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L'ouvrage
Deux exemples à l'appui d'une thèse iconoclaste : en quatre courts essais, l'ouvrage de Dani Rodrik balaie les idées reçues en matière de développement économique et propose une vision équilibrée, reposant tout à la fois sur une défense des bienfaits de la mondialisation et sur la compréhension précise de ses ressorts.
Miracle indien, marasme sud-américain
Dani Rodrik se penche ainsi sur le cas indien. De l'indépendance, en 1947, jusqu'aux années 80, ce pays connaît ce que les économistes appellent la "croissance hindoue" : aux résultants décevants s'ajoute un fatalisme national. Le décollage est manifeste dans les années 90. La lecture traditionnelle de ce miracle économique y voit l'application par l'Inde des préconisations issues du "consensus de Washington", à la fin des années 80 : ouverture des marchés, privatisations, déréglementation de l'économie, allègement de la tutelle de l'Etat. Ce n'est pas l'analyse qu'en livre Dani Rodrik. Pour lui, en effet, tout se joue au début des années 80, et non au début des années 90. Dans cette période, le gouvernement indien choisit une orientation non pas pro-marché, mais pro-business : "la première vise à supprimer les obstacles aux marchés à travers la libéralisation de l'économie. Elle privilégie les nouveaux entrants et les consommateurs. La seconde vise à accroître la rentabilité des établissements industriels et commerciaux existants. Elle tend à favoriser les entreprises et les producteurs déjà installés" (p. 97). Même si le gouvernement d'Indira Gandhi tourne alors le dos à une attitude de défiance du Parti du Congrès (d'inspiration socialiste) envers les entreprises, c'est pour mettre en œuvre des politiques contraires aux recommandations libérales. Elles ne relèvent d'ailleurs pas non plus des mécanismes keynésiens. Pour Dani Rodrik, ces politiques consistent à réconcilier le Parti du Congrès avec les milieux économiques, après la victoire du parti Janata dans les années 70, et à créer un lien de confiance nouveau. Elles porteront leurs fruits et contribueront à créer un tissu économique dense, qui saura profiter des mesures d'ouverture dans les années 90.
L'Amérique latine se situe à l'opposé de l'Inde. Relativement prospère dans les années 50 et 60, elle ne s'est jamais véritablement remise de la crise de la dette, en 1982. Pourtant, les principales préconisations du consensus de Washington ont été mises en œuvre ! Mais pour Dani Rodrik, il faut lire la crise sud-américaine en termes de confiance. Comme en 1929 aux Etats-Unis, les classes moyennes des pays d'Amérique du Sud craignent, suite à la crise de la dette, une mobilité sociale descendante et une forte perte de revenus. Ils sont demandeurs de protection sociale. Mais "la plupart des pays de la région s'étaient industrialisés à l'abri des barrières commerciales imposées par l'Etat ; les entreprises publiques y étaient monnaie courante ; les déficits budgétaires et la mauvaise gestion économique constituèrent la cause directe de la crise de la dette. Les gouvernements étaient donc considérés plutôt comme un problème que comme une solution" (p. 141). Beaucoup de gouvernements, encouragés par le FMI et les Etats occidentaux, vont mettre en œuvre les préconisations du consensus de Washington. Cette libéralisation, à court terme, accroît les risques individuels. Elle débouche, en outre, sur une très forte volatilité des capitaux, qui entraîne des pertes de revenus pour certaines catégories de la population. Dani Rodrik construit un indicateur mesurant la probabilité que les revenus d'un ménage chutent de plus de 5 % en un an. Les années 90 sont marquées par une amélioration par rapport aux années 80, mais sont très loin de la stabilité des années 60 !
"Sauver la mondialisation de ses propres partisans"
Ainsi donc, le consensus de Washington, résumé par la formule "stabiliser, libéraliser, privatiser", n'a pas tenu ses promesses. Dani Rodrik souligne d'ailleurs que tous les pays qui ont tiré leur épingle du jeu de la mondialisation sont ceux qui se sont écartés de ces préconisations pour trouver leur propre chemin. Ainsi, la Chine n'a-t-elle libéralisé qu'à la marge les marchés agricoles, sans remettre en cause la planification. Cette approche a ensuite été transposée à d'autres secteurs d'activité. Le développement du pays a en outre été assis sur une politique industrielle volontariste pilotée par le gouvernement central et les gouvernements locaux. "La Chine s'est appuyée sur des institutions originales et non orthodoxes, qui doivent leur succès au fait qu'elles ont produit des résultats orthodoxes : incitation au marché, droits de propriété, stabilité macroéconomique, etc…" (p. 50). Le Japon, la Corée ou encore le Vietnam n'ont pas davantage assuré leur développement par une thérapie libérale, mais bien par des politiques publiques volontaristes et progressives. Beaucoup de pays ayant tiré leur épingle du jeu dans la mondialisation le doivent à "une socialisation du risque d'investissement au moyen de garanties d'investissement implicites" (p. 70). Une telle politique ne nécessite pas de financement public direct, mais un engagement de l'Etat aux côtés des acteurs économiques. Elle n'est pas non plus forcément à mettre en œuvre sur un vaste panel de secteurs, mais peut être concentrée sur quelques activités de pointe, comme par exemple le textile sur l'Ile Maurice.
Dani Rodrik se garde toutefois de donner des recettes miracles pour assurer le développement économique de n'importe quel pays dans le monde. Sa thèse repose justement sur la nécessité de développer des espaces politiques, aussi bien dans les pays riches que dans les pays pauvres, sans lesquels il n'y a pas de développement économique possible. Les populations des pays riches, qui ont objectivement beaucoup gagné à la mondialisation depuis les années 80, se montrent très critiques à son égard. Ce paradoxe s'explique par le fait que la mondialisation semble se construire contre certaines valeurs auxquelles les populations occidentales sont très attachées : protection de l'environnement, assurances sociales, réglementation du travail… En outre, alors que les subventions sont interdites par les accords internationaux, certains pays en développement financent indirectement leurs entreprises par le biais de la sous-évaluation monétaire. Toutes ces questions doivent trouver des réponses pour que les opinions publiques des pays développés manifestent de nouveau leur confiance dans le processus de mondialisation, qui n'est pas éternellement garanti. La problématique est similaire pour les pays en développement, qui ont tout aussi besoin d'un espace politique. Le régime financier international ne leur est en effet guère favorable, puisqu'il les expose aux crises sans leur donner toutes les capacités de financement dont ils ont besoin. Quant au régime commercial, il ne leur permet pas de développer une politique industrielle volontariste.
Pour Dani Rodrik, ne pas voir les limites actuelles de la mondialisation peut conduire à un retour rapide du protectionnisme. Les Etats occidentaux semblent d'ailleurs en montrer parfois la tentation. Or, cet économiste est un fervent défenseur de la mondialisation, qu'il considère comme une source irremplaçable de création de richesses et de développement économique. Mais il souhaite, selon son expression, la "sauver de ses propres partisans", en posant les éléments d'un diagnostic lucide des préconisations internationales de ces vingt dernières années et en tentant de concilier mondialisation et espace politique. L'heure n'est plus, selon lui, à toujours plus d'ouverture des marchés, qui n'apporteraient pas grand-chose en termes de croissance économique. Il suggère plutôt des négociations à l'OMC sur une boîte à outils que les Etats pourraient mettre en œuvre, sans tourner le dos à la mondialisation mais en augmentant leurs marges de manœuvre nationales pour mieux prendre en compte le contexte économique propre à chaque pays.
Ni apologue du monde tel qu'il est, ni contempteur de la mondialisation, Dani Rodrik propose donc dans cet ouvrage une thèse iconoclaste, qui mérite d'être discutée et approfondie.
L'auteur
Dani Rodrik , professeur d'économie politique internationale à l'université d'Harvard, est l'auteur de nombreux livres. Ses travaux sont centrés sur la recherche d'une "bonne économie politique" pour les pays émergents.
Table des matières
Introduction
1. Comment sauver la mondialisation de ses propres partisans ?
Les paradoxes de la mondialisation actuelle
Le nouveau sens commun
Les barrières à l'intégration économique internationale pèsent-elles sur la croissance ?
Le besoin d'«espace politique"
Peut-on accroître l'espace public sans trop de dommages ?
En conclusion
2. Stratégies de croissance
Des trajectoires nationales très contrastées
Ce qui nous pensions et qui n'est (probablement) pas vrai
Le passage incertain des principes économiques aux dispositifs institutionnels
Retour à la réalité du terrain
Envisager la croissance en deux temps
En conclusion
3. Le mystère de la transition de l'Inde : de la "croissance hindoue" au boom de productivité
Comprendre le décollage des années… 1980
L'exposé des faits
Les explications qui ne fonctionnent pas
Une explication alternative
En conclusion
4. Pourquoi y a-t-il tant d'insécurité économique en Amérique latine ?
Un problème à plusieurs dimensions
Le traumatisme des années 1980
Le déclin de la sécurité de l'emploi
Volatilité macro-économique et revenu des ménages : la méthode de la décomposition
Les origines de la volatilité macroéconomique : l'importance des mouvements de capitaux
Mobilité du capital et incidence du risque macro
Taux de change, mobilité du capital, volatilité macroéconomique
Flexibilité du taux de change et protection sociale
Institutions d'expression
En conclusion
Bibliographie
Quatrième de couverture
Près de vingt ans après la mise en œuvre du "consensus de Washington" (1990), quel bilan peut-on tirer de la "bonne gouvernance" que les grandes institutions économiques internationales ont tenté d'imposer aux pays du Sud ? Et quels enseignements sur la mondialisation se dégagent des trajectoires contrastées qu'affichent les continents en développement ? Contre toute attente, les pays qui ont le plus bénéficié de la globalisation sont ceux qui, comme la Chine, l'Inde ou le Vietnam, ont le moins respecté ses règles. En comparaison, l'Amérique latine, qui s'était conformée aux principes de l'orthodoxie économique, n'a enregistré que de mauvais résultats. Ce n'est donc pas la libéralisation en soi qui permet le succès économique, mais les stratégies pragmatiques adoptées par les gouvernements, tenant compte des mutations indispensables mais aussi des caractéristiques nationales.
En rapprochant les évolutions réelles des théories dominantes sur la croissance et le développement, Dani Rodrik insiste sur la nécessité de faire rapidement évoluer les paradigmes de la mondialisation. Selon lui, il ne s'agit plus de libéraliser davantage, mais de créer dans chaque pays l'espace politique permettant de traiter les problèmes que pose l'ouverture. Ce premier ouvrage traduit en français de cet économiste à la renommée internationale réunit quatre essais (dont deux études de cas, l'Inde et l'Amérique latine), indispensables pour comprendre l'articulation entre développement et mondialisation.