Ecole autrichienne

Définition

Vers 1870 est née la révolution marginaliste ; sans s'être concerté, trois grands auteurs (Léon Walras, Stanley Jevons et Karl Menger) ont en effet posé, au même moment, les bases du courant dit néo-classique et ont fondé les grandes écoles depensée qui dominent depuis lors la science économique. Carl Menger est le père fondateur de l'école dite autrichienne, qui se distingue nettement de celles dites de l'équilibre général et qui regroupe les travaux d'auteurs comme Eugen von Böhm-Bawerk, Friedrich von Wieser, Ludwig von Mises, Friedrich von Hayek, Israël Kirzner, Murray Rothbard, Roger Garrison. Cette école est très séduisante intellectuellement, très spécifique : alors qu'il n'est pas toujours facile de reconnaître du premier coup d'œil un raisonnement néo-keynésien d' un raisonnement nouveau classique, les analyses autrichiennes se distinguent nettement, tant sur le fond que sur la forme.

Analyse

Le premier fait marquant de l'école autrichienne est son ancrage en profondeur dans une philosophie sociale. Pour les Autrichiens, l' organisation de la société n'est pas le fruit d'une construction humaine a priori (le constructivisme), mais le produit d'une évolution effectuée par essai et erreur. On peut donc parler, d'une certaine manière, de "sélection naturelle des institutions".

Le constructivisme, voilà l'ennemi !

Descartes se trompe en pensant qu'il n'y a qu'une seule figure de la vérité, celle du raisonnement déductif. On sait que, selon cette prémisse, tout savoir relève d'une analyse rationnelle des causes et des conséquences. Lorsque ce n'est pas le cas, il faut tenter de remonter aux principes et recomposer logiquement leurs conséquences jusqu'au fait que l'on veut expliquer. Depuis Platon, les tentatives d'une explication de la société idéale fondée sur cette méthode n'ont pas manqué. Or, dès que la société devient complexe, ce principe tombe et il n'est plus possible d'en imputer la structure à un quelconque architecte. Sa composition, en effet, dépasse l'entendement. Tout au plus peut-on en juger au vu des résultats et en regardant par quelle voie, faite d'essais et d'erreurs, ils ont été obtenus.

On peut donc dire que la connaissance d'une situation concrète relève le plus souvent d'un savoir pratique qui n'est pas sous-tendu par un savoir théorique. Le bon joueur de billard ré ussit des coups sans passer par une connaissance très complexe de la mécanique et sa réflexion avant de jouer est souvent plutôt réduite. Il en va de même pour l'entrepreneur, thème d'étude central dans la pensée autrichienne , en particulier dans les travaux d'Israël Kirzner (1930 - ).

Cette opposition est capitale dans la pensée Hayek (1899-1992) qui les oppose sous les noms d'ordres organisés (taxis en grec) et d'ordres spontanés (cosmos ). Les premiers sont régis par des commandements, basés sur des règles simples et finalisées, contrôlables par l' organisateur. Les seconds sont régis par des règles abstraites, donc limitatives, jamais prescriptives et de préférence permanentes. On comprendra facilement que cette opposition “ordre organisé” / “ordre spontané” recouvre l' opposition entre les situations simples et les situations complexes. Pour rebondir sur l'hypothèse de rationalité limitée d'H. Simon, les ordres complexes sont nécessairement des ordres spontanés parce que leur organisation dépasse les capacité s de perception et de contrôle du cerveau humain. Faut-il rappeler ici le génie d'A. Smith, qui avait anticipé cette approche dans sa fameuse formule fondant la "liberté naturelle", c' est-à-dire la possibilité pour les acteurs de se lancer dans le grand jeu de l'essai et de l'erreur : "le souverain est complètement déchargé d'un devoir, dont la tentative d'exécution l'exposera toujours à d'innombrables désillusions, et pour l'exécution convenable duquel aucune sagesse humaine ne saurait jamais suffire : le devoir de surveiller l' industrie des particuliers, et de la diriger vers les emplois les plus adaptés à l'intérêt de la société" ( Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations , Paris, PUF, 1995, p. 784).

Alors, comment les sociétés fabriquent-elles ces règles efficaces que les souverains n'arrivent pas à produire ? Tout simplement par le jeu de l'interaction sociale hypercomplexe, exercé ;e au cours des siècles, entre des millions de cerveaux. On voit bien qu'il s'agit d'un processus impossible à imiter, mê me par le meilleur des organisateurs, et donc impossible à surpasser. Comme le dit Hayek, "l'expérience acquise par les observations des générations incorpore plus de connaissances que n'en possède aucun individu". Elles dépendent souvent les unes des autres et, comme pour le système de prix, les ingérences é tatiques n'y mettent que du désordre. Ces interventions mé connaissent en effet la raison d'être de ce qu'elles suppriment et introduisent leurs propres préoccupations parasites.

On reconnaîtra le dilemme : tous les jours, la presse est pleine de ces désordres bien réels qui marquent le fonctionnement de la société ; tous les jours elle presse les hommes d'Etat de s'appliquer à y mettre fin. Pour y parvenir, rien de tel que ce bon vieux principe : "ce n'est pas rationnel donc je vais y mettre de l'ordre". Et, de mesure correctrice en mesure correctrice, on finit par aboutir à une cascade de lois et de mesures qui brouillent le jeu des acteurs. C'est que, dès le départ, on ne s'é tait pas intéressé à comprendre pourquoi les gens font ce qu'ils font.

Hayek voyait dans cette attitude un "excès de rationalisme". Ce constructivisme est fondé sur la surestimation de l'intellect des décideurs et sur la mésestimation ou la sous-estimation de la rationalité des acteurs. Ce qu'il appelle encore l'arrogance meurtrière , du titre anglais de son dernier ouvrage, est donc un péché d'orgueil, une prétention à se placer au-dessus de l' humanité. La prétention au moins implicite des planificateurs est d'usurper le pouvoir d'initiative sociale pour le concentrer entre leurs mains, au détriment de l'ensemble des cerveaux qui interagissent, mais dont on ne peut saisir la cohérence d'une simple vue de l'esprit. Pour reprendre un autre mot très utilisé par Hayek, il s'agit d'une superstition.

Théoricien de la tradition, au sens de ce que les géné rations se transmettent et nous transmettent, Hayek a passé sa vie à défendre et illustrer la supériorité de "l'information tacite", des faits que nous ne pouvons pas tenir expressément à l'esprit au moment de faire un choix ou de porter un jugement de valeur : soit que nous ne puissions pas en pratique élucider leur origine parce qu'elle est trop complexe ou parce que nous l'avons oubliée, soit du fait des limites de la pensée abstraite par nature forcée de ne tenir compte que d'un petit nombre de faits pertinents à la fois.

Si la critique de la planification soviétique a servi de point de départ à ses travaux ( La route de la servitude , 1944), ils ont connu leur plein épanouissement dans les années 1970, avec la trilogie Droit, législation, liberté qui a certainement contribué à desserrer l'entrave de l'interventionnisme pointilleux de l'Etat dans un certain nombre de pays développés au bénéfice du système de prix. Mais lorsqu'on se souvient que 36 % seulement des Français estiment que "l'économie d'entreprise et le systè me de marché sont le meilleur système pour construire le futur" (sondage GlobeScan disponible sur http://www.globescan.com ), on voit que sa force de conviction s'est heurtée et se heurte encore à de nombreuses résistances qui ne sont pas toutes rationnelles.

Une méthodologie particulière

Ludwig von Mises (1881-1973) refuse tout à la fois le positivisme et l'historicisme. Selon lui, la démarche inductive propre aux sciences exactes est inapplicable aux sciences sociales, en raison du manque de stabilité du champ social et de la nature complexe de l'expérience sociale. C'est pourquoi il rejette la mathématisation de l'économie, une position typiquement autrichienne qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Cette critique de la démarche newtonienne en sciences sociales le rapproche d'un de ses illustres contemporains, Max Weber. Mais Mises marque une distance très nette avec Weber en rejetant également l'historicisme et le relativisme : les sciences sociales ne doivent pas, selon lui, renoncer à formuler des propositions générales. Les lois universelles sont nécessaires à la dé marche scientifique. Elles se fondent sur l'apriorisme, en droite ligne de la pensée kantienne. C'est à cette condition seulement qu'une connaissance générale des phénomènes é conomiques est possible.

Cette base épistémologique fonde l'approche autrichienne de l'économie : subjectivisme et individualisme méthodologique. L'économie est une science de l'action humaine. Le raisonnement des néoclassiques leur paraît donc spécieux – même s'ils pensent avec eux que la liberté des acteurs ne conduit pas au désordre – car l'économie n'est jamais en équilibre, elle n'est qu'une succession de désé quilibre, de déstabilisation des positions qui fondent le progrès des sociétés. Chaque action, c'est-à-dire, par exemple, chaque satisfaction d'une préférence, crée une insatisfaction nouvelle, donc un déséquilibre qui, à son tour, engendrera une action…

La figure de l'entrepreneur

C'est ce mécanisme qui fonde la figure de l'entrepreneur, clé de voûte de l'école autrichienne. Pour les économistes autrichiens, ce terme ne désigne pas un métier, mais le simple fait de rechercher de l'information pour moduler son action. En suivant cette définition, l'action des entrepreneurs sur le marché exprime l'inconcevable richesse des traditions, une somme gigantesque d'informations acquises au cours des années, ainsi qu'une connaissance des situations de fait qui échappe au savoir livresque et ne peut s'acquérir que par l'expérience.

L'entrepreneur est, dans la tradition autrichienne, celui qui parvient à anticiper en partie les événements futurs, s'y prépare et crée l'environnement capable de générer les conditions qui seront favorables à la réussite de ses plans. Ainsi, selon Kirzner, "évoquer la vision entrepreneuriale, c'est souligner, par l'emploi d'une métaphore, les pouvoirs coordinateurs formidables et salutaires de l'imagination humaine". L'incertitude du futur n'est pas considérée comme un handicap pour l'action mais bien au contraire comme une condition essentielle de la liberté, permettant à l'entrepreneur de réaliser son intuition. L'entrepreneur recourt alors à la firme, que les économistes de l'école autrichienne perçoivent comme la structure destinée à créer un cadre cognitif commun entre les agents, afin, par le biais de contrats, de réaliser le projet de l'entrepreneur. La firme permettra à celui-ci de placer des barrières à l'entrée, s'assurant que les salariés renonceront, contre une rémunération convenue d'avance, à leurs propres représentations entrepreneuriales.

Cette fonction de découverte des opportunités et d'anticipation du futur est stimulée par la concurrence, définie par Hayek comme "une procédure de découverte de ces faits qui, sans son intermédiaire, ne seraient connus de personne, ou du moins non utilisés". La concurrence dans son acception autrichienne est moins un état statique voisin de la concurrence pure et parfaite des néoclassiques qu'une expression de la liberté, propre à l'économie de marché. C'est ce qui fonde leur distance critique vis-à-vis des législations antitrust qui sont encore souvent le paravent de la défense légale de monopoles privées et une limitation à la liberté créatrice de nouveaux entrants potentiels.

Combat contre le socialisme

La tradition autrichienne débute à une époque où les débats sont passionnés. Mises, dans les années 20, publiera plusieurs plaidoyers contre le collectivisme, relayé ultérieurement par Hayek.

Le débat sur le calcul socialiste avait émergé à la fin du 19ème siècle. Les marxistes et autres critiques du "laissez-faire" considéraient que le marché libre avait échoué et que seul une autorité extérieure au marché, dotée de tous les instruments de production et de distribution, pourrait allouer les produits de façon efficiente et équitable. Le débat avait été lancé par un économiste walrasien influencé par Pareto, Enrico Barone , dans un article de 1908.

Au moins en principe, une économie socialiste pourrait faire aussi bien qu'une économie capitaliste. Puisque, dans le système walrasien, les prix étaient le fruit d'un système d' équation, il suffisait d'accroître les capacités de calcul humain pour que le gouvernement s'en saisisse. Cette attitude intellectuelle était d'autant plus logique que, dans la perspective développés par Walras, les prix devaient être connus avant que les transactions n'aient lieu pour assurer l'équilibre général.

De nombreux observateurs notèrent que durant la Première guerre mondiale les gouvernements européens conduisirent une "guerre économique" qui maintint l'emploi à un niveau é levé et élimina les fluctuations cycliques. Le gouvernement prouva qu'il pouvait être un organisateur efficient. La même chose pourrait-t-elle se produire en temps de paix ? Certains envisageaient même la disparition de la monnaie dans un tel système ; le contrôle par le gouvernement de la consommation "privée" permettrait d'éliminer cette source d'incertitude qui provient de l'éventuelle thésaurisation.

L'argument d'Oskar Lange (1904-1965) est que les prix sont comme des taux de change d'un bien pour un autre. Qu'ils soient établis par un planificateur central ou par le marché est sans intérêt aussi longtemps que les managers des entreprises d'Etat reçoivent l'instruction d'agir comme des cost-minimizers . D'où cette recommandation : laissez le gouvernement agir comme le mythique "commissaire priseur" walrasien à la recherche des bons prix via le tâtonnement . A propos du manque d'incitations dans une telle économie socialiste, Lange note que dans une économie capitaliste moderne, avec la division entre les actionnaires et les managers, les incitations ne sont guère plus fortes. Les techniques de Lange ont été appliquées, au moins officiellement, en URSS. Conclusion : dans un monde de type walrasien, une économie collectiviste pourrait être ni meilleure ni pire qu un système de marché privé.

Ludwig von Mises s'inscrivit en faux contre toute cette logique dans son article de 1920 sur le calcul économique dans une société socialiste. Du fait de la destruction du système des prix, le paradoxe de la "planification" tient à ce qu'il est impossible d'y faire un plan, faute de calcul économique. Ce que l'on dénomme économie planifiée n'est pas une économie du tout ; c'est tout juste un système de tâtonnements dans le noir. Puisque le gouvernement détient les moyens de production, aucun prix authentique ne peut être obtenu.

L'argumentaire de Mises repose sur l'impossibilité de fonder un système économique sur la valeur-travail comme substitut au calcul monétaire. En effet, seule la monnaie, champ d'investigation privilégié des économistes autrichiens, permet une cardinalisation des valeurs. Le travail n'étant pas une valeur homogène, il ne permet pas de fixer la valeur des biens, et donc de fonder un ordre économique. L'appropriation des facteurs de production par l'Etat conduit à l'absence de prix des facteurs, et donc à l'absence de coût d'opportunité de leur combinaison. Les dirigeants socialistes n'ont aucun moyen de découvrir laquelle des différentes méthodes de production envisagées est la meilleure. Quant à l'idée selon laquelle on pourrait bricoler une économie mixte ou un “socialisme de marche”, c'est une escroquerie : “ Either capitalism or socialism: there exists no middle way ” (Mises).

Hayek prendra la suite de Mises dans la critique du collectivisme en approfondissant le rôle de l'information.

Hayek affirmait qu'il était certain que le socialisme échoue comme système économique parce que seuls les marchés libres qui fonctionnent grâce à des individus agissant et échangeant dans leur propre intérêt pouvaient générer l'information nécessaire à une coordination intelligente du comportement social. En d'autres termes, la liberté est une condition nécessaire pour une économie prospère. Mais si l'essai de Hayek exaltant les prix du marché en tant que signaux d'une é conomie rationnelle fut salué comme une contribution féconde, des théoriciens astucieux (dans la lignée de Lange, de Koopmans et de Leonid Kantorovich qui développa la programmation linéaire) "prouvèrent" que la planification centralisée pouvait être modelée afin de pouvoir résoudre (à l'aide d' ordinateurs) le problème d'information que Hayek avait exposé.

Au sein de la profession, ce n'était pas un secret qu'Hayek é ;tait un personnage marginal dont, aux yeux de tout homme raisonnable, les idées avaient été réfutées. Puis quelque chose de bizarre se produisit : la fin du siècle décida de fournir une vérification des querelles universitaires. Les années 1970 virent la prospérité de l'après-guerre se transformer en spirale inflationniste. Le plein emploi ne pouvait pas ê tre maintenu à l'aide des remèdes Keynésiens traditionnels. Soudain, les vieux remèdes classiques devinrent le but de la politique économique d'un bon gouvernement. Les tendances à ne plus accepter le keynésianisme en Occident et le socialisme partout ailleurs commençaient juste à s'affirmer quand Hayek reçut le Nobel d'économie en 1974. De bizarre, il devint gourou. Et un an avant sa mort l URSS disparu. Parfois il faut vivre très longtemps (92 ans !) pour que l'on prouve que vous avez eu raison...

Pour les autrichiens, le socialisme n'est pas seulement de gauche ; ce n'est pas l'apanage d'un parti. Par exemple, dans son Etat omnipotent , Mises s'amusait à rapprocher les dix mesures d'urgence préconisées par Marx dans le Manifeste communiste avec le programme économique d'Hitler (“Huit sur dix de ces points ont été exécutés par les nazis avec un radicalisme qui eut enchante Marx”). Quant a Hayek, dans sa Route de la servitude , il consacre un chapitre aux ``Racines socialistes du nazisme``. Sans surprises, ces deux économistes ont du fuir vers des pays anglo-saxons au cours des années 30.

Le collectivisme n'est pas le seul système dénoncé par les économistes autrichiens. Hayek a également largement dé monté la notion de justice sociale propre à la social-démocratie. Pour Hayek, l'idée mê ;me de justice sociale est un leurre, puisqu'elle revient à attribuer à la société les conséquences d'une action individuelle. Finalement, la notion de justice sociale conduit les gouvernements à un interventionnisme massif qui perturbe le bon fonctionnement du système de découverte des opportunités prévu par l'économie de marché.

Conclusion

"L'économie de marché n'a pas besoin d'apologistes ni de propagandistes. (...) Si vous cherchez son monument, regardez autour de vous." Cette formule de Mises est presque contradictoire avec sa vie car cette démonstration par les faits de la supériorité du marché est, somme toute, peu évidente et il a consacré sa vie à la défense de ce qui n'avait pas besoin "d'apologistes".

Cet auteur impressionne, par ailleurs, par l'ampleur des champs d'investigation explorés: Les cycles économiques, la monnaie, la firme, les anticipations... Par exemple, les autrichiens n'ont pas attendu les monétaristes pour affirmer que les politiques monétaires sont une cause majeure des crises financières et économiques. Ils ont même souligné que les institutions mêmes les rendaient parfois possibles.

Par ailleurs, comme le signale le terme même d'école, les différents travaux sur ces notions sont empreints d'une profonde cohérence intellectuelle. Tous les auteurs affiliés à l'école autrichienne placent la liberté et l'incertitude au cœur de leur analyse. Les Autrichiens font appel aux sciences sociales et humaines lorsqu'ils fondent leur approche sur la liberté individuelle et ses réalisations ; l'approfondissement de la notion d'anticipation amènera par exemple Hayek à s'intéresser à la psychologie.

Les Autrichiens ont toujours considéré que le combat pour les idées est décisif. C'est Mises qui affirmait : “ The tendency toward monopoly and planning is not the result of any “ objective facts” beyond our control but the product of opinions fostered and propagated for half a century until they have come to dominate our policy ”. Mais c'est peu de dire que les autrichiens et néo-autrichiens restent très minoritaires dans le monde académique ; bien peu d'économistes autrichiens ou néo-autrichiens ont é mergé depuis 20 ans. Toutefois, si aucun grand n est apparu, n est-ce pas parce que le travail de la génération de Mises et Hayek a été, au moins dans les pays anglo-saxons, de transformer le contexte réglementaire en essayant de s approcher de la pensée de ces auteurs ?

Annexes

  1.  "Le gouvernement omnipotent", par Ludwig von Mises, extrait. Librairie de Médicis, 1917, disponible sur Internet sur le site de Patrick Madrolle, http://myweb.worldnet.fr

"En traitant les problèmes de politique sociale et é conomique, les sciences sociales ne considèrent qu'une question : savoir si les mesures proposées sont de nature à provoquer les effets cherchés par leurs auteurs ou si elles aboutissent à un é tat de chose qui – du point de vue de leurs défenseurs – est beaucoup plus indésirable que l'état précédent qu'elles se proposaient de modifier. L'économiste ne substitue pas son propre jugement à celui de ses concitoyens au sujet du caractère désirable des fins ultimes. Il se demande simplement si les fins recherchées par les nations, les gouvernements, les partis politiques et l'action des groupes peuvent en fait être atteintes par les mé thodes effectivement choisies pour les réaliser.

"A coup sur c'est une tâche ingrate. La plupart des gens ne tolèrent aucune critique de leurs principes sociaux et é conomiques. Ils ne comprennent pas que les objections soulevées portent seulement sur des méthodes impropres et ne s'attaquent pas aux fins dernières visées par leurs efforts. Ils ne sont pas disposé ;s à admettre qu'ils pourraient atteindre plus facilement leurs fins en suivant l'avis des économistes qu'en le négligeant. Ils traitent d'ennemi de leur nation, de leur race ou de leur groupe quiconque ose critiquer les politiques qui ont leur préférence.

"Ce dogmatisme obstiné et néfaste est l'une des causes qui sont à l'origine de la situation mondiale actuelle. Un économiste qui affirme que des taux de salaire minimum ne constituent pas un moyen approprié pour élever le niveau de vie des salariés ne cherche ni à harceler la main-d'oeuvre ni à nuire aux ouvriers. Au contraire, en proposant des méthodes mieux étudiées pour augmenter le bien-être des salariés, il contribue autant qu'il peut au véritable avènement de leur prospérité ;.

"Souligner les avantages que chacun tire de l'action du capitalisme n'équivaut pas à défendre les intérêts des capitalistes. Un économiste qui depuis 40 ans défend le maintien du système de la propriété privée et de l'entreprise libre ne combat pas pour les intérêts égoï ;stes de classe de ceux qui étaient alors riches. Il veut que la liberté soit laissée aux inconnus parmi ses contemporains sans le sou qui ont eu l'ingéniosité de créer toutes ces industries nouvelles qui rendent la vie de l'homme moyen beaucoup plus agréable aujourd'hui. Beaucoup de pionniers de ces transformations industrielles sont devenus riches, il est vrai. Mais ils ont acquis leurs richesses en fournissant au public des automobiles, des avions, des postes de radio, des frigidaires, le cinéma parlant, et toute une série d'innovations moins spectaculaires, mais aussi utiles. Ces nouveaux produits n'étaient certainement pas une réalisation des bureaux ni des bureaucrates. Pas un seul perfectionnement technique ne peut être porté au crédit des Soviets. L'humanité n'a pas encore atteint le niveau de la perfection technique. Il y a encore place pour des progrès ultérieurs et une amélioration des niveaux de vie. En dépit de toutes les assertions contraires, l'esprit créateur et inventif subsiste ; mais il ne fleurit que là ou la liberté économique existe. (…) Le programme de la liberté é conomique n'est pas négatif. Son but absolu est l'établissement et le maintien du système d'économie de marché basé sur la propriété privée des moyens de production et l'entreprise libre. Son but est la libre concurrence et la souveraineté du consommateur. Conséquence logique de ces prémisses, les véritables libéraux sont opposés à tous les efforts faits pour substituer un contrôle étatique à l'action d'une libre économie de marché. Laissez faire, laissez passer ne signifie pas : laissez durer les maux. Au contraire, ces mots signifient : ne pas intervenir dans le jeu du marché parce qu'une telle intervention restreindra nécessairement la production et appauvrira la population. Ils signifient de plus : ne pas abolir ni paralyser le système capitaliste, qui, en dépit de tous les obstacles placés par ces gouvernements et les politiciens, a élevé le niveau de vie des masses, d'une façon sans précédent."

  1. Entretien avec Hayek (1977) publié dans Reason Magazine par Thomas W. Hazlett. Traduit par Hervé de Quengo et disponible sur son site internet.
  • Hayek : "(…) Je crois que l'économie et les sciences des phé nomènes complexes en général, qui incluent la biologie, la psychologie, etc., ne peuvent pas prendre comme modèle les sciences qui s'occupent de phénomènes essentiellement simples, comme la physique. Ne soyez pas choqué que je dise que la physique s'occupe de phénomènes essentiellement simples. Ce que je veux dire, c'est que les théories dont vous avez besoin pour expliquer la physique ne contiennent que très peu de variables. Vous pouvez facilement le vérifier en regardant l'annexe de formules de tout livre de physique. Vous y trouverez qu'aucune formule qui énonce les lois géné ;rales de la physique ne contient plus de deux ou trois variables. Vous ne pouvez pas expliquer quoi que ce soit de la vie en société à l'aide d'une théorie qui ne se réfère qu'à deux ou trois variables. Le résultat est que nous ne pourrons jamais obtenir de théories que nous pourrions utiliser pour faire des pré ;dictions effectives de phénomènes particuliers. Ceci parce qu'il faudrait introduire dans les formules tellement de données spé cifiques que nous ne pourrions les connaître toutes. En ce sens, notre possibilité d'expliquer et de prévoir les phénomè nes sociaux est bien plus limitée qu'elle ne l'est en physique. Or ceci ne satisfait pas les jeunes gens les plus ambitieux. Ils veulent obtenir une science qui leur donne la même exactitude de prédiction et le même pouvoir de contrôle que dans les sciences physiques. Mê me s'ils savent qu'ils n'y parviendront pas, ils disent "Nous devons essayer. Nous finirons par le découvrir". Si nous nous embarquons dans ce processus, nous voulons avoir une maîtrise des évé nements sociaux analogue à notre maîtrise des problèmes de la physique. S'ils créaient vraiment une société qui soit guidée par la volonté collective du groupe, ceci arrêterait simplement le processus de progrès intellectuel. Parce que ceci arrêterait l'utilisation des idées largement dispersées, utilisation sur laquelle repose notre société, et qui ne peut exister que dans ce processus très complexe que l'on ne peut intellectuellement pas maîtriser. (…)

"J'ai toujours douté du fait que les socialistes puissent s'appuyer sur quelque chose d'intellectuellement solide. Ils ont d'une certaine façon amélioré leur argumentation, mais dès que l'on commence à comprendre que les prix sont un instrument de communication et de conseil, qui englobent plus d'informations que nous n'en avons directement, alors s'effondre toute l'idée selon laquelle on pourrait obtenir par un simple appareil administratif le même ordre que celui basé sur la division du travail. De même pour l'idée que l'on puisse adapter la distribution des revenus à une conception quelconque de mérite ou de besoin. Si l'on a besoin des prix, y compris des prix du travail, pour diriger les gens vers les activités où ils sont nécessaires, on ne peut avoir d'autre distribution que celle du marché. Je pense qu'il ne reste plus rien au socialisme au niveau intellectuel.

  • Reason : Les économies socialistes pourraient-elles exister sans les techniques, les innovations et l'information des prix qu'ils peuvent emprunter au capitalisme occidental et au marché noir interne ?
  • Hayek : Je pense qu'elles pourraient exister comme une sorte de système médiéval. Elles pourraient exister sous cette forme avec une grande famine, éliminant la population excédentaire. C'est toute la question de savoir pourquoi une économie ne doit pas continuer à exister. Mais, quel que soit le progrès économique de la Russie, elle l'a, bien entendu, obtenu en utilisant les techniques dé veloppées à l'Ouest. Je sais que les Russes seraient les derniers à le nier".

 

 

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