Le président de NewCode Conseil plaide pour un nouveau contrat entre l’entreprise et l’investisseur en capital.
La transition énergétique et la sauvegarde de l’habitabilité de la planète sont des enjeux majeurs. Ils doivent être adressés au travers de la mobilisation des acteurs de l’économie : l’État, les individus, les entreprises.
Cette mobilisation ne peut résulter simplement de la contrainte exercée par l’un sur les deux autres. On peut bien sûr légiférer, mais cela ne suffira pas. Les efforts nécessaires pour résoudre la question planétaire sont trop importants, ils ne seront possibles qu’avec l’établissement d’un réseau de volontés concordantes soutenu par plutôt que résultant de la réglementation.
Pour l’État comme pour les individus, cette volonté sera politique. Réjouissons-nous qu’elle semble bien née, et gageons qu’elle prospérera, en tous cas tant qu’on pourra différer une révision drastique des modes de vie.
Reste la troisième composante, l’entreprise. C’est la plus importante puisqu’elle produit les biens et services consommés par les individus, paie les salaires et retraites qui permettent aux individus d’acquérir ces biens et services, et pour ce faire consomme l’énergie et produit les déchets dont il faut maintenant réduire l’impact.
Accessoirement, l’entreprise est aussi l’endroit où les individus passent une grande partie de leur temps conscient pendant une grande partie de leur existence. C’est donc là que les individus pourraient avoir le plus d’impact sur la question planétaire, pour peu que leur volonté puisse influencer celle de l’entreprise.
Oui mais voilà, les entreprises peuvent-elles vouloir ? Comment faire en sorte que les entreprises veuillent contribuer à résoudre la question planétaire, au-delà de leur simple conformité réglementaire ?
Pour vouloir il faut d’abord exister.
Dans notre système pourtant fondé sur la libre entreprise, cette dernière n’existe qu’au travers d’un statut juridique a minima, la société par actions, qui en fait le prolongement de la volonté de l’actionnaire. Elle ne peut rien vouloir qui ne soit conforme à l’intérêt de ce dernier. Or l’actionnaire considère sienne la valeur de l’entreprise, et ne souhaite pas la voir réduite par la prise en compte d’une responsabilité énergétique et environnementale qui dans certains cas pourrait aisément en emporter la moitié.
Il en va donc du péril climatique et environnemental comme des autres vices majeurs de notre système - le désengagement des employés, la pression sur notre système de protection sociale, la négligence des territoires. Ils ne peuvent être corrigés efficacement par des entreprises structurellement obsédées par la performance financière.
Il nous faut donc une transformation existentielle, l’émancipation de l’entreprise de la domination de l’actionnaire, et la naissance en elle d’une volonté autonome d’agir selon son intérêt propre, un intérêt déterminé dynamiquement au travers de la concertation régulière de l’ensemble de ses parties prenantes, au premier rang desquelles la planète. Attention cette émancipation doit être réelle, il faut non seulement une gouvernance équilibrée, mais il faut aussi la libérer de son objectif statutaire de maximiser le profit. Il faudra donc redéfinir le contrat qui lie l’entreprise et son investisseur en capital, en y instituant une relation de client à fournisseur. L’investisseur est le fournisseur d’une ressource essentielle de l’entreprise, il peut demander une rémunération satisfaisante mais l’entreprise doit pouvoir contrôler contractuellement cette dernière.
Ce ne sera pas le plus facile, mais à bien y réfléchir c’est déjà le cas pour la ressource financière externe la plus importante en volume, c’est-à-dire l’endettement. On demandera donc à l’infrastructure financière de mettre à disposition des entreprises une ressource financière « junior » non hégémonique.
Une fois cette étape franchie comment faire s’exprimer la planète dans l’organe de gouvernance d’une entreprise émancipée ?
On peut déjà compter sur les parties prenantes non financières, employés, territoires, système de protection sociale, pour faire valoir, au travers de leur intérêt propre, celui de la planète. Voyez le projet Jéroboam, initiative originale des syndicats CGT et CFE CGC à l’occasion de la mise en bourse de Verallia, gros producteur de bouteilles en verre. Au premier rang des propositions avancées, l’adoption d’un statut d’entreprise à mission, avec une mission centrée sur l’amélioration de la performance environnementale des produits et processus de production… Mais il pourra être nécessaire de mettre en place une représentation plus directe des enjeux planétaires, s’assurer de la présence dans l’organe de gouvernance d’un représentant qualifié, aux cotés peut-être d’un représentant de l’autre grand absent des conseils d’administration, notre système de protection sociale.
Ainsi nous mettrons fin à ces stratégies et plans d’affaires dépassés qui négligent, pour ne pas dire parfois maltraitent, employés, territoires, politiques et planète pour satisfaire les actionnaires. Ils céderont la place à des projets d’entreprise consensuels, qui replaceront en leurs centres les enjeux sociétaux, environnementaux et humains, en s’assurant bien sûr - mais cela doit être une disposition contractuelle, plutôt qu’un objectif statutaire -, d’offrir une rentabilité satisfaisante, plutôt que maximale, à des investisseurs responsables.
L’avenir de notre système, et celui de la planète, ce n’est plus la course à la valeur financière, c’est l’émancipation de l’entreprise.