Mots clés : Mondialisation, industrie, stratégies d'entreprise, commerce mondial, enjeux logistiques, concurrence Chine
Liens avec les programmes de SES enTerminale sur la mondialisation et du module 3 de prépa ECG en ESH.
Animée par Jean-Marc Vittori, Editorialiste, Les Echos
- Marie-Christine Lombard, Présidente du directoire de GEODIS
- Augustin de Romanet de Beaune, Président-directeur général du Groupe ADP
- Gaël Giraud, Chef économiste à l’Agence française de développement
- Lionel Zinsou, Ancien Premier ministre de la République du Bénin
3 temps forts dans ces échanges entre les intervenants :
« La France serait moins armée que les autres pays dans la mondialisation », cette vision partagée par l’opinion publique française et reprise par J.M. Vittori s’appuie pour lui sur deux constats qu’il va immédiatement relativiser : - un constat macro-économique implacable qui est la récurrence depuis maintenant de nombreuses années de notre déficit extérieur à 2-3 % du PIB.
Or, depuis Mai 2018, l’INSEE a révisé sa mesure de son déficit extérieur avec la passage en « base 2014 » (www.insee.fr/fr/information/3316977) et les nouvelles données sont moins préoccupantes avec un déficit en % du PIB divisé par 2.
- un constat micro-économique qui s’appuie sur la comparaison de la compétitivité française avec notre voisin allemand et notamment avec l’industrie allemande et plus précisément avec l’automobile allemande. Là encore, le journaliste des Echos s’interroge sur ce constat : l’industrie automobile française se porte bien et PSA ne vient-il pas d’acheter OPEL?
De plus, les français ne focalisent-ils pas trop leur niveau de compétitivité sur celle de l’industrie allemande? Ne devraient-ils pas plus se comparer à d’autres pays et dans d’autres secteurs productifs? D’autres données statistiques méconnues des français permettent un relatif optimisme.
Ainsi, L. Zinsou indique le poids important dans la mondialisation des multinationales françaises qui sont plus nombreuses par exemple que les allemandes ou les britanniques. La France est ainsi le 1 er acquéreur d’actifs de production en % de son PIB dans le monde et les stocks d’investissements productifs français à l’étranger (12 milliards) sont 2 fois plus élevés que les stocks d’investissements productifs étrangers en France (600 millions).
Mais ces chiffres doivent être regardés d’un point de vue plus qualitatif puisque comme l’a souligné A. de Romanet de Beaune, la France est un « colosse aux pieds d’argile » car seul un très petit nombre d’entreprises possèdent ces acquisitions et qu’il n’est pas certain qu’elles restent toutes à moyen et long terme dans le giron de la France. Le PDG D'ADP insiste sur la faiblesse des entreprises de taille intermédiaire dans la mondialisation en terme d’exportations et d’IDE notamment face au dynamisme de leurs homologues allemandes. S’appuyant sur le passé de ces deux pays, il explique que la force des ETI allemandes est liée au fait, qu’au 19ème siècle, l’Allemagne comptait plus de 600 princes qui tous se devaient de développer une université pour le prestige mais aussi et surtout une industrie locale florissante pour remplir les caisses du royaume. La noblesse française n’avait, elle, pas les mêmes préoccupations, cherchant surtout à rejoindre la cour et ayant une faible appétence pour l’entrepreunariat. Cette structure spécifique a permis le développement de nombreuses entreprises de taille moyenne en Allemagne et explique en partie la différence en terme de tissu industriel entre nos deux pays.
Les échanges ont été aussi marqués par une réflexion sur la notion de démondialisation, notion aussi abordée lors de l’intervention de Suzanne Berger sur les « tribulations de la mondialisation ».
Pour G. Giraud. Cette démondialisation peut se mesurer par la décroissance relative de la part des exportations dans l’économie mondiale depuis 3 ans. Celle-ci passe de 30 % à 27 % du PIB mondial soit une baisse de 16 000 milliards de dollars. C’est un processus inédit dans la progression ininterrompue du commerce mondial. Il serait le résultat en partie d’un repositionnement de la Chine vers son marché intérieur.
S’appuyant sur une description historique du basculement des économiesmonde (programme de 1ère en Histoire-Géographie), il nous rappelle quelques périodes historiques clé de la mondialisation :
- 1945 : un pays domine le commerce mondial, les Etats-Unis, qui se doivent d’écouler leur production et mettent en place le plan Marshall ;
- 1970 : remise en cause de l’hégémonie de l ‘économie-monde américaine avec la fin des accords de Bretton Woods, les chocs pétroliers et l’apparition de nouveaux concurrents comme la CEE et le Japon ;
- 1990 : la Chine est le premier producteur mondial et répond au besoin de financement des pays occidentaux notamment américains en recyclant ses excédents commerciaux ;
- 2009 : recentrage de la Chine sur son marché intérieur et de son commerce sur ses voisins proches. On assiste donc aujourd’hui à une phase de transition et pour citer G.Giraud à « un bricolage d’un nouvel équilibre mondial » qui est encore loin d’être consolidé.
Cette dernière idée est renforcée par M-C. Lombard qui constate, elle aussi, que les flux de marchandises et donc la logistique qui y est associée évoluent ces dernières années. Les produits fabriqués en Chine restent de plus en plus sur le territoire chinois (de nouvelles lignes logistiques de GEODIS intra-Chine ou intra-Asie émergent). Plus généralement les entreprises recentrent davantage leurs nouveaux investissements productifs sur des zones de production plus proches des marchés. Elle utilise le terme de « régio-localisation ».
Pour elle, cependant le processus de mondialisation est loin d’être terminé car il y a trop d’actifs déjà investis (il serait trop coûteux de rapatrier les entreprises déjà existantes) et que même si vous relocalisez la production, le commerce et la distribution, eux, resteront mondiaux surtout avec le e-commerce (« tout le monde veut acheter du Amazon »). Cette démondialisation possible est-elle à craindre ? Ou pour renverser la question la mondialisation est-elle bénéfique ?
Pour L. Zinsou, l’ouverture économique est source de progrès et ceci dans tous les pays riches comme pauvres. Il rappelle qu’on a divisé par deux le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté en 30 ans et que, spécialiste de l’Afrique, il constate que ce continent bénéficie aujourd’hui d’investissements étrangers incorporant les toutes dernières technologies. Mais pour lui derrière cette vision globale, on ne peut passer sous silence le fait que la mondialisation fait des gagnants et des perdants entre les pays mais aussi au sein de chaque pays. Ce dernier constat est encore plus vrai dans les pays pauvres où les inégalités se sont accrues. Il faut, insiste-t-il,mener une réflexion sur le rôle de l’État pour partager les fruits de la croissance et notamment en Afrique pour une redistribution vers deux catégories qui ne participent pas directement à la création de richesses que sont les jeunes et les plus âgés.
G. Giraud rebondit à ces propos et ajoute que, certes, le nombre de pauvres a diminué dans le monde mais que ce constat est essentiellement dû à la Chine. Il confirme que les inégalités au sein des pays ont augmenté et que si en indice de Gini relatif les inégalités entre pays ont diminué, ce n’est pas vrai en indice de Gini absolu (si A gagne 1et B gagne 100 et si on multiplie ces revenus par 2, la situation est inchangée en relatif mais augmente en absolu). Et sans être des statisticiens émérites, les populations touchées par la mondialisation ressentent cette montée des inégalités comme une injustice surtout que cette même mondialisation diffuse auprès de ces populations les idéaux des lumières en terme de justice sociale.
Cette idée est reprise pour partie dans la conférence « la mondialisation qui fait débat : inégalités, pauvreté, conflits ? »
A. de Romanet de Beaune dans une logique plus économique montre que la mondialisation permet l’apparition d’une classe moyenne dans les pays en développement. A moyen terme, sur 5 milliards de personnes de classe moyenne 4 milliards seront issus de ces pays. Il y a donc un impératif absolu pour les entreprises françaises de s’internationaliser pour conquérir ces nouveaux marchés à fort potentiel de croissance. Pour clore ces échanges, les intervenants ont insisté sur le danger de tomber dans un certain fatalisme à la française.
A. de Romanet de Beaune a présenté les réussites de nombreuses entreprises françaises à l’étranger et ceci dans de nombreux domaines comme SEB, Renault, Essilor ou LVMH.
L.Zinsou a rappelé qu’au début des années 2000 la France n’était pas en déficit à la différence de l’Allemagne et qu’au 19ème siècle le made in Germany était considéré par les anglais comme un marqueur de produits de pacotille…
Cela prouve la réversabilité possible de la compétitivité d’un pays. Cette reconquête française passera peut être par l’économie verte comme l’ont souligné tour à tour M-C. Lombard et L. Zinsou, ce dernier faisant le constat que les entreprises françaises et plus généralement les entreprises européennes sont perçues notamment en Afrique comme étant le meilleur standard mondial en termes social et environnemental loin devant la Chine et les Etats-Unis.