente union d'un conjoint et, dans le cadre de la transmission d'une entreprise (même exploitée sous forme de société), d'inclure une personne tierce à la famille dans la donation-partage.
Enfin, la loi élargit la possibilité de recourir au mécanisme de la « libéralité graduelle », qui permet à toute personne d'effectuer une donation à une autre, à charge pour cette dernière de transmettre le bien à un tiers désigné au moment de son propre décès.
Par le biais de tous ces instruments, la réforme de 2006 - sans toucher aux règles de fond relatives à la fiscalité applicable aux opérations de succession ou de donation - modifie profondément l'esprit du droit des successions et des libéralités en encourageant la transmission anticipée, partielle ou quasi intégrale, du patrimoine aux jeunes générations (enfants, petits-enfants, collatéraux ou beaux-enfants), notamment lorsque ce patrimoine est doté d'une véritable valeur économique, comme cela est le cas d'une entreprise.
Le paquet fiscal du 21 août 2007
La loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, souvent qualifiée de « paquet fiscal » vise directement à stimuler la consommation par un renforcement du pouvoir d'achat.
Pour ce faire, elle prévoit, notamment, un volet relatif aux libéralités consenties au sein de la famille. Le recours aux donations est ainsi fortement encouragé par l'augmentation substantielle du montant des abattements :
- en ligne directe, le montant de l'abattement est porté de 50 000 à 150 000 euros ;
- entre frères et sœurs, ce montant est porté de 5 000 à 15 000 euros ;
- entre partenaires d'un pacs, il est porté de 57 000 à 76 000 euros.
Ces abattements s'appliquent, tels que modifiés par la loi d'août 2007, s'appliquent également désormais aux successions.
A ces mesures structurelles, s'ajoute une mesure temporaire qui permet à toute personne âgée de moins de 65 ans de procéder à une donation de 30 000 euros en faveur de ses descendants directs ou, à défaut, de ses neveux et nièces, sans que cette libéralité ne soit soumise à la fiscalité.
Ce type de mesures semble avoir un effet non négligeable sur le comportement des contribuables. En effet, d'après une étude de l'INSEE publiée en mars 2007, l'assouplissement du régime des donations expliquerait en partie l'augmentation des transferts intergénérationnels vers les descendants. Ainsi, début 2004, parmi les ménages ayant des enfants ne vivant plus avec eux, 13% leur avaient déjà transmis une part de leur patrimoine par donation alors qu'ils n'étaient que 10% en 1992. Entre ces deux dates, le nombre de donations aurait augmenté suite à des mesures d'exonération partielle de droits en 1992 et 1996, puis diminué de 2001 et 2003 suite à de nouvelles mesures réduisant ces exonérations pour les donateurs de 75 ans et plus (« Transferts intergénérationnels entre vifs : aides et donations », Marie Cordier, Cédric Houdré, Henri Ruiz, division Revenus et patrimoine des ménages, Insee, Insee Première, n° 1127, mars 2007).
Au total, les réformes adoptées en 2006 et 2007 encouragent toute personne, quelle que soit la composition de sa famille ou de son patrimoine, à réduire de son vivant le coût de la transmission de celui-ci par le biais, notamment, du mécanisme de la donation.
En cela, les réformes ont tiré la conséquence des évolutions sociologiques et démographiques décrites ci-dessus. En revanche, les critiques relatives au système d'imposition des successions par tranches par l'application d'un taux progressif n'ont pas, à l'heure actuelle, conduit à une remise en cause de celui-ci.
Toutefois, et en dépit du maintien de ce système d'imposition, les textes de 2006 et de 2007 tendent déjà à rapprocher le système français de celui qui est en vigueur dans certains pays européens, comme l'Italie, la Grande Bretagne ou la Belgique.
Le rapprochement entre la France et les autres pays européens
Un groupe de pays qui encouragent fortement la transmission anticipée du patrimoine
En Europe, un certain nombre de pays de taille comparable à la France ont choisi d'encourager fortement la transmission anticipée du patrimoine.
La solution la plus radicale avait été adoptée par l'Italie, laquelle a, le 25 octobre 2001, totalement abrogé les droits de donation et de succession s'appliquant aux transmissions réalisées entre conjoints, parents et enfants, grands-parents et petits-enfants, frères et sœurs, oncles et tantes et neveux et nièces. Les raisons avancées par le gouvernement italien pour justifier cette réforme étaient autant politiques qu'économiques. Politiques en ce sens que le gouvernement souhaitait supprimer un impôt apparu au IXème siècle sur le fondement d'une idéologie hostile aux rentiers et qui ne se trouvait plus justifiée aujourd'hui compte tenu, notamment, des instruments fiscaux permettant d'assurer une certaine équité entre les contribuables. Economiques en raison de l'inadaptation de l'impôt sur les donations et les successions à l'évolution de la structure de la détention de la richesse en Italie, laquelle fait une part importante aux entreprises individuelles. Cette réforme avait fait de l'Italie le pays européen le plus attractif en matière de transmission du patrimoine.
Toutefois, ce principe d'exonération totale a été remis en cause par la réforme fiscale présentée par le gouvernement de Romano Prodi. La loi de finances pour 2007 a en effet rétabli les droits de donation et de succession à compter du 1er janvier 2007. Elle prévoit désormais que le conjoint, les héritiers ainsi que les donataires en ligne directe bénéficient chacun d'un abattement d'un million d'euros sur leur part nette avant d'être taxés au taux de 4 %. L'importance de cet abattement conduit ainsi à exonérer la majorité des transmissions de cette nature. Pour les transmissions au profit de parents jusqu'au quatrième degré, aucun abattement n'est pas pratiqué et le taux d'imposition est de 6 %. La faiblesse des taux d'imposition institués explique que l'Italie continue à figurer parmi les pays les plus attractifs en matière de transmission du patrimoine.
Un autre groupe de pays, parmi lesquels figurent la Grande-Bretagne et la Belgique, ont choisi d'encourager la transmission anticipée du patrimoine sans pour autant supprimer toute fiscalité des transmissions.
Ainsi, ces deux pays ont pour trait commun d'exonérer fiscalement toutes les donations, quel que soit le lien de parenté entre le donataire et le donateur, dès lors que ce dernier ne décède pas dans les sept ans (Grande-Bretagne) ou les trois ans (Belgique) de la transmission.
En dehors de cette règle, la Belgique applique des droits de succession comparables à ceux qui existent en France (ainsi, la tranche marginale la plus élevée, atteinte à partir de 500 000 euros, est taxée à 30%) tandis que le système anglais est globalement très attractif en raison, d'une part, de l'exonération totale de droits applicables aux transmissions entre époux et, d'autre part, d'un abattement très significatif de 396 000 euros applicables à tous les donataires et héritiers.
Enfin, la Belgique comme la Grande-Bretagne appliquent un régime spécifique en matière de transmission d'entreprises, lequel - contrairement à la France - concerne aussi bien les transmissions pour cause de décès que les libéralités consenties entre vifs. Le régime adopté par ces deux pays est globalement plus attractif que le régime français (existence d'abattements significatifs, conditions d'application du régime spécifique moins restrictives qu'en France…).
Un groupe de pays à la fiscalité comparable à celle qui existe en France
D'autres états européens, comme l'Allemagne, l'Espagne et la Suède, connaissent un système proche du système français. Ainsi, en Allemagne, les droits de donation et de succession sont calculés de la même manière qu'en France, après déduction d'un certain nombre d'abattements qui varient selon la nature du lien de parenté en cause. La progressivité du taux d'imposition des successions et des donations est toutefois plus lente en Allemagne qu'en France.
La situation est encore légèrement différente en Suède et en Espagne, qui appliquent des abattements très faibles conjugués à des seuils d'imposition parmi les plus bas d'Europe. En revanche, au sein de ces deux pays, et notamment en Espagne, la transmission d'une entreprise se déroule dans des conditions plus favorables que celles qui sont imposées par le système français.
Les réformes auxquelles il a été procédé en 2006 et 2007, sans remettre en cause les fondements du droit des successions (principe de la taxation des successions, imposition par tranche, existence d'abattements et de réductions d'impôts) ont néanmoins simplifié et adapté celui-ci à une nouvelle réalité sociologique et économique. Ce faisant, ces textes ont permis à la France de rejoindre un groupe de pays qui, au sein de l'Union européenne, appliquent des règles comparables. Cette évolution, en ce qu'elle concerne notamment la délicate question de la transmission des entreprises, est à replacer dans le contexte plus global de la concurrence fiscale, phénomène qui contraint les pays européens à préserver l'attractivité de leur système socialo- fiscal de manière à prévenir les risques de fuite des capitaux.
III) Le pouvoir du lobbying et ses limites
Les dangers d'un exercice insuffisamment encadré du lobbying
Mal encadrée, la pratique du lobbying peut être dangereuse ; le risque majeur est celui du trafic d'influence, c'est-à-dire de la tentative de corruption d'élus ou de fonctionnaires. C'est principalement pour cette raison que le lobbying a eu longtemps mauvaise presse en France, où il était volontiers perçu comme une entrave au libre exercice de la volonté générale. L'autre risque majeur est celui de la manipulation : il n'est pas rare de voir des lobbies commander des études d'opinion largement orientées, dont la finalité est avant tout d'apporter la preuve que les préoccupations du lobby sont aussi celles d'une large partie de l'opinion publique, quitte à prendre, pour cela, des libertés avec la rigueur scientifique qui doit pourtant prévaloir en de telles occasions. Le lobbying des laboratoires pharmaceutiques a ainsi franchi à plusieurs reprises la ligne jaune.
Ces écarts ne sont pas nouveaux : l'essayiste américain Vance Packard soulignait déjà en 1958 le danger que les lobbyistes truquent la vérité et détournent au profit de leurs clients les moyens de communication. Toutefois, la multiplication, ces dernières années, d'affaires mettant en cause le comportement des lobbyistes, en particulier au Parlement européen, a conduit certains à s'interroger sur l'opportunité d'une réglementation visant à limiter leur pouvoir.
Une fonction de plus en plus nécessaire
Les lobbyistes jouent néanmoins un rôle globalement positif dans un contexte de crise généralisée de la représentativité. L'apport d'informations est nécessaire à la prise de décision : les groupes d'intérêts mettent à disposition des hommes politiques, des cabinets ministériels et des groupes parlementaires un travail d'expertise considérable, qui les sensibilise aux conséquences de leurs décisions et les aide à l'élaboration de compromis. Ce travail d'éclairage de la décision publique est particulièrement utile auprès des institutions communautaires : souffrant d'un certain "déficit démocratique" lié notamment à leur mode d'élection, celles-ci ont tout à gagner d'un contact étroit et régulier avec les représentants de la société civile européenne.
Il n'en reste pas moins vrai, naturellement, que le lobbying doit rester un moyen d'assurer, non le triomphe des intérêts catégoriels, mais l'expression des différents intérêts particuliers. Il doit se contenter d'éclairer le pouvoir, non le soumettre à sa volonté. C'est dans cette perspective qu'un travail de moralisation de la profession a été accompli dans plusieurs pays, à travers la mise en place d'une réglementation garante de la transparence et du respect de la démocratie. Au niveau de l'Union Européenne, la réglementation du lobbying est actuellement en chantier. Après plusieurs vaines tentatives au début des années 1990, l'Union Européenne impose à présent aux lobbyistes de s'inscrire dans un registre public pour avoir le droit de circuler, munis de laissez-passer nominatifs, dans l'enceinte du Parlement européen. Mais ces laissez-passer n'autorisent que l'accès aux réunions publiques et leur obtention implique de se soumettre au respect d'un code de conduite strict. Les lobbyistes ont eux-mêmes entrepris de fixer des règles pour l'exercice de leur profession. Conscients que leur image devait être défendue, notamment auprès des médias, ils ont créé en 1990 l'Association Française des Conseils en Lobbying, laquelle a défini un code de déontologie applicable à ses adhérents.
Conclusion
La crise de la représentativité qui secoue les sociétés occidentales se décline non seulement sur le plan politique, mais aussi sur le plan économique et social. Elle explique la volonté des associations, des entreprises ou des fédérations professionnelles de mieux se faire entendre sur la place publique. Dans ce contexte, s'il parvient à conquérir sa légitimité, le lobbying a toutes les chances de connaître un véritable essor dans les années à venir.