Paradoxe d'Olson

Définition :

Le paradoxe d’Olson décrit un phénomène bien connu sous le nom de « passager clandestin ». Un groupe d’individus présentant un intérêt commun peut très bien échapper à l’action collective si chaque individu se comporte de manière rationnelle.

L'essentiel :

Dans son ouvrage La Logique de l’action collective (1965), l’économiste américain Mancur Olson a contribué à l’émergence d’un changement radical d’analyse de l’action collective en montrant que, quand bien même il existe des intérêts collectifs à défendre, la mobilisation collective ne va pas de soi car un individu donné n’a pas forcément intérêt à y prendre part. L’action collective apparaît ainsi comme une énigme, un paradoxe.

Adoptant la perspective de l’individualisme méthodologique, Olson rompt avec les théories précédentes de l’action collective qui insistaient notamment sur le poids des passions et des frustrations, des idéologies et des systèmes de croyance, mais dans lesquelles l’action collective était conçue comme une sorte d’irruption volcanique qui ne laissait aucune place aux acteurs ou à leurs stratégies. Olson met, au contraire, l’accent sur la logique des intérêts qui peuvent pousser les individus à participer ou pas à l’action collective. Mais il s’intéresse aux intérêts individuels et non aux intérêts de classe comme Marx. Chez ce dernier, en effet, la prise de conscience des intérêts collectifs de classe à défendre marque le passage de la classe en soi à la classe pour soi, passage qui n’est pas pensé comme étant vraiment problématique. A l’inverse, Olson montre que l’agrégation des comportements individuels rationnels tend à rendre improbable la mise en œuvre d’une action collective. Il part de l’hypothèse selon laquelle l’individu rationnel se comporte comme un homo oeconomicus. Pour savoir s’il va prendre part à une action collective (par exemple, une grève), il va donc comparer les avantages qu’il peut en retirer (une hausse des salaires, de meilleures conditions de travail……) et le coût que cela représente pour lui (perte d’une journée de salaire). Or, en raisonnant ainsi, il doit se rendre compte qu’il peut profiter des avantages sans en subir le coût, car les retombées de l’action collective constituent un bien collectif : elles profitent à tous, même à ceux qui n’y ont pas participé. Il est donc enclin à adopter un comportement de free rider (« cavalier seul », qu’on traduit aussi par « passager clandestin » ou « ticket gratuit »). Autrement dit, le fait qu’on puisse tirer des bénéfices de l’action collective sans en supporter les coûts fait obstacle à l’action collective. Or, si tout le monde raisonne ainsi-et tout le monde est amené rationnellement à le faire- il n’y a pas d’action collective possible : c’est en cela que l’on parle de paradoxe.

Olson montre néanmoins que la probabilité de faire cavalier seul varie selon la taille du groupe. Cela est plus probable dans les grands groupes, car chacun aura tendance à penser que la contribution à l’action collective aura une incidence minime sur ses résultats et qu’il pourra bénéficier de l’anonymat, qui met à l’abri des pressions collectives. Dans les petits groupes, à l’inverse, tous les individus savent que l’action de chacun compte et qu’il existe des pressions sociales, affectives et morales plus pesantes, car les relations interpersonnelles sont plus fortes. Toutefois, le paradoxe se retrouve car, pour être efficaces, seuls les grands groupes peuvent disposer de ressources suffisantes pour mener une action collective qui ait des chances de réussir, et les petits groupes sont donc amenés à se fédérer, favorisant ainsi les logiques de free riding.

Cela dit, un fait indubitable est que l’action collective des grands groupes existe. Comment est-ce possible ? Mancur Olson évoque l’existence de mécanismes pour inciter l’individu à participer à l’action collective. Il est possible, selon lui, que les organisations augmentent en taille sans pour autant connaître le ticket gratuit à une triple condition. La première est qu’une autorité (comme un leader charismatique) soit suffisamment forte pour imposer une discipline de participation. Il faut deuxièmement que cette autorité dispose de ressources particularisées, c’est-à-dire d’incitations sélectives qui ne récompensent que les individus respectant la discipline de participation. Ainsi, certains syndicats réservent-ils des privilèges à leurs membres (services bancaires, logements…). A côté des incitations positives, Olson évoque troisièmement des mécanismes de désincitation (incitations sélectives négatives) qui permettent de sanctionner la non-participation : en Grande-Bretagne, l’adhésion aux syndicats a ainsi longtemps conditionné l’embauche dans certains secteurs d’activité.

Malgré tout, il n’en reste pas moins que l’analyse d’Olson présente des limites. On peut se demander pourquoi la rationalité des individus n’irait pas jusqu’à anticiper les comportements rationnels d’autrui : tous les individus rationnels pourraient être amenés à participer en anticipant les conséquences désastreuses que pourrait avoir la non-participation de chacun ! Outre cette difficulté de raisonnement interne, on peut critiquer la démarche utilitariste d’Olson qui véhicule une vision contestable de l’action collective. Olson part du principe qu’il est coûteux de participer à l’action collective, parce qu’il raisonne en termes purement économiques. Or, le coût économique de l’action collective n’est qu’une dimension du choix de l’individu pour lequel la participation peut être source d’autres types de bénéfices importants, de nature sociale ou psychologique, notamment de « rétributions symboliques » (occasions de manifester son identité collective, de développer des liens de sociabilité, d’avoir l’impression de « faire l’histoire » ……). Par exemple, Daniel Cefaï, dans son ouvrage Pourquoi se mobilise-t-on ? (La Découverte, 2008), invite à réhabiliter l’héritage de l’école de Chicago qui comparait la scène publique à un dispositif théâtral où, grâce à l’identification à des personnages publics, l’acteur peut symboliquement jouer un rôle dans le drame social, et ainsi trouver ou renforcer son identité en se positionnant par rapport aux autres acteurs (voir par exemple les interprétations que l’on peut donner du mouvement des Gilets jaunes de 2018 ; et notamment Gérard Noiriel, Les Gilets jaunes à l’épreuve de l’histoire, Editions de l’Aube, 2019).

 

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