L'ouvrage
Dans cet ouvrage, Muhammad Yunus, initiateur du micro-crédit, Prix Nobel de la Paix, défend avec vigueur le social-business qu’il a impulsé, comme alternative aux défaillances du capitalisme actuel qu’il dénonce avec lucidité : aggravation des inégalités, qui « entraîne des troubles sociaux, une polarisation politique et des tensions croissantes entre les groupes », concentration accrue des richesses qui désormais « menace le progrès humain, la cohésion sociale, les droits de l’homme et la démocratie », et dégradation de l’écosystème en raison de la pression des activités humaines sur le milieu naturel, dans un contexte où « le problème du réchauffement climatique est loin d’être résolu ».
L’auteur milite pour un changement de notre tableau de bord pour déchiffrer le capitalisme et s’attaque à ce qu’il nomme l’orthodoxie économique dominante et la théorie néoclassique en économie, qui véhicule selon lui la conviction que toute personne, pensée comme « Homme capitaliste », est forcément à la recherche des gains personnels, et qui part du principe que la maximisation du profit personnel est le cœur de la rationalité économique. Pour lui, loin d’être un simple agent tourné vers l’enrichissement personnel, « l’individu réel », être social, est également altruiste, confiant, et désintéressé.
Muhammad Yunus plaide pour un nouveau moteur économique constitué de trois éléments : le social-business et l’initiative économique basée sur l’altruisme, une conception qui considère chaque personne comme entrepreneur capable de réaliser son potentiel créatif, et une redéfinition du système financier afin qu’il fonctionne efficacement pour ceux qui se trouvent au bas de l’échelle économique. Il plaide aussi pour une redéfinition du cadre économique de notre société en abandonnant le seul aiguillon de l’intérêt personnel pour adopter un système dans lequel les intérêts à la fois personnels et collectifs seront mieux reconnus, car « les êtres humains ne sont pas des machines à faire de l’argent, ce sont des êtres multidimensionnels, constitués à la fois d’égoïsme et d’altruisme ».
Un lien vers une étude de cas sur le microcrédit :
Pour une économie humaine : l’aiguillon de l’entrepreneuriat
Si, pour Muhammad Yunus, la doctrine du « laissez-faire » et le « comte de fée » de la « main invisible » d’Adam Smith doivent être abandonnés comme boussoles pour les temps qui viennent, il considère que l’esprit d’entreprise, l’innovation et la joie de créer sont consubstantiels à la nature humaine : le soutien à l’entrepreneuriat est un instrument essentiel pour surmonter le problème de la pauvreté et du chômage, de sortir des contraintes du salariat pour celles et ceux qui le souhaitent, et ce, à la fois dans les pays les moins avancés, mais aussi dans les pays avancés, notamment pour les jeunes, à condition que les institutions financières soient adaptées. Dès lors, Muhammad Yunus, estime qu’à condition que nous le voulions, une « économie des trois zéros » est à portée de main : tout d’abord, une économie à zéro pauvreté, grâce à la promotion de la logique du social-business qui permet de sortir de la dualité entre les entreprises privées en quête de la rentabilité financière maximale, et les associations caritatives non lucratives. Il rappelle qu’un social-business est une entreprise qui a pour objectif d’apporter une solution à une problématique sociétale en se fondant sur un modèle économique différent d’une entreprise classique, qui adopte une vision plus globale de la création de valeur et se veut plus juste et éthique. Ce type d’entreprise se contente de couvrir l’ensemble de ses coûts, essaie de gagner de l’argent, mais n’est pas tendue exclusivement vers la maximisation du profit. Le social-business consacre ses bénéfices à la diminution des coûts, et à la production d’avantages sociaux : ce type d’entreprise ne rémunère pas ses actionnaires, et elle se contente juste de les rembourser à hauteur de leur investissement. L’objectif est d’atteindre un mieux-être social et de maximiser un impact positif sur son écosystème : l’auteur rappelle à ce titre le succès de la Grameen Bank qu’il a lancée pour servir d’outil de lutte contre la pauvreté au Bangladesh, et reprise par certains action tank de social-business, comme celui lancé par le PDG de Danone Emmanuel Faber. Pour l’auteur, « l’éradication de la pauvreté consiste à supprimer les obstacles, afin de libérer la créativité des plus démunis, car ils ont le pouvoir de changer leur existence, si nous leur offrons les mêmes opportunités qu’à tout le monde ».
Muhammad Yunus considère ensuite que l’objectif d’une économie à zéro chômage est raisonnablement à portée de notre civilisation : l’être humain est né pour être actif, créatif, dynamique selon lui, et il estime que « nous sommes des créateurs – pas des chercheurs d’emploi », et il cite à l’appui de son raisonnement de nombreuses réussites du social-business, où les plus démunis ont créé leur propre activité, comme le programme NOBIN (nouveaux entrepreneurs) au Bangladesh, le Social Business Lab de Dhaka, Grameen America Inc (GAI) au Massachusetts, etc.
Enfin, l’objectif environnemental d’une économie à zéro empreinte carbone n’est pas hors de portée selon lui : il affiche résolument son optimisme dans la technologie et estime que les scientifiques et ingénieurs ont énormément progressé dans le développement de l’énergie renouvelable et durable, en développant des systèmes moins polluants pour la fabrication et l’expédition des biens de consommation, et des techniques pour l’agriculture, la pêche, l’exploitation minière et d’autres formes d’extraction de ressources qui ne dégradent pas l’environnement.
L’auteur combat d’ailleurs l’idée souvent assénée d’un conflit d’objectifs, à savoir que la recherche du zéro pauvreté et du zéro chômage empêcherait d’atteindre le zéro empreinte carbone. Pour lui il faut au contraire poursuivre les trois objectifs en même temps, car ils se complètent et s’autoalimentent. Là encore, il estime que le social-business est la solution à cette équation complexe (contre la déforestation, l’accumulation de déchets plastiques, la pénurie d’eau potable, etc.) : à l’image de Grameen Shakti, une entreprise d’énergie renouvelable qu’il a fondée en 1996 pour les pauvres au Bangladesh, Muhammad Yunus pense que l’entrepreneuriat écologique peut transformer à terme le marché de l’énergie et permettre de concilier le développement économique et la protection de l’environnement. Pour lui, les entreprises du social-business sont particulièrement performantes pour atteindre ce type d’objectif, car en plus d’être flexibles, elles sont suffisamment détachées des attentes du marché pour privilégier la protection des richesses mondiales communes (air pur, eau potable, terres agricoles).
Un lien vers un cours de CPGE sur l’économie et la sociologie du développement :
Les leviers pour transformer le monde
Pour atteindre ces trois objectifs ambitieux, Muhammad Yunus pense qu’il faut s’appuyer sur ce qu’il nomme les « méga-pouvoirs pour transformer le monde » : en premier lieu la jeunesse, avide selon lui de réinventer le capitalisme, de réformer un système économique et social en crise et défectueux ; et déterminée, davantage que les générations précédentes, à se sentir utile au monde et aux autres, au-delà du profit immédiat, mais sans être séduite par les anciennes idéologies comme le socialisme et le communisme ; c’est la jeunesse selon lui qui libérera le pouvoir créatif des femmes et des hommes, grâce en particulier aux écoles aux universités et au réseau mondial de social-business, et, « une fois que les jeunes sauront clairement quel genre de monde ils désirent », estime-t-il, « il sera tellement plus facile de le faire advenir ».
La technologie sera aussi un précieux allié selon Muhammad Yunus : elle est certes un outil sans âme, mais c’est précisément à l’être humain de déterminer ses finalités. Pour lui, « le véritable défi est maintenant de permettre à des concepteurs et opérateurs aux visées sociales de prendre les rênes de la technologie et de la mener dans la direction où nous avons besoin d’aller ». En s’appuyant sur le succès de la Grameen Phone qu’il a créée, Muhammad Yunus montre que les nouvelles technologies comme les téléphones cellulaires peuvent être des atouts considérables pour sortir les paysans de la pauvreté. Les technologies pourront alors se déployer vers l’informatique à la portée de tous (baisse des prix des ordinateurs pour les plus défavorisés), vers l’énergie solaire, des polices d’assurance innovantes pour les agriculteurs, des trousses médicales innovantes, etc.
Mais Muhammad Yunus insiste aussi sur l’importance d’une bonne gouvernance politique et sur le respect des Droits de l’Homme, si l’on veut créer ce nouveau système économique et social plus humain qu’il appelle de ses vœux : il estime qu’il faut fonder « une structure politique et sociale qui réduise les problèmes de corruption, d’injustice et de tyrannie potentielle, et qui respecte les droits de chacun ». En effet, il rappelle que l’essence de l’esprit d’entreprise repose sur la capacité des gens à libérer au maximum la créativité humaine, et il ne peut donc pas éclore dans un environnement de contrôle gouvernemental et de répression (« les sociétés bâties sur la répression ne fonctionnent jamais sur le long terme »). Pour assurer ce climat de confiance, il faut ainsi assurer des élections justes et crédibles, une administration de l’Etat sans corruption (« la corruption est une maladie mortelle »), une société civile honnête et le respect du droit, éventuellement sous l’égide de l’ONU. Pour faire advenir cette bonne gouvernance, il faut investir dans des infrastructures qui soutiennent la croissance économique, utiliser la technologie pour améliorer l’efficacité et la transparence du gouvernement, mobiliser le social-business, impliquer les personnes pauvres dans la planification et l’exécution des projets de développement, mettre l’éducation et les soins de santé à la disposition de tous, rendre les banques et les services financiers accessibles au plus grand nombre, établir des règles pour protéger l’environnement, renforcer les institutions démocratiques qui protègent les libertés.
Pour Muhammad Yunus, la liberté et l’éradication de la pauvreté vont de pair, et la liberté économique et la croissance sont inextricablement liées aux droits de l’Homme et au respect de toutes les personnes, et, selon lui, « l’Humanité finira par obtenir les deux ou ne bénéficiera d’aucun ». Il plaide en définitive dans cet ouvrage pour qu’émerge un nouveau système économique qui mobilise tout l’éventail des valeurs humaines, où la recherche de l’intérêt s’inclurait dans des finalités plus sociales, et d’abord tendu vers l’amélioration du bien-être, matériel et moral, de tous.
Un dialogue avec Emmanuel Faber (Danone) aux Entretiens Enseignants Entreprises 2017 :
Présentation de l'éditeur
Muhammad Yunus est l'un des critiques les plus sévères du capitalisme actuel, qui accroît les inégalités, le chômage et participe à la destruction de notre environnement. Pour sauver l'humanité et la planète, nous avons besoin, selon lui, d'un nouveau système fondé sur l'altruisme et la générosité - plus crétifs et efficaces que l'intérêt personnel.
S'agit-il d'un rêve? Pas du tout. Aujourd'hui, des milliers d'entrepreneurs suivent ses idées. De l'Inde à l'Allemagne, en passant par la France ou la Colombie, des entreprises innovantes ont été créées pour réduire la pauvreté, améliorer les soins médicaux et l'éducation, lutter contre le réchauffement climatique, sans être gouvernées par le seul profit.
À partir des multiples expériences inspirées de son travail, Yunus dresse le portrait de cette nouvelle civilisation qui émerge. Un défi plein d'espoir pour les jeunes, les hommes politiques et pour l'ensemble des citoyens qui se battent pour une planète débarassée des trois effets pervers d'un capitalisme hors de contrôle : la pauvreté, le chômage, la pollution.
Traduit de l’anglais Olivier Lebleu
Biographie de l'auteur
Muhammad Yunus, a reçu le prix Nobel de la paix. Son combat pour le microcrédit et le social business a permis à des millions de familles du monde entier de sortir de la pauvreté.
Muhammad Yunus est à la tête de la Maison des économies solidaires et innovantes soutenue par la Marie de Paris pour promouvoir le social business, il est aussi membre de l’équipe qui défend la candidature de Paris aux jeux olympiques de 2024.