Mi-février 2020, le risque épidémique de la Covid-19 se renforce progressivement. Fin février, la vague pandémique semble inévitable, le monde entier va devoir faire face. Se profile ainsi une crise sanitaire sans précédent entrainant une crise massive de l’économie réelle à laquelle aucune entreprise n’est totalement préparée. Aucune ? Ce n’est pas certain. Les entreprises ayant renforcé la qualité de leur gouvernance, en investissant dans la prévention et la gestion des risques, sont probablement plus à même que d’autres de faire face à une telle crise.
Même si cette crise s’avère être d’une ampleur et d’une durée inédite, elle n’est cependant pas la première à perturber le bon fonctionnement simultané de l’entreprise et de son écosystème. Eyjafjallajökull, le volcan islandais dont l'éruption a paralysé l'Europe en 2010[1], l'accident nucléaire de Fukushima le 11 mars 2011[2], ou encore sur le territoire français, l’incendie de l'usine Lubrizol et de ses stocks de produits chimiques, le 26 septembre 2019[3], comme également divers événements climatiques ayant marqué les esprits (Lothar & Martin, Katrina, etc.) sont autant d’illustrations qui rappellent l’omniprésence du risque et son caractère parfois systémique[4]. Face aux incidences et risques en cascade qu’un événement peut provoquer, touchant même des économies géographiquement lointaines, des entreprises a priori non concernées, il est devenu impératif pour les entreprises d’anticiper en amont, pour être en capacité d’activer à chaud des stratégies leur permettant de réagir et « d’encaisser » les chocs de toute nature. Parmi les premières d’entre elles : l’activation de la cellule de crise et d’un Plan de Continuité d’Activité (PCA)[5] préparé et idéalement testé en amont de toute crise par l’Entreprise.
L’activation de la cellule de crise
On imagine malaisément un marathonien se lancer dans sa course sans un minimum de préparation, comme un entrainement préalable adapté, la gestion de son effort pendant la course, le test de ses capacités musculaires sur une côte, son ravitaillement, son besoin vital en eau, etc. Il en va de même pour l’entreprise qui, dans une crise, va devoir prendre en compte les conséquences de multiples paramètres sur tous ces systèmes de fonctionnement (arrêt du travail sur les sites de production, de distribution ou de vente, arrêt des transports de livraison des produits des sociétés sous-traitantes, arrêt ou transformation des missions des salariés, fraudes, vols, surveillance des sites et des locaux, cyber attaques, état des capacités financières, mesures gouvernementales, etc.), évolutifs, afin d’en contrer les impacts, voire si possible de mettre en jeu ses couvertures assurantielles pour revenir au plus vite à une situation équivalente à l’avant crise.
Pour réagir en situation de crise, souvent sous stress, la préparation en amont est clef. Une fois les risques identifiés et réduits dans chacun des grands processus de l’entreprise, cela passe notamment par la formalisation du processus de gestion de crise et du PCA.
Au sein d’une grande entreprise ce sont même, selon les événements, plusieurs cellules de crise qui peuvent être activées concomitamment que ce soit à des niveaux organisationnels différents (Groupe / Région ou Zone / Pays) ou sur des thématiques différentes (stratégique / opérationnelle).
Pour gérer une crise d’importance, l’entreprise va mobiliser les ressources humaines et moyens techniques dont elle dispose. Dans un esprit de transparence, essentiel pour faire face, les fonctions clés (DAF, DRH, Communication, Risk Manager, Communication, RSSI[6] …) vont partager leurs expertises et analyses, éventuellement assistées de prestataires externes, afin de les présenter aux décideurs opérationnels
Tout démarre par l’activation de la cellule de crise
Si l’entreprise, grâce au Plan de Continuité d’Activité, possède un socle pour agir face à un événement, ce dernier emporte son cortège d’imprévus, de risques interconnectés, souvent différents de ceux diagnostiqués en amont. C’est notamment ce delta entre le prévisible et l’imprévu ainsi que les conséquences de ce décalage que la gestion de crise va devoir résoudre. Ici, précisément, le terme « résilience » prend toute sa force. Il s’agit pour l’entreprise d’être dans une acceptation active de l’événement pour pouvoir le surmonter au mieux et rebondir au plus vite. Le cas de la crise sanitaire et économique provoquée par la Covid-19 est, à cet égard, riche d’enseignement. Le cas d’une entreprise ayant conclu un marché d’approvisionnement de pièces détachées avec un fournisseur géographiquement très éloigné permet de saisir les contraintes provoquées par une des conséquences majeures induite par cette crise : le confinement, autrement dit, la restriction brutale de la liberté de circuler et d’échanger décidée par un état. Arrêt des transports, rupture de la supply chain, c’est-à-dire fermeture des sites d’assemblage et de production, délais de livraison du produit fini étendus, mise en chômage partiel de tout ou partie du personnel, incidences financières liées l’inexécution des contrats. Mais aussi, arrêt de certaines transactions financières, suivi et écoute des salariés dont la vie professionnelle et personnelle a été affectée par le virus. Et concomitamment, alors que l’événement continue de percuter la bonne marche de l’entreprise, la cellule de crise doit déjà anticiper la reprise d’activité mais également celle de l’épidémie …
C’est toute la raison d’être du Risk Management en situation de crise qui, porté par le Risk Manager, s’il existe dans l’entreprise, et en étroite collaboration avec les membres de la cellule de crise, doit proposer des pistes d’action précises et coordonnées aptes à permettre de traiter au mieux chaque événement.
Les actions de l’Entreprise doivent en outre prendre en compte d’autres paramètres, externes, qui peuvent rebattre les cartes, dévier le cap pris et conduire à modifier les plans d’action mis en œuvre. Parmi eux, les décisions et impératifs provenant de l’Etat et ayant force de loi. Celle de prolonger le confinement, par exemple, repousse d’autant la reprise d’activité, seule capable de permettre à l’Entreprise de produire la richesse nécessaire à sa pérennité et à son développement. Autre situation spécifique à cette crise, le port du masque, condition sine qua non d’un retour à la liberté de circuler et, de fait, de pouvoir se rendre sur les lieux de production, de distribution etc. L’entreprise n’a alors d’autre alternative que de se conformer à la prescription, d’y adapter son fonctionnement, se trouvant confrontée à la rupture d’autres supply chain, notamment en France celles de la production et livraison desdits masques.
Le travail de la cellule de crise consiste donc à tenir compte, tant des éléments sur lesquels l’entreprise conserve une maîtrise opérationnelle, que d’autres qu’elle subit ou dont elle dépend, directement ou indirectement. Le Risk Manager, contributeur voire animateur de cette cellule de crise, doit tenir compte d’un environnement plus ou moins stable, et sa veille, de chaque évolution de l’événement dans toutes ses dimensions, va nourrir la cellule de crise et permettre une prise de décision objectivée au mieux des possibilités. Il se trouve donc confronté à un tsunami d’informations dont il va devoir évaluer les écarts, par exemple, entre les informations officielles et celles de relais locaux (par exemple la reprise du travail dans une zone éloignée), lui permettant de profiter d’un retour d’expérience terrain et de partager une information affinée pour mieux d’anticiper les actions à venir.
Toutes les entreprises n’ont cependant pas les moyens humains ou financiers de mettre en place une telle organisation, ou de la maintenir effective sur une aussi longue période. En revanche, chaque entreprise a la capacité d’anticiper, non pas forcément les situations, mais la mise en place d’une boîte à outils à même de lui permettre de construire au fil des besoins la réponse la plus adaptée à la situation. Ce qui soutiendra une entreprise dans ses actions au cœur de la crise, c’est avant tout la prévention faite en amont. Pas seulement des risques traditionnels, tel l’incendie, mais de tous les risques auxquels elle peut être confrontée. Des risques de toute nature (environnementaux, cyber, fraude, réputation, etc.) et en perpétuelle évolution, des risques dont la survenance peut être concomitante.
C’est bien la gestion des risques, pensée et mise en œuvre en amont, qui permet d’activer avec davantage d’efficacité la gestion de crise pour construire cette résilience, nécessaire, de l’entreprise. En somme, la gestion de crise est le prolongement appliqué de la gestion des risques activée quand les risques, anticipés ou non, se réalisent. La gestion des risques, s’appuyant aussi sur la bonne application des processus revue par le contrôle interne, aura permis d’identifier a priori les risques potentiels, dont les cas catastrophiques, de les réduire par des actions de prévention[7] ou de protection[8], d’étudier les scénarios possibles en cas de chocs, mais également de les couvrir, notamment, pour certains d’entre eux, par des mécanismes assurantiels établis en amont des accidents en prenant en compte la stratégie préventive mise en en place par l’Entreprise.
Vers l’entreprise durable
De l’avis d’un Risk Manager, (par les temps qui courent, masqué), d’une entreprise pharmaceutique : « La gestion des risques est une démarche vertueuse qui profite à l'entreprise mais également à ses partenaires dont les acteurs du monde de l'assurance qui vont réduire leurs propres risques et, partant, à l'économie dans sa globalité. ». En effet, au-delà de la crise actuelle, l'entreprise est soumise tout au long de sa vie à différents stress. Le PCA et le test des options retenues pour réduire l’impact des risques font partie des outils d'une bonne gouvernance, quelle que soit la taille de l'entreprise. L’évènement Covid-19 nous enjoint, pas tant à la prudence, car entreprendre est un risque en soi qu’il est nécessaire de courir, qu’à la prévenance. Le risque de demain ne doit pas priver le chef d’entreprise de son intuition à s’investir sur telle technologie ou tel marché. Ce risque, parce qu’il sera pris consciemment, en tenant compte des contraintes, par exemple environnementales, se fera davantage opportunité. Son intégration, de manière native, dans le processus de création de richesse rend l’Entreprise responsable non seulement de son avenir, mais de tout l’écosystème auquel elle se trouve liée pour créer de la valeur.
Comment sortir d’une crise ?
Préparer la sortie de la crise, c’est en quelque sorte opérer un retour à la gestion quotidienne et éclairée des risques qui permettra une reprise d’activité, plus ou moins progressive selon les cas, tout en renforçant la capacité de l’entreprise à mieux affronter un potentiel nouvel événement disruptif par l’intégration des leçons tirées de cette expérience[9].
Cinq axes d’actions seront privilégiés dans cette étape de sortie de crise :
1. Le maintien d’une gouvernance de crise pour gérer le court terme. On maintiendra la cellule de crise, en l’orientant sur la veille (sanitaire, réglementaire, bonnes pratiques internes et externes) et sur le suivi du bon déroulement de la reprise, particulièrement sur le respect des règles sanitaires, tant sur les sites de l’entreprise que chez ses partenaires. Le facteur humain reste clé dans cette phase. Les responsabilités de l’entreprise et de ses dirigeants sont toujours en jeu.
2. Le retour d’expérience pour nourrir la gestion du moyen terme. L’analyse sans fard de ce qui a été efficace, ou non, tant en termes de procédures, de dispositifs techniques, de protection cyber et industrielles que de comportement humain doit être conduite dans des délais rapides et réalistes par chaque responsable de ces branches au sein de la cellule qui a géré la crise et présentée au management. Cette analyse sera partagée avec tous les acteurs de la cellule de crise et l’on adaptera ce qui doit l’être, notamment dans le contexte COVID-19 en anticipation d’une possible seconde vague de l’épidémie.
3. L’actualisation de la cartographique des risques. On pourra choisir d’intégrer le risque d’épidémie ou de pandémie et ses possibles dérivées : nouvelle vague, potentielle saisonnalité de l’épidémie, échec de la reprise post Covid-19, etc. Les conséquences de la Covid-19 sur les autres risques de la cartographie seront par ailleurs à appréhender en gardant à l’esprit qu’elles peuvent être également sources d’opportunités. A l’issue de ces analyses, les dispositifs de prévention et couvertures d’assurance seront adaptés ou complétés si nécessaire.
4. Renforcer la pédagogie sur le risque, ses impacts, sa gestion, mettre en œuvre les facteurs contributifs de la résilience par un renforcement de la culture du risque. Tout chef d’entreprise sait qu’entreprendre est consubstantiel de prise de risque, de toute sorte et pas uniquement financiers. La pratique effective du Risk Management s’impose dès lors à tous, pour protéger les équipes, les actifs matériels et immatériels, les emplois, la réputation et pérennité de l’entreprise. Quand le risque est géré, les entreprises sont durablement performantes.
5. Dessiner les nouvelles normalités post Covid-19. Constituer des groupes de travail pour identifier les modifications entraînées par la crise de la Covid-19, leurs conséquences au sein de l’entreprise, les opportunités qu’elles révèlent et les risques qu’elles génèrent : hausse du télétravail, accroissement de la part du numérique, nouvelles façons de s’adresser aux clients, aux consommateurs… Redéfinir les équilibres financiers du nouveau modèle de l’entreprise intégrant ces nouvelles conditions d’exploitation.
Bien sortir de cette crise permettra à l’entreprise de renforcer sa performance et d’être mieux préparée à la survenance, inévitable, de la prochaine. Car des grandes crises, rappelle l’Histoire, ont toujours émergé des événements positifs : l’empereur Marc-Aurèle pose ses Pensées durant la peste antonine, Shakespeare s’enferme dans son théâtre durant celle de Londres, et Newton découvre la loi de la gravité confiné à l’université de Cambridge durant une autre de vague de peste. Empruntant ce chemin de la résilience créative, l’entreprise responsable, consciente que le risque est inhérent à son développement, et que sa bonne gestion est la clef de son succès et de sa pérennité, doit pouvoir compter sur ses talents pour améliorer sa valeur,
[4] Ce qui signifie qu'une économie entière est affectée - en tant que système - et non pas seulement une entreprise ou un ménage.
[5] Voir guide AMRAE "Les Plans de Continuité d'Activité" : https://www.amrae.fr/bibliotheque-de-amrae?ref_id=2182&ref_type=publication
[6] DAF : Directeur Administratif et Financier, DRH : Directeur des Ressources Humaines, RSSI : Responsable de la Sécurité des Systèmes d’Information
[7] Prevention : action sur la fréquence de réalisation des risques
[8] Protection : actions sur l’impact des risques
[9] Alors que Winston Churchill travaillait à la création des Nations unies après la Seconde Guerre mondiale, il aurait déclaré : “Never let a good crisis to go waste”