Définition :
« L’économie-monde est un morceau de la planète économiquement autonome, capable pour l’essentiel de se suffire à lui-même et auquel ses liaisons et ses échanges intérieurs confèrent une certaine unité organique » (Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVème-XVIIIème siècles).
L'essentiel :
L’économie-monde est donc une économie formant un espace autonome, à ne pas confondre avec l’économie mondiale qui concerne l’économie du monde pris dans sa globalité.
Avant le XVIIIème siècle, plusieurs économies-mondes peuvent coexister au sein de l’économie mondiale et se partager l’espace peuplé de la planète, sans pratiquement commercer entre elles, sauf à la marge dans les régions limitrophes.
D’après Fernand Braudel, le monde a connu depuis ses premiers temps une succession d’économies-mondes qui passent toutes par une phase de naissance, puis de développement, d’âge d’or, et enfin de déclin. Ce processus évolutif s’inscrit dans une durée séculaire. Trois caractéristiques de ces économies-mondes sont à retenir, à savoir un espace géographique dont les limites ne correspondent pas forcément aux limites politiques de l’Etat-nation, un espace polarisé autour d’une ville centrale et dominante, enfin un espace hiérarchisé en zones successives, concentriques, de moins en moins participantes aux échanges, mais aussi de plus en plus subordonnées. L’existence d’économies-mondes est très ancienne. On en trouve chez les peuples de Sumer, en Phénicie et dans la Grèce antique. A chaque fois l’économie s’identifie à un espace organisé autour d’un centre, à savoir une ville-monde qui concentre toute la modernité de l’époque (Tyr, Athènes, Rome…), et qui exerce sa domination sur la périphérie. Depuis le XIème siècle, l’Europe a vu se succéder plusieurs économies-mondes correspondant aux différents centres qui les ont animées tour à tour. Quatre grands centres se sont succédé jusqu’au milieu du XVIIIème siècle, à savoir Venise, Anvers, Gênes et Amsterdam.
Depuis la fin du XVIIIème siècle, le monde a connu plusieurs économies-mondes successives, qui se superposent depuis cette époque avec l’économie mondiale (bien qu’au XIXème siècle de nombreux territoires échappent encore au phénomène de la mondialisation), et qui ont été théorisées par Immanuel Wallerstein avec le concept de système-monde (Comprendre le monde. Introduction à l’analyse du système-monde, La Découverte, 2006) : le sous-développement des pays du Sud serait dû à leur place dans la structure de l’ordre économique international, dans lequel ils forment la périphérie des pays riches.
Tout d’abord, du XIXème siècle jusqu’en 1914, le Royaume-Uni est le berceau de la première révolution industrielle et devient très rapidement « l’atelier du monde ». En 1850, il est de loin la première puissance industrielle mondiale : il produit alors 40% des biens manufacturés de l’époque. Le Royaume-Uni est au centre de la nouvelle économie-monde parce qu’il importe des matières premières de ses colonies et des « pays neufs » (coton, céréales, tabac, thé, …) et qu’il exporte des produits industriels à forte valeur ajoutée dans le monde entier. La domination du Royaume-Uni n’est pas seulement industrielle ; elle est aussi marchande (le Royaume-Uni contrôle 60% du trafic mondial vers 1900) et aussi financière (puisque la livre sterling, fondée sur l’étalon-or, est la devise internationale de transaction et de réserve).
Dès la fin du XIXème siècle, les Etats-Unis deviennent la première puissance économique mondiale, et cette domination s’affirmera à la suite de la première guerre mondiale. En 1945, les Etats-Unis produisent plus de 50% de la richesse mondiale, et les firmes multinationales américaines s’implantent dans le monde entier. L’économie-monde américaine est avant tout continentale et transatlantique, face au bloc communiste dirigé par l’URSS. Le Canada, l’Amérique latine et l’Afrique fournissent aux Etats-Unis les matières premières dont ils ont besoin, et l’Europe de l’Ouest représente le premier débouché pour la production industrielle américaine. La domination américaine est également fondée sur le dollar, monnaie mondiale de référence dans le système de Bretton-Woods (1944). A partir des années 1960, les Etats-Unis bénéficient de la main-d’œuvre des Nouveaux pays industriels d’Asie (les « quatre dragons », à savoir la Corée du Sud, Taïwan, Hong-Kong et Singapour) dans le cadre de la Division internationale du travail (DIT).
Pourtant, dès la fin des années 1960, le modèle américain commence à connaître des limites. Si les Etats-Unis demeurent la seule superpuissance mondiale avec un dollar qui est toujours la monnaie de référence, de nouveaux espaces économiques commencent à s’affirmer, à tel point qu’apparaît le concept de Triade pour évoquer les trois pôles qui prétendent alors se partager la domination mondiale : l’Amérique du Nord bien sûr, mais aussi l’Europe et le Japon.
Depuis les années 1980, le capitalisme s’affirme progressivement à l’échelle planétaire avec l’émergence d’une nouvelle Division internationale du travail qui est une Division internationale du processus productif (DIPP). Dans ce cadre, d’autres puissance économiques voient le jour, dont les principales sont regroupées sous le nom de BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) dont le poids économique ne cesse de croître depuis, puisque ces BRIC représentent déjà aujourd’hui plus d’un quart du PIB mondial. La Chine, la première d’entre elles, est maintenant la première puissance commerciale mondiale, et sera bientôt la première puissance économique mondiale (devant les Etats-Unis). Cette mondialisation nouvelle marque ainsi une nouvelle étape dans la mutation des économies-mondes en une seule économie mondiale que l’on peut qualifier d’« enveloppe des enveloppes ». Le processus de mondialisation n’est toutefois pas achevé car certains territoires demeurent encore à la périphérie de cette économie-monde : les Pays les moins avancés (PMA), et de manière plus générale les Pays en développement (PED) qui sont trop démunis pour pouvoir participer à ce processus d’intégration à la mondialisation. De plus, bon nombre de puissances émergentes conservent encore des caractéristiques du sous-développement : la multipolarisation du monde est toujours incomplète.
3 questions à Stéphane Becuwe :
1) Le concept de système-monde est-il encore pertinent pour déchiffrer la mondialisation actuelle ?
2) Le centre de l’économie-monde est-il en train de basculer des Etats-Unis vers la Chine ?
3) La théorie de l’économie-monde est-elle un prolongement du cadre de pensée mercantiliste ?