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L'ouvrage
Avec des termes simples, François Lenglet commence par rappeler que l’économie n’est pas une science comme les autres. Il s’agit, à ses yeux, d’une science humaine que l’on ne saurait comparer avec les sciences dures comme la chimie ou la physique ; l’économie serait plutôt une « science molle » à l’image de la sociologie ou de la psychologie. Une façon de le démontrer est de constater qu’il n’existe pas de lois économiques valables en tous lieux, à tout moment ; en économie, les vérités ne sont pas intangibles. Elles dépendent notamment du contexte institutionnel qui peut être propre à un espace ou à une période particuliers.
Une autre façon de considérer les limites scientifiques de l’économie consiste à observer que les économistes ne sont pas d’accord entre eux, si bien que des courants se sont développés ; pour François Lenglet, parmi les nombreuses chapelles qui existent dans le champ économique, le libéralisme et le keynésianisme apparaissent comme les plus emblématiques. Deux camps opposés en bien des points, ce qui finit par produire des idées reçues. Par idéologie. Autrement dit, rattaché à une pensée spécifique (et idéologisée), des économistes peuvent ignorer la réalité – délibérément ou pas – pour que leurs réflexions soient en accord avec les canons de leur « camp ». L’auteur prend l’exemple du libéralisme économique qui, au travers de la mondialisation, est parvenu à installer l’idée que la libre circulation des biens et des services est toujours préférable au protectionnisme. Depuis Adam Smith et David Ricardo, le libre-échange est d’abord perçu comme source de prospérité économique et sociale. Pourtant, le protectionnisme peut se révéler nécessaire et profitable. D’ailleurs, cette « idée reçue libérale » semble en perte de vitesse ces dernières années comme le montre le Brexit et l’élection de Donald Trump.
Nous avons fait le choix de vous présenter trois idées reçues décryptées par François Lenglet.
« Les robots détruisent les emplois »
François Lenglet signale ici qu’il faut impérativement se méfier de l’observation première. Si de nombreux métiers (libraires, caissiers, employés de banque, secrétaires etc.) apparaissent effectivement concurrencés par les avancées du progrès technique, il est erroné d’en tirer la généralité que les robots sont destructeurs d’emplois. Tout d’abord, cette vision ne résiste pas à la vérification empirique : le taux de chômage est très variable au sein des PDEM (soit les économiques nationales qui investissent le plus dans le développement du progrès technique), ce qui montre qu’il n’y a pas de relation mécanique entre innovations et chômage ; plus encore, les pays qui possèdent le plus de robots (rapportés à leur population) sont aussi ceux qui ont les taux de chômage les plus faibles comme l’Allemagne ou le Japon. Bien sûr, le niveau de chômage dépend de nombreux facteurs mais au moins peut-on constater que l’idée que le capital se substitue au travail n’est pas si évidente sur le plan empirique. Sans le citer, François Lenglet fait référence aux travaux de Schumpeter qui mettent en avant l’effet de « destruction-créatrice » de Schumpeter : les innovations conduisent bien à rendre obsolète certaines activités – ce qui génère perte d’emploi et ralentissement de la croissance économique – mais elles ouvrent également de nouvelles perspectives productives, ce qui permet de créer des emplois et d’alimenter la croissance économique.
Lire la fiche notion sur l'innovation :
Aussi faudrait-il distinguer les effets microéconomiques et de court terme du progrès technique – qui semblent défavorables à l’emploi – des effets macroéconomiques et de long terme – qui permettent de réduire le taux de chômage. A court terme, les innovations coûtent des emplois, en particulier pour les plus défavorisés. A long terme, le progrès technique est source de gains de productivité, ce qui permet de baisser les couts de production unitaires, donnant la possibilité aux entreprises de baisser les prix, d’augmenter les salaires et/ou leurs profits (et donc d’investir). Ces perspectives sont toutes source de croissance économique et donc de création d’emplois. Il faut aussi ajouter que les gains de productivité ont permis historiquement la réduction du temps de travails, ce qui – dans une perspective malthusienne – a créé des emplois. Mais cette croissance économique issue du progrès technique se réalise en déplaçant la richesse d’un secteur à un autre. Aussi, ce sont certains métiers qui disparaissent – et non pas le travail. Le travail, lui, se transforme. Evidemment, ce n’est pas sans effet sur le marché du travail : les perdants des innovations ne sont pas assez mobiles et ne disposent pas toujours des qualifications pour trouver une place dans les secteurs en expansion. Alors, que faire ?
François Lenglet ne croit pas à la proposition de Benoît Hamon de taxer les robots car ce serait augmenter les coûts des entreprises et réduire leur compétitivité (ce qui n’est pas indiqué dans le monde globalisé qui est désormais le nôtre). Par contre, l’auteur pense que le chômage technologique demande un double effort de formation :
- En amont, mieux transmettre les savoirs aux jeunes
- Et former tout au long de la vie active. Savoir acquérir de nouvelles compétences au cours de sa vie constitue certainement l’enjeu fondamental de demain. Les carrières linéaires vont vraisemblablement devenir de plus en plus rares.
« L’immobilier est un placement sans risque »
On connait l’idée répandue qu’il est préférable d’investir dans la pierre parce que l’immobilier ne subit pas les fluctuations erratiques qui caractérisent un marché boursier. Dans les faits, il convient pourtant de constater que les prix de l’immobilier connaissent des variations assez importantes. Ce fut notamment le cas aux Etats-Unis avant la crise de 2007 : les prix immobiliers ont augmenté de 20 % dans les vingt plus grandes villes américaines. Cela a généré une euphorie qui s’est concrétisée par la multiplication des crédits subprimes (c’est-à-dire des crédits hypothécaires accordés à des ménages peu solvables). Les économistes parlent de moment Minsky : les prix progressent jusqu’au moment du désastre, le retournement du marché ; en fait, c’est dans la période d’euphorie que la catastrophe se prépare, par un endettement irraisonné, favorisé par les banques (qui ne veulent pas rater la moindre opportunité de faire du profit). Sans que l’on sache réellement pourquoi, les prix de l’immobilier commencent à baisser à la mi-2006 aux Etats-Unis. Dès lors, plus les prix baissent, plus les agents cherchent à revendre leurs biens, ce qui renforce la tendance à la baisse... Auparavant, c’est la demande en hausse qui favorisait la hausse des prix ; dorénavant, c’est l’offre en hausse qui conduit à la baisse des prix… La crise immobilière se transforme rapidement en crise bancaire (puisque les banques sont directement engagées par les crédits subprimes). La faillite de Lehman Brothers en 2008 accroît les difficultés bancaires et la crise bancaire génère rapidement une crise économique dévastatrice sur le plan économique et social (les banques restreignent les crédits – on parle de « credit crunch » – ce qui limite les investissements des agents économiques, tant les entreprises que les ménages ; le chômage se traduit par une baisse de la consommation etc.).
Lire le cours de Terminale sur Croissance, fluctuations et crises :
Cet exemple démontre que l’immobilier peut se révéler tout autant spéculatif que les titres financiers. Les prix de l’immobilier bougent seulement plus lentement car la vente d’un bien immobilier prend beaucoup plus de temps que celle d’une action. Mais l’effet d’entrainement négatif sur l’économie, en cas de crise, est plus important qu’en cas de crise boursière. Pour deux raisons : tout d’abord, l’effet de richesse négatif (la perte de valeur de mon patrimoine immobilier) conduit à davantage épargner, ce qui limite les perspectives de croissance économique ; ensuite, parce que les crédits immobiliers non remboursés affectent considérablement le bilan des banques – ce qui accroît leur prudence et restreint la croissance économique également.
Aucun pays ne peut se prétendre à l’abri d’une crise immobilière ; selon François Lenglet, au travers de l’histoire, elles se produisent partout et à intervalles réguliers. En ce moment, il existe une bulle immobilière en France qui ne s’explique pas tant par la loi de l’offre et de la demande (comme on le croit trop souvent) que par un environnement financier favorable à la hausse des prix (taux d’intérêt faibles, allongement de la durée des prêts et propension à l’endettement plus forte des ménages).
« L’euro a fait grimper les prix »
Il s’agit là d’une idée reçue fortement ancrée dans l’imaginaire collectif français : la disparition de la monnaie nationale aurait généré une hausse des prix. Le passage à l’euro serait synonyme d’inflation. Pourtant, si l’on se fie aux chiffres, en moyenne, les prix n’ont progressé que de 1,4 % entre le 1er janvier 2002 et la mi-2017 dans la zone euro, ce qui est moins que les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne sur la même période (deux pays qui ont conservé leur monnaie nationale). Pourtant, il existe bien un sentiment que l’inflation a progressé avec l’euro. Comment peut-on expliquer l’écart entre la sensation et la réalité ?
Tout d’abord, il faut tenir compte du fait que l’indicateur de mesure (l’indice des prix à la consommation) – qui est fiable – est une moyenne. Par conséquent, il ne rend pas compte des différences d’évolution des prix suivant les types de produit. Certains prix se sont bien envolés comme celui du tabac qui a augmenté de 125 % entre 2002 et 2016 (ce qui s’explique d’ailleurs avant tout par la hausse des taxes). C’est aussi le cas de l’essence, des produits alimentaires (en particulier les fruits et les légumes). Ce sont des produits que l’on achète souvent, aussi cela renforce-t-il le préjugé que l’inflation a explosé depuis le passage à l’euro. Il faut donc tenir compte de la psychologie du consommateur qui garde volontiers en mémoire les hausses de prix et oublie les baisses de prix (par exemple, le prix des ordinateurs a baissé de 85 % sur la même période).
Ensuite, il faut s’interroger sur les raisons qui conduisent à la variation des prix. Outre l’action de l’Etat déjà cité (par le biais des taxes), la variation des cours des matières premières n’est pas non plus liée à l’euro : les prix du pétrole ou du blé dépendent d’une loi de l’offre et de la demande mondiale. Mais le facteur le plus décisif depuis le début des années 2000 reste la transformation du système de production mondiale. Les produits dont les prix augmentent peu, voire baissent, sont ceux dont la production a été délocalisée dans les pays d’Europe de l’Est ou en Asie – de façon à profiter d’un coût de la main d’œuvre plus bas qu’en France. Au contraire, les biens et services qui connaissent une hausse des prix sont ceux qui continuent d’être fabriqués en France, en particulier les services (un secteur en partie protégé de la concurrence étrangère). L’évolution de l’indice des prix traduit d’ailleurs l’impact de la mondialisation : le prix des importations baisse – ce qui permet d’améliorer le pouvoir d’achat des ménages mais génère inéluctablement du chômage, notamment chez les moins qualifiés. En fait, si le travail se maintient en France (ce qui permet de limiter les pertes d’emplois), le consommateur doit accepter de payer plus cher ses produits. Dans le cadre de la mondialisation actuelle, la formule de François Lenglet est convaincante : « Travailleurs et consommateurs ne peuvent pas être heureux en même temps. »
L’auteur consent tout de même à évoquer des éléments objectifs qui démontrent que les prix sont plus élevés aujourd’hui qu’au début des années 2000 :
Les prix des logements se sont envolés, en particulier dans les grandes villes ;
La taille des ménages ne cesse de se réduire (en moyenne) en raison de la « décohabitation ». Les mariages – ou les couples – sont de plus en plus fragiles, ce qui oblige à entretenir deux foyers (au lieu d’un seul). C’est ici une évolution du mode vie qui impacte le budget des ménages, bien plus qu’une « valse des étiquettes ».
Lire le fait d'actualité sur : « Le retour de l’inflation : réalité ou fantasme »
Quatrième de couverture
« L’immobilier est un placement sans risque », « L’euro fait grimper les prix », « A la retraite, le niveau de vie baisse » … Qui n’a pas entendu, au comptoir d’un café ou dans un dîner en ville, l’une des multiples idées reçues en économie, mantra qu’on accepte en hochant la tête. Parce qu’on ne sait pas quoi en penser, quoi répondre et comment contredire. François Lenglet, le pédagogue de l’économie pour tous, nous explique ici comment démonter ces poncifs dont les libéraux sont victimes comme les anti-libéraux. Car l’économie n’est pas une science exacte : il n’y a pas de lois dans ce domaine, mais des rapports de force, ou des modes amplifiées par le vacarme médiatique. Des bulles qu’il faut savoir dégonfler.
L’auteur
François Lenglet est éditorialiste économique à France 2 et également chroniqueur dans la matinale de RTL. Avant Tordez le cou aux idées reçues (Stock, 2018), il a notamment publié La Fin de la mondialisation (Fayard, 2013) et Tant pis ! Nos enfants paieront (Albin Michel, 2016).
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