Définition :
La domination peut être définie comme un pouvoir qui parvient à s’imposer et à être reconnu comme légitime par les individus qui le subissent.
L'essentiel :
La notion de domination est introduite en sociologie par Max Weber. Dans ses travaux, le sociologue allemand s’interroge sur le pouvoir et ses transformations. Dans Économie et société, il définit le pouvoir, ou la puissance comme « toute chance de faire triompher au sein d’une relation sociale sa propre volonté, même contre des résistances, peu importe sur quoi repose cette chance ». Ce concept est donc très large et Weber le rejette pour cette raison. Il lui préfère la notion de domination, qu’il définit comme « la chance, pour des ordres spécifiques (ou pour tous les autres), de trouver obéissance de la part d’un groupe déterminé d’individus ». La distinction entre pouvoir et domination se trouve donc dans le fait de « trouver obéissance », la domination est « acceptée » par les individus qui la subissent, reconnue comme légitime. La notion de domination nécessite donc de se pencher sur la légitimité du pouvoir, c’est-à-dire ce qui pousse les individus à accepter les ordres qu’ils subissent.
Cette légitimité a, selon Weber, trois sources possibles : la tradition, le charisme et la loi, ces sources étant des « idéaux-types », c’est-à-dire que chaque domination effective peut s’approcher plus ou moins de ces modèles. La domination peut ainsi reposer sur la tradition, « l’autorité de l’éternel hier », elle trouve alors ses fondements dans le fait que les individus ou les groupes ont l’habitude d’obéir à une certaine autorité (c’est par exemple l’obéissance à un pouvoir héréditaire). Elle peut aussi reposer sur le charisme, la « grâce exceptionnelle » d’une personne qui parvient à se faire obéir (Weber donne l’exemple de l’autorité du prophète). Enfin, dans les sociétés contemporaines, la domination prend de plus en plus une forme « légale-rationnelle » : on obéit à des personnes en raison de la fonction qu’elles occupent, de leur place dans la société (exemple de l’autorité du fonctionnaire). Le processus de rationalisation des sociétés conduit au développement de la domination légale-rationnelle.
La notion de domination est l’un des éléments centraux de la sociologie de Pierre Bourdieu. Le sociologue français poursuit les travaux de Weber sur cette notion, qu’il place au coeur de son analyse de la stratification sociale et des inégalités. Dans ses travaux sur l’école, menés avec Jean-Claude Passeron, l’institution scolaire apparaît comme le lieu d’imposition d’une culture légitime et d’une « violence symbolique », qui peut être vue comme l’expression de la domination d’une classe sociale. La culture scolaire est la culture bourgeoise et la réussite scolaire des enfants des classes dominantes conduit à ce que les dominés reconnaissent la position de ces derniers comme légitimes. Par rapport à l’approche de la domination de Weber, Bourdieu et Passeron développent un modèle de la domination basé sur des rapports entre groupes et pas seulement entre individus. Dans des travaux ultérieurs, Pierre Bourdieu indique que la domination a des formes principalement interpersonnelles dans les sociétés « précapitalistes », fondées sur une « logique de l’honneur », alors que les sociétés capitalistes voient se développer une domination entre groupes.
Pierre Bourdieu utilise la notion de domination dans son analyse des pratiques culturelles, dans La distinction, il fonde aussi son analyse des inégalités de genre sur cette notion dans La domination masculine. Dans cet ouvrage, il présente la domination masculine comme l’exemple même de la « violence symbolique », c’est-à-dire comme violence qui n’apparaît pas comme telle, ni à ceux (ici celles) qui la subissent, ni à ceux qui l’exercent. Cela s’explique principalement par le fait que cette domination masculine est intériorisée, et même incorporée par les individus, qu’elle apparaît comme « allant de soi ». C’est d’ailleurs une critique forte qui a pu être faite à cet ouvrage, qui minimise l’existence de résistances à cette domination masculine.
Pourtant, la notion de domination est aussi au coeur du projet de « dévoilement » de la sociologie bourdieusienne, dans le cadre de ce qu’on a pu appeler, après Luc Boltanski « sociologie critique ». En se penchant sur la domination, la sociologie entend « dénaturaliser » le pouvoir et son acceptation en montrant que la légitimité de ce pouvoir repose sur des processus sociaux tels que la socialisation, et des institutions telles que l’école ou les institutions de formation des élites. L’enjeu principal de l’étude de la domination est alors de révéler les principes, les mécanismes sur lesquelles elle repose, de manière à permettre une remise en cause par les individus qui la subissent. Un sociologue tel que Bernard Lahire a poursuivi cette interrogation, en se concentrant notamment sur la production des hiérarchies culturelles, et sur les limites de ces hiérarchies.