Mesure (du Chômage)

Définition :

Méthodes utilisées pour comptabiliser le nombre de personnes au chômage, c’est-à-dire sans emploi et cherchant à en occuper un. Cette comptabilisation permet aussi de calculer le taux de chômage, elle est sujette à controverses.

L'essentiel

Le terme de chômage est ancien, mais il n’a pas toujours correspondu à la définition actuelle selon laquelle une personne est au chômage quand elle est privée d’emploi, en recherche un et est disponible pour travailler. En effet, au début du 19e siècle, la notion de chômage renvoie plutôt à la cessation d’une activité économique : une entreprise est « en chômage » quand son activité à dû cesser. Comme l’ont montré de nombreux travaux socio-historiques, tels que ceux de Christian Topalov ou de Bénédicte Reynaud,  l’acception moderne du terme de chômage apparaît avec l’industrialisation de l’activité et, surtout, la salarisation. Avec ce phénomène, on observe en effet des personnes qui cherchent à se faire employer mais n’y parviennent pas. Certains ouvriers sont ainsi privés d’activité contre leur gré. Le nombre de ces ouvriers peut différer selon le type d’emploi, les régions, et surtout selon la conjoncture économique. Les crises renforcent ce que Marx appelle l’armée de réserve industrielle, c’est-à-dire les personnes au chômage, potentiellement employables.

En France, le chômage devient une catégorie statistique avec le recensement de 1896 : pour la première fois, les ouvriers et employés sans emploi sont distingués de l’ensemble des « sans profession ». Pour être comptabilisé comme chômeur, un individu doit avoir moins de 65 ans et être privé d’emploi depuis moins de deux ans. Comme l’a montré Jacques Freyssinet, cette période est propice à la création d’une catégorie de chômeur car elle est marquée par une double transformation : la salarisation conduit à la fois à ce que le travail soit l’objet d’un échange marchand, qui fait qu’un individu peut ne pas trouver d’employeur et crée une coupure entre le temps de travail et le temps domestique, qui peut conduire à ce qu’un individu ne soit pas occupé pendant le temps supposé de son activité professionnelle.

 

Ce retour en arrière permet d’appuyer l’argument d’Alain Desrosières selon lequel les données du chômage sont emblématiques des opérations de quantification : elles reposent d’abord sur un important travail de convention (définition, codage des catégories), puis un autre de mesure. Pour ce qui est du chômage, il est à noter que dans un premier temps, au-delà du recensement, peu d’organisations mesurent le chômage car cette mesure ne semble pas présenter un grand intérêt. Cet intérêt apparaît quand l’État cherche à mener des politiques en faveur de l’emploi, quand le chômage devient un enjeu important de société. C’est le cas, en particulier, après la crise de 1929, qui conduit à une augmentation importante du chômage. Cette période coïncide aussi avec le développement d’outils tels que les sondages permettant une mesure efficace du nombre de chômeurs. Ces éléments conduisent à ce que Jérôme Gautié appelle une « désindividualisation » du chômage, incitant à étudier les variations du « taux de chômage », rapport entre le nombre de personnes au chômage et le nombre d’actifs. Les agences de placement des chômeurs jouent un rôle majeur dans le développement de la mesure du chômage. Pour elles, la mesure du chômage correspond au nombre de personnes pour lesquelles elles ont une mission de retour vers l’emploi.

 

Ainsi, en France, de nos jours, une mesure du chômage est réalisée par France travail avec la DARES, service statistique du Ministère du travail. Ces deux organisations produisent les statistiques du marché du travail (STMT), de façon mensuelle et trimestrielle. Parmi ces statistiques, la mesure du chômage correspond aux personnes inscrites sur les listes de France travail. C’est une mesure purement administrative, qui renvoie aux personnes inscrites sur les listes de l’agence. Elle peut être sujette à variations quand les conditions d’indemnisation du chômage changent  et est influencée par la durée d’inscription à France travail.

L’inscription suppose une démarche de la part de l’individu, qui doit aussi la réactualiser chaque mois.  Il a pu se produire que des changements dans les modalités d’inscription ou d’actualisation faussent la mesure du chômage d’un mois à un autre. Toutes les personnes inscrites sur les listes ne sont pas dans la même situation, certaines peuvent, par exemple, occuper un emploi. C’est ce qui motive France travail à établir différentes catégories de personnes au chômage : la mesure la plus souvent retenue est celle des chômeurs de « catégorie A », c’est-à-dire les personnes qui sont sans emploi et sont « tenues de faire des actes positifs de recherche d’emploi ». Ils se distinguent des personnes de catégorie B, qui sont tenues de faire des démarches de recherche d’emploi, mais ont exercé une activité de 78 heures ou moins au cours du mois écoulé. Les chômeurs de catégorie C sont dans la même situation que ceux de catégorie B, mais ont exercé une activité réduite longue (plus de 78 heures dans le mois). Les chômeurs de catégorie D (en stage, en formation, en arrêt maladie…) et de catégorie E (en emploi) ne sont pas tenus de réaliser des actes positifs de recherche d’emploi.

 

La mesure par France travail permet de suivre finement l’évolution du chômage sur une assez courte période, avec des données trimestrielles qui sont d’une grande fiabilité. Par contre, elle n’est pas très efficace pour établir des comparaisons internationales, puisque les conditions d’inscription auprès des administrations de placement des chômeurs peuvent différer. Dans certains pays, la mesure statistique du chômage est ainsi réduite aux allocataires d’un revenu de transfert en faveur des chômeurs. C’est alors la mesure réalisée par l’INSEE qui peut être mobilisée. Celle-ci s’appuie sur la définition du chômage établie par le Bureau international du travail (BIT). Parmi les trois critères de cette définition, c’est le fait de rechercher « activement » un emploi qui peut être vu comme subjectif. Pour réduire cette subjectivité, une liste de démarches de recherche d’emploi a été établie avec des actions telles que s’inscrire auprès de France travail, candidater dans une agence d’intérim, visiter un forum des métiers, répondre à des annonces d’emploi… Ces mesures ont été harmonisées et standardisées au niveau européen. L’INSEE les utilise dans son enquête Emploi : les individus interrogés qui se déclarent sans emploi sont questionnés sur chacune de ces actions potentielles. C’est un élément important pour avoir des données du chômage harmonisées au niveau européen. Notons enfin que le recensement peut aussi apporter des éléments de mesure du chômage puisque les individus peuvent s’y déclarer au chômage.

 

Les mesures du chômage établies par France travail et par l’INSEE peuvent différer puisque certaines personnes comptabilisées comme au chômage par l’INSEE peuvent ne pas être inscrites auprès de France travail et, inversement, des personnes de catégorie A selon France travail peuvent ne pas être considérées comme étant au chômage dans l’enquête Emploi.

Surtout, la mesure du chômage est questionnée par la multiplication de situations à la frontière entre emploi, chômage et inactivité. Ces situations conduisent à l’existence de zones floues entre ces catégories, ce qui correspond à ce qu’on appelle le « halo du chômage ». Ainsi, les temps réduits involontaires se situent à la frontière entre chômage et emploi : les personnes dans cette situation sont certes en emploi, mais aimeraient occuper un temps de travail plus important. De la même façon, les chômeurs décourages, les personnes en préretraite ou encore certaines personnes en formation sont à la frontière entre le chômage et l’inactivité. Le travail clandestin, non déclaré, peut se situer à la fois à la frontière entre chômage et emploi ou bien entre inactivité et emploi, selon la situation administrative de la personne qui exerce une telle activité.

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