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L'ouvrage
Pour François Dubet, « la jeunesse existe parce que les jeunes partagent des épreuves communes »
Plusieurs dimensions doivent être retenues pour comprendre les épreuves juvéniles :
- la socialisation des nouvelles générations : rôle de la famille, école, groupes de pairs. « Les jeunes se construisent comme des individus par le biais d’un ensemble de représentations d’eux-mêmes, de valeurs et de conceptions de la vie sociale qui déterminent fortement leurs expériences sociales et leurs relations avec les autres et avec les adultes ».
- Les conditions économiques, sociales et institutionnelles auxquelles sont confrontés les jeunes dans l’accès aux diverses positions sociales (compétition scolaire, taux de chômage, accès au logement, politiques de la jeunesse)
Ces deux dimensions ont fortement évolué depuis 1968 et vont permettre de distinguer trois jeunesses.
Les années 60, entre classes sociales et société de masse.
François Dubet utilise le terme de « jeunesse de masse » pour caractériser la jeunesse de 1968 qui bénéficie de la démocratisation scolaire et d’un accès facile à l’emploi. Trois figures symbolisent cette jeunesse : le blouson noir, les « yéyés » et l’étudiant de Mai 1968
Selon l’auteur, il y a toujours eu des jeunesses, « une étape de vie reconnue entre l’enfance et l’âge adulte ». Mais auparavant elle était fortement contrainte et limitée. Les sociétés industrielles ont modifié la perception de cette période : les individus ont commencé alors à être considérés comme jeunes jusqu’à leur mariage et leur installation. Certains débordements étaient acceptés, mais les jeunes étaient considérés alors comme « les éléments les plus dangereux des classes dangereuses ».
Dans les années 60, de nouveaux bouleversements vont contribuer à faire une nouvelle fois évoluer le regard porté sur la jeunesse : la démocratisation scolaire et la consommation de masse.
Cette massification scolaire bénéficie surtout aux classes moyennes et aux catégories les plus qualifiées de la classe ouvrière. Cela conduit à un allongement de la durée des études, particulièrement important pour les filles qui voient leur destin s’écarter de celui de leurs mères. Les diplômes ont, au cours de cette période, une certaine « rentabilité » professionnelle et facilitent l’accès à l’emploi. L’optimisme caractérise cette jeunesse.
Les cultures jeunes se développent grâce aux médias de masse. Une seule chaine et un seul programme de télévision assurent une certaine homogénéisation des pratiques. C’est également l’apparition de médias spécialement destinés aux jeunes : films, magazines, musiques. Ces médias diffusent des valeurs post matérialistes.
Les jeunes des années soixante ont alors le sentiment de partager un imaginaire qui les distingue des adultes. Des magazines comme Salut les copains (qui est le prolongement écrit d’une émission radiophonique du même nom) et Nous les garçons et les filles constituent des éléments fédérateurs de cette culture jeune.
Néanmoins si la jeunesse cesse d’être un privilège bourgeois, on retrouve au sein de la culture jeune des « jeux de clivage et de distinction » qui transcrivent les cultures de classe.
Les groupes de pair jouent à cette époque un rôle important de socialisation à côté de l’école et de la famille, des églises et des partis. Les mœurs n’ont toutefois pas changé radicalement : l’école demeure fermée aux cultures juvéniles, par ailleurs, « la retenue et la responsabilité sexuelle sont la règle ».
Les pratiques déviantes de la jeunesse sont également importantes : c’est ce que montre les études sur les blousons noirs, enfants de la classe ouvrière qui affichent des valeurs anticonformistes, antiscolaires, anti adultes, anti yéyés…
Les années soixante sont également celles du « conflit des générations » nourries par des visions du monde différentes des jeunes et des adultes et par le brouillage des mécanismes de transmission. Ainsi, en revenant sur Mai 68, François Dubet souligne qu’il existe une dimension juvénile à ces événements, par le fait que les jeunes ajoutent aux revendications salariales des revendications portant sur les conditions de travail (le travail à la chaine) et les relations hiérarchiques, mais aussi par la montée des groupes d’extrême gauche qui s’appuient essentiellement sur la jeunesse.
Les limites de cette présentation de la jeunesse des années soixante sont évoquées par l’auteur : cette analyse en se centrant sur les étudiants et les jeunes en col bleu laisse de côté une jeunesse « invisible », mais laisse également de côté les filles.
Néanmoins, pour F. Dubet, cette jeunesse de la génération du baby boom est une génération au sens de K. Manheim : « elle a vécu une expérience nouvelle dans un contexte inédit, expérience qui n’efface pas les différences sociales mais repose sur quelque chose de commun ».
Renversements : les enfants de la « crise ».
Ce sont les jeunes des années 1985-1995.
La période de la jeunesse continue de s’allonger, mais le repli de la croissance modifie « la question sociale (qui) change de nature : au thème de l’exploitation, qui ne disparaît pas se substitue celui de l’exclusion ». Ce sont les années des premières émeutes urbaines, celle des jeunes beurs.
L’auteur souligne qu’il nous faut distinguer les raisons positives et les raisons négatives de cet « allongement de la jeunesse » :
Commençons par les éléments positifs, tout d’abord, la jeunesse continue de s’allonger du fat de la poursuite des études, vue à la fois comme une démocratisation mais aussi comme une nécessité pour accéder à l’emploi. Ensuite, c’est le recul de l’âge moyen au premier mariage. Enfin, le contrôle social autour de la jeunesse se relâche, les jeunes bénéficient de plus grandes libertés en matière de choix culturels, amicaux et amoureux.
En ce qui concerne les causes négatives de l’allongement de la jeunesse, il faut évoquer le développement du chômage, en particulier du chômage des jeunes, et le développement de la précarité : contrats de travail courts, intérim, stages, surtout pour les moins qualifiés. Ces éléments nourrissent la montée d’un sentiment d’exclusion dans certains quartiers populaires.
Les jeunes disposent de conditions de vie plus confortables que celles de leurs parents, mais le conflit de génération est désormais orienté autour de l’inégalité des conditions socio-économiques entre les jeunes et les adultes.
Au milieu des années 80, de nouveaux lycéens, « ni des héritiers, ni des boursiers » arrivent dans les lycées, il s’agit d’élèves moyens d’origine plus modeste. Il s’agit d’une démocratisation ségrégative (Pierre Merle) car l’école crée des inégalités en interne : « alors que dans les années soixante, on distinguait avant tout ceux qui faisaient des études et ceux qui n’en faisaient pas, les lignes de fracture passent désormais au sein même de l’école. » L’école est moins inégalitaire car tout le monde y a accès, mais elle demeure très sélective. L’accès au diplôme ne permet plus, en outre, d’accéder aussi facilement à l’emploi.
Ce qui change également d’un point de vue culturel, c’est que « désormais on devient jeune dans l’école alors que, jusque là, on était jeune à côté de l’école »
Les lycéens et les étudiants continuent de protester mais il s’agit davantage de défendre le système que de lutter contre, en ce sens les mouvements sont différents de ceux de la génération précédente. Ceux qui protestent réellement ce sont désormais les jeunes des « quartiers » issus le plus souvent de familles immigrées. Le clivage de classe semble traversé par d’autres clivages : « inclus/exclus, protégés/précaires, cosmopolites/locaux »… les jeunes issus de l’immigration se sentent exclus de la société : « il sont assimilés dans la culture de tous les jeunes, tout en étant exclus de l’intégration économique ». Dans les années 70, le peuplement des grands ensembles change de nature, certains ont pu s’échapper, ceux qui restent sont les plus pauvres, mais aussi de plus en plus souvent étrangers ou d’origine étrangère. La galère évoquée par François Dubet dans un précédent ouvrage (la Galère, jeunes en survie, 1987) s’installe dans les quartiers, elle se manifeste par trois dimensions :
dérégulation de la vie sociale dans les quartiers : développement de l’individualisme, fin de l’entraide entre voisins.
les jeunes se sentent rejetés, par l’école, par leur lieu de résidence qui les stigmatise, le quartier les enferme. Cette exclusion justifie parfois la délinquance
la colère des jeunes est sans objet, ce sont des « enragés » : rôle des émeutes.
La Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 transforme « la galère en mouvement social l’espace d’un automne ». Cette Marche est « une revendication d’intégration au nom des valeurs mêmes de la démocratie et de l’appartenance à la nation ». Cette Marche permet aux jeunes de la galère de devenir des Beurs. La Marche sera récupérée par le mouvement socialiste qui soutient peu de temps après le mouvement Touche pas à mon pote.
Lire le cours de terminale sur le conflit
Les marchés et les identités.
Cette dernière partie du livre s’intéresse aux jeunes d’aujourd’hui, « déchirés entre deux figures de l’individu » : d’un côté ils veulent être des individus singuliers, de l’autre des individus du marché, confrontés à une concurrence accrue pour les diplômes et pour l’emploi. François Dubet constate un écart de plus en plus important selon les classes sociales.
Nous sommes dans une démocratie dans laquelle chacun est davantage responsable de ses parcours et de ses réussites au nom de l’égalité des chances, mais aussi « une société dans laquelle la lutte pour les places et les positions n’a cessé de s’accentuer au prix d’une exclusion « systématique » ».
Les jeunes d’aujourd’hui disposent de nouveaux espaces de socialisation : le monde des écrans et des réseaux informatiques. Cela modifie les conditions de la socialisation car il s’agit d’un espace que « les adultes et les institutions n’ont pas le sentiment de contrôler ». Cette nouvelle socialisation contribue à délégitimer la culture scolaire qui n’a plus le monopole de la « grande culture » et de la vérité. C’est le développement du « démocratisme familial » : les jeunes acquièrent davantage de liberté au sein de l’espace familial. La multiplication des vecteurs de socialisation oblige les individus à composer leurs singularités. Le processus d’individualisation s’est accentué.
Par ailleurs, le chômage des jeunes demeure particulièrement important en France : « la jeunesse est désormais installée dans la précarité et l’incertitude. Le déclassement représente une menace.
L’école française est une « machine à trier » et l’accès au diplôme est loin de garantir l’accès à l’emploi. Pour réussir, il faut du capital culturel, comme le soulignait Pierre Bourdieu, mais également un travail spécifique de « coaching » pour lequel les mères de famille diplômées se révèlent particulièrement efficaces. Sur le marché scolaire, il s’agit d’effectuer le meilleur choix d’établissement scolaire.
Lire le cours de seconde : le diplôme, un passeport pour l’emploi ?
Les « quartiers » concentrent désormais l’extrême pauvreté, le chômage et les familles d’origine étrangère : les zones urbaines sensibles sont de plus en plus reléguées. Le terme de ghetto relevant d’un certain nombre de mécanismes sociaux peut être utilisé pour caractériser ces quartiers qui concentrent des populations spécifiques et augmentent la distance sociale avec la ville. Le quartier s’autoreproduit et enferme les résidents en exerçant un contrôle social très fort sur ces derniers : imposition de valeurs viriles aux garçons et de modestie et de vertu aux filles. Les jeunes des quartiers sont, en outre, discriminés. La discrimination devient une « expérience totale ». Seule la religion permet d’échapper à cette situation.
Lire l’étude de cas sur les problèmes sociaux de l’urbanisation :
En conclusion, François Dubet souligne que nous vivons dans un société tiraillée par une « double dimension du libéralisme », c’est -à-dire que les individus bénéficient à la fois de plus de libertés et d’autonomie, mais également que le marché est le meilleur des systèmes de régulation des relations entre, d’une part les hommes et les biens et d’autre part entre les hommes, il s’agit donc davantage d’une logique de concurrence et de compétition.
Il semble difficile de concilier ces deux approches pour « faire société ».
Quatrième de couverture
Qu’est ce qui change, qu’est ce qui semble immuable ?
Cette question se pose particulièrement à propos de la jeunesse qui semble tour à tour radicalement différente ou bien toujours la même au delà des modes. Il est d’autant plus malaisé de répondre à cette question que les images, les angoisses et les espoirs projetés sur la jeunesse effacent souvent la « réalité » des expériences juvéniles, et que celles-ci ne sont pas homogènes en fonction des conditions sociales, des sexes et des parcours des individus.
En comparant diverses figures des expériences juvéniles au fil des cinquante dernières années, ce livre n’essaie pas seulement de nous dire ce qui a changé chez les jeunes, mais aussi ce qui change dans la société. Au cours de trois générations, la recherche d’une individualité de plus en plus singulière et autonome se heurte à l’émergence de nouvelles inégalités et surtout, de nouvelles manières de produire ces inégalités. Les dimensions relativement stables de l’expérience juvénile se heurtent à des épreuves profondément différentes.
L’auteur
François Dubet est sociologue et auteur de plusieurs livres et articles fondés sur des recherches entre les années 1970 et aujourd’hui. Ses ouvrages ont été traduits dans le monde entier.