Définition :
Le principe de subsidiarité est un principe de gouvernance s’appliquant dans les différentes sphères de l’activité humaine, selon lequel la responsabilité d’une action doit être exercée par l’organisation la plus proche de ceux qui sont concernés par cette action, le but étant de ne pas déconnecter la prise de décision collective de son exécution. En d’autres termes, cela signifie que l’autorité centrale ne doit effectuer que les tâches qui ne peuvent pas être réalisées à un niveau décentralisé.
L'essentiel :
Si le principe de subsidiarité est une expression récente, contemporaine de l’Union européenne, l’idée est très ancienne. On la trouve d’abord chez Aristote (Politique, I, 2) qui décrit la société comme des groupes emboîtés les uns dans les autres, dont chacun pourvoit à ses besoins propres. Le rôle de la Cité, organe supérieur et directement politique, est de viser à l’autarcie, qu’Aristote définit comme la pleine suffisance du tout, synonyme de perfection. Si les individus et les groupes sociaux sont capables de satisfaire aux besoins quotidiens, ils sont pour autant incapables d’une totale suffisance. C’est le rôle de la Cité d’assurer, non pas le vivre, mais le « bien-vivre » ensemble. Et pour Aristote il n’est pas souhaitable que le pouvoir politique en vienne à tout diriger. Lorsque cela se produit, c’est parce que le pouvoir politique considère les citoyens comme des esclaves, incapables d’assurer eux-mêmes leurs propres affaires. Le pouvoir devient alors despotique, visant l’administration plutôt que la gouvernance. Pour Aristote, le « bon gouvernement » suppose le respect des autonomies locales. On retrouve cette idée au Moyen-Age chez Thomas d’Aquin. Selon ce dernier, si la personne se substitue à l’idée antique de citoyen, l’organisation sociale demeure cependant la même que chez Aristote. La personne est un monde à elle seule, responsable de son propre destin. Le pouvoir politique n’a pas à conceptualiser une vision du bien différente de celle que chacun s’est lui-même assigné. Mais son but est plutôt de « corriger, s’il se trouve quelque chose en désordre ; suppléer, si quelque chose manque ; parfaire, si quelque chose de meilleur peut être fait » (De Regno, I, chapitre XV).
Ce principe sera repris par des penseurs socialistes comme Joseph Proudhon, des auteurs libéraux comme John Locke et John Stuart Mill, et aussi par le pape Léon XIII dans l’Encyclique Rerum Novarum (1891), première formulation de la doctrine sociale de l’Eglise catholique, reposant sur le « principe d’aide », qui affirme que « c’est une erreur morale de laisser faire par un niveau social plus élevé ce qui peut être fait par un niveau social plus bas ». Aujourd’hui, le principe de subsidiarité se décline aussi bien dans la sphère du management que dans la sphère politique.
Au niveau du management, le principe de subsidiarité consiste à positionner le pouvoir de décision le plus près possible de l’action. Il s’agit d’attribuer chaque mission au niveau le mieux à même de l’exercer. La subsidiarité n’est pas à confondre avec la délégation. Dans la délégation, le collaborateur a le pouvoir d’agir, mais la responsabilité est assurée par son manager, qui continue à détenir tous les pouvoirs. Par ailleurs, dans un contrat de délégation, les décisions que le collaborateur est autorisé à prendre sont clairement précisées. Dans la subsidiarité, le collaborateur est autonome dans son action, et ce sont au contraire les décisions relevant de la compétence du manager qui sont précisées, ce collaborateur assumant en outre la responsabilité du résultat final de son action.
Si délégation et subsidiarité relèvent donc de logiques très différentes, il serait pourtant erroné d’en faire des principes d’action antinomiques. Tout dépend des situations. Dans une situation où les règles et les procédures sont incontournables, la logique « top-down » de la délégation permet d’aborder de manière adéquate les aspects négociables et non négociables d’un marché. Dans une situation où l’incertitude domine, et où il faut réagir en temps limité, c’est la créativité et la prise d’initiative qui doivent l’emporter, donc la logique « bottom-up » de la subsidiarité. Les deux principes d’action ne sont pas à opposer : ils sont complémentaires, et adaptés à des contextes différents. Toutefois, aujourd’hui, dans une époque où le développement des entreprises passe souvent par la décentralisation et la responsabilisation des salariés, l’entreprise est souvent confrontée à l’impératif de dépasser une réalité dans laquelle de nombreuses actions et décisions sont inadaptées parce que l’acteur en situation n’a pas la marge de manœuvre et/ou la compétence nécessaires pour décider de manière pertinente. Et le principe de subsidiarité permet bien de répondre à cet impératif, à condition, comme le fait observer Jean-Dominique Senard, PDG du groupe Michelin de 2012 à 2017 et de Renault depuis, « qu’un fort maillage managérial et de solides dispositifs de formation permettent la diffusion des valeurs professionnelles, des principes d’action et des buts de l’organisation ».
Au niveau politique, le principe de subsidiarité a été formellement consacré en Europe dans le traité de Maastricht de 1992, et particulièrement avec l’achèvement du grand marché intérieur de 1993. A cette époque, de nombreux Etats ont eu peur de la prolifération des normes et des règlements émanant de la Communauté européenne. C’est la raison pour laquelle ce principe est apparu comme un moyen de tempérer cette extension.
La signification et la finalité générale du principe de subsidiarité résident dans l’octroi d’un certain degré d’indépendance d’une autorité subordonnée vis-à-vis d’une autorité de niveau supérieur. Appliquée au cadre de l’Union, il sert de régulateur dans l’exercice de ses compétences non exclusives (le traité de Lisbonne de 2007 classe les compétences de l’Union en trois catégories : compétences exclusives, compétences partagées, et compétences d’appui). Il exclut l’intervention de l’Union lorsqu’une question peut être traitée de manière efficace par les Etats membres eux-mêmes au niveau central, régional ou local.
Néanmoins, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009, le nouveau libellé du principe de subsidiarité indique que « l’Union intervient si, et seulement si, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière satisfaisante par les Etats membres, et pourraient l’être mieux en raison des dimensions ou des effets de l’action au niveau de l’Union ». Cette formulation peut inviter à renverser le postulat selon lequel les Etats sont a priori les mieux placés pour agir, si la comparaison des mérites respectifs de l’Union et des Etats permet d’établir que l’Union est mieux placée pour remplir les objectifs de l’action. Or, cette comparaison, qui suggère l’idée d’une moindre efficacité de l’intervention des Etats, et la meilleure performance de l’action de l’Union, souffre à l’évidence d’un certain manque d’objectivité. Dans ces conditions, elle introduit la possibilité d’une lecture visant à rendre plus fréquente l’intervention de l’Union, à moins bien sûr que l’intervention de l’Union soit elle-même mise en doute au regard de l’objectif poursuivi (ce n’est pas parce que les Etats s’avèrent relativement inefficaces sur un certain domaine que l’intervention de l’Union conduit nécessairement à un résultat supérieur). En tout cas, le principe de subsidiarité apparaît bien comme un principe à double tranchant. Conçu et défini au départ comme une digue contre la prolifération des interventions de l’Union, il peut au contraire conduire à justifier les interventions de celle-ci dans les cas (nombreux) où le niveau des Etats est jugé moins performant. En tout état de cause, c’est à la Cour de justice européenne qu’il revient de contrôler le recours au principe de subsidiarité, et aussi aux parlements nationaux qui exercent un contrôle en amont et en aval des actions.
Voir la vidéo d’Emmanuel Macron Redonner du sens au projet européen
Voir le chapitre de Terminale : Quelles politiques économiques dans le cadre européen ?
Trois questions à Jean-Dominique Senard :
1) Que signifie l’application du principe de subsidiarité dans l’entreprise ?
2) Quelles sont les difficultés à surmonter pour mettre en œuvre le principe de subsidiarité dans l’entreprise ?
3) Pourquoi peut-on considérer que l’application du principe de subsidiarité est aujourd’hui nécessaire dans l’entreprise ?