Définition :
La notion d’« entreprise à mission » fait référence aux sociétés commerciales qui se définissent statutairement, en plus de leur but lucratif, une finalité d’ordre social et/ou environnemental.
L'essentiel :
La réflexion sur l’entreprise à mission est apparue progressivement à partir des années 1980 et de l’affirmation du capitalisme financier. C’est à partir de ces années que l’entreprise, perçue auparavant comme une organisation collective créatrice de richesses, et donc dotée d’une mission d’intérêt général, disparaît dans les codes de gouvernance qui s’intéressent alors avant tout aux sociétés par actions. Les nouvelles règles de gouvernance ne reposent plus sur la maximisation du profit, mais sur la maximisation de la valeur pour l’actionnaire, ce qui peut conduire les entreprises à devoir distribuer des dividendes ou à défendre le cours de l’action en limitant l’investissement ou en accumulant les dettes, stratégie qui à terme peut compromettre la survie de l’organisation. Il résulte de tout ceci une situation paradoxale, puisque l’actionnaire qui est le « propriétaire » supposé de l’entreprise, est en mesure d’imposer des décisions exclusivement centrées sur ses intérêts, alors qu’il est déconnecté de la réalité fondamentale de l’entreprise. Cette gouvernance actionnariale ne correspond évidemment pas à l’essence de l’organisation productive. Au XIXème siècle, au moment de la création des personnes morales de droit privé que sont les sociétés anonymes, le rôle de l’actionnaire n’est guère mis en relief. Quant au paradigme de l’entreprise, il est apparu en France dans les années 1880 en même temps que la multiplication des écoles de commerce et d’ingénieurs, représentant celle-ci comme une organisation bénéfique pour la collectivité, qui associe ouvriers, ingénieurs et actionnaires dans l’organisation de la production. En 1916, Henri Fayol, dans son Traité d’administration industrielle et générale, réduit le rôle de l’actionnaire à peu de choses : la nomination des directeurs.
C’est donc pour éviter une déconnexion préjudiciable de la finance et de la production que les premières formes de sociétés à mission ont été introduites en droit aux Etats-Unis dans les années 2000. Les juristes à l’origine de ces nouvelles formes juridiques partaient du constat qu’il était parfois risqué pour les dirigeants d’entreprises américaines de protéger leurs initiatives en faveur du développement de l’entreprise contre l’exigence de rentabilité des actionnaires. Ces derniers pouvaient en effet engager des poursuites judiciaires contre le « manager », au motif de « manquement aux obligations envers les actionnaires » (breach of fiduciary duties). Trois formes d’entreprise à mission ont été introduites aux Etats-Unis : la Benefit Corporation, adoptée dans plus de 30 Etats et qui compte plus de 2000 sociétés, la Social Purpose Corporation adoptée dans 3 Etats (Californie, Etat de Washington, Floride) dans 150 sociétés environ, et plus récemment la Public Benefit Corporation, adoptée en 2019 au Delaware.
En ce qui concerne la France, jusqu’en 2019, le droit en vigueur ne reconnaissait pas de statut spécifique pour les entreprises à mission. C’est à la suite du rapport Notat-Senard « L’entreprise, objet d’intérêt collectif », remis le 09 mars 2018, après une commande gouvernementale en 2017 destinée à formuler des propositions pour mieux intégrer les objectifs sociaux et environnementaux dans les stratégies de l’entreprise, que la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) est adoptée par l’Assemblée nationale le 11 avril 2019, puis promulguée le 16 mai 2019.
La loi PACTE propose trois étapes amenant à la société de mission. La première étape, c’est la modification du Code civil qui s’adresse à toutes les sociétés. L’article 1833, qui impose à toute « Société » d’être « constituée dans l’intérêt commun des associés », s’est vu ajouter un deuxième alinéa, qui consacre la notion d’un « intérêt social » qui dépasse celui des actionnaires, et affirme la nécessité que toute Société prenne désormais en compte les enjeux sociaux et environnementaux liés à son environnement, au-delà de la simple cause lucrative mentionnée à l’article 1832. Tout dirigeant est maintenant amené à s’interroger sur ces enjeux à l’occasion de ses décisions de gestion. La deuxième étape, qui est une étape facultative, est la « raison d’être » définie comme un « projet entrepreneurial répondant à un intérêt collectif et qui donne sens à l’action de l’ensemble des collaborateurs », compatible avec l’objet social de l’entreprise, qui s’inscrit dans ce « projet de long terme ». La troisième étape, facultative elle aussi, est la société de mission qui vient coiffer ce dispositif, permettant aux sociétés qui se sont dotées d’une raison d’être d’aller encore plus loin en se dotant statutairement d’objectifs sociaux et environnementaux. Cinq conditions sont prévues par la loi pour créer une société à mission : trois conditions internes statutaires, et deux conditions externes de vérification. La première condition est de se doter d’une raison d’être comme évoquée plus haut. La deuxième condition statutaire est de prévoir dans les statuts de l’entreprise des objectifs sociaux et environnementaux que celle-ci se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité. La troisième condition, également statutaire, est de se doter d’un comité de suivi (distinct des organes qui existent déjà dans la Société, comme le Conseil d’administration par exemple). Les deux dernières conditions de vérification sont que l’exécution des objectifs fasse l’objet d’un contrôle par un organisme indépendant (audit externe) et que les modifications statutaires évoquées plus haut soient inscrites au greffe du tribunal de commerce pour vérification.
Il est donc clair que la « société à mission » réhabilite la dimension politique de l’entreprise, avec pour finalité l’amélioration du bien commun. Si la loi française PACTE présente l’intérêt majeur d’affirmer que l’entreprise n’est plus seulement l’affaire du capital, mais celle du capital et du travail, et même de l’ensemble de ses « parties prenantes », on peut regretter que l’entreprise à mission conserve à ce jour un caractère facultatif et qu’elle soit limitée au cadre national. Malgré un demi-siècle de construction en matière de marché commun, de politique de la concurrence, de monnaie unique, l’Europe peine toujours à faire avancer sa dimension sociale. Sera-t-elle capable de promouvoir une conception de l’entreprise qui met en œuvre le principe de « codétermination », permettant d’approfondir la vie démocratique au sein des organisations productives, avec des acteurs agissant de concert sous la bannière du bien commun ?
Lire à ce propos :
Voir le cours de Première : Comment les entreprises sont-elles organisées et gouvernées ?
Trois questions à Pascal Demurger :
1) En quoi la MAIF est-elle une entreprise qui intègre les objectifs du développement durable ?
2) Comment peut-on caractériser le modèle de management de la MAIF ?
3) Pourquoi peut-on dire aujourd’hui que « l’entreprise politique répond à une urgence à agir ? »