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L'ouvrage
Parfois brutales, les suppressions d'emplois sont abordées fréquemment en des termes simplistes. Ce simplisme caractérise non seulement les salariés qui en pâtissent, ou leurs représentants, mais également les observateurs extérieurs et jusqu'aux responsables d'entreprise qui décident d'y recourir. Ce simplisme peut s'expliquer doublement. D'une part, il s'agit d'un acte dur appliqué à des personnes, donc fortement chargé psychologiquement. Cette dureté touche premièrement les salariés dont l'emploi est supprimé mais aussi les salariés "survivants" et les responsables de la décision ou de la mise en œuvre opérationnelle des suppressions d'emplois. D'autre part, il s'agit d'une décision de gestion dont les prémisses comme les conséquences sont trop complexes pour être totalement comprises, maîtrisées et a fortiori expliquées exhaustivement. D'où un refuge commode dans un certain schématisme qui à la fois rassure et permet d'agir. Dans les faits, les suppressions d'emplois présentent des modalités, des justifications et des effets multiples que l'ouvrage de Florent Noël aide à éclairer.
Il est au préalable utile de rappeler que les suppressions d'emplois peuvent prendre des formes très diverses. Si leurs formes archétypiques sont bien le licenciement économique et le plan social tels que définis par le Code du travail, les suppressions d'emplois concernent l'ensemble des modalités de gestion des sureffectifs. Ce qui inclut notamment le non remplacement des départs, pour cause de retraite par exemple, l'incitation au départ volontaire au moyen de primes ou encore l'ajustement des effectifs soumis à des statuts précaires.
Alors que dans les années 70 et 80, les restructurations industrielles ont inscrit les suppressions d'emplois dans une logique de déclin, les années 90 ont singulièrement déplacé la perspective. Il ne s'est plus agi de supprimer des emplois pour répondre à des difficultés présentes bien réelles mais de faire face, par anticipation, à des difficultés à venir. Les suppressions d'emplois ne sont plus subies par des dirigeants d'entreprise évoluant dans des secteurs sinistrés mais voulues de la part de responsables dont les entreprises peuvent pourtant présenter une condition relativement saine. Selon Florent Noël, dans un tel contexte, " le risque est alors grand de voir la suppression d'emplois devenir peu à peu une fin en soi".
Des critères technico-économiques pris en défaut
Classiquement, on justifie les suppressions d'emplois par des facteurs technico-économiques tels que la faiblesse de la demande, l'augmentation de la productivité liée à la modernisation des équipements de production, le cas échéant la substitution du capital au travail, la pression de la concurrence, etc. Or, si l'on en croit la littérature scientifique, les suppressions d'emplois sont loin d'engendrer systématiquement les performances économiques escomptées. C'est particulièrement vrai si l'on veut bien considérer les coûts induits et les conséquences en termes d'organisation, d'efficacité collective, de motivation des personnels "survivants". En fait, il apparaît que les suppressions d'emplois ne sont efficaces que lorsque les problèmes auxquels elles sont censées répondre sont précisément identifiés. Les suppressions d'emplois pour des motifs vagues sont vouées à l'échec. Il convient d'autre part que ces suppressions s'inscrivent dans une perspective stratégique rigoureusement établie.
L'explication des suppressions d'emplois par des facteurs technico-économiques est en outre inégalement probante selon le point de vue adopté. Ils semblent pertinents si l'on examine la réduction des effectifs globalement à l'échelon de plusieurs branches d'activités comparées entre elles. En revanche, une étude au niveau des entreprises considérées individuellement peine à confirmer la capacité explicative des critères technico-économiques en matière de suppressions d'emplois. Cette confrontation d'échelles à laquelle s'est livré F. Noël en comparant des données sectorielles agrégées, censées rendre compte d'un comportement moyen supposé rationnel, et des données propres à chaque entreprise doit permettre de distinguer l'influence de chaque type de facteurs. " La détérioration de la qualité prédictive des variables lors du passage de données agrégées vers des données individuelles d'entreprise peut (…) être interprétée comme une mesure de l'importance des variables autres que rationnelles dans la décision de suppression d'emploi." nous dit l'auteur.
Ainsi, les suppressions d'emplois sont délicates à justifier au plan de la gestion, particulièrement dans le cas d'organisations complexes pour lesquelles il est pratiquement impossible de démontrer quel est l'optimum en termes d'effectifs. Ces suppressions d'emplois sont en outre incertaines quant à leurs conséquences. Elles n'en sont pas moins fréquemment mises en œuvre et souvent préférées à d'autres variables d'ajustement. Pourquoi ? Selon F. Noël, l'explication est à rechercher hors la sphère économique. Ou plutôt à l'interface de la sphère économique et de la sphère sociale.
La détermination sociale des raisonnements économiques
La décision de supprimer des emplois, comme toute décision économique ou tout acte de gestion, ne peut procéder exclusivement de considérations rationnelles mais s'inscrit dans un contexte social. Cela tient notamment à la nature particulière de la relation de travail qui engage au-delà de la seule dimension marchande. Les raisonnements de pure rationalité économique peuvent s'en trouver infléchis. Par exemple, un chef d'entreprise modérément contraint par la pression de ses concurrents peut juger pertinent de laisser perdurer des poches de sous-emploi non optimisées au sein de son organisation si les équilibres sociaux s'en trouvent confortés. Dans un tel cas de figure, les éléments pris en compte d'abord ne sont pas de stricte logique économique mais y reviennent par un phénomène de rétroaction. Dans un tel cas de figure, l'optimum économique global est asservi à un optimal social qui peut reposer sur des états locaux non optimaux au sein de l'entreprise. C'est là une forme d'imprégnation de l'économique par le social. Ce n'est pas la seule.
Pour le courant néo-institutionnaliste auquel se réfère F. Noël, les décisions d'ordre économique subissent l'influence de croyances, de convictions, d'idéologies, de routines, de normes. Ces "institutions" ne sont pas nécessairement efficaces, plus rarement encore optimales, mais elles sont majoritaires et à ce titre amènent les agents économiques à s'y conformer par une forme de mimétisme. Le seul fait qu'elles soient répandues peut inciter à s'y rallier par simple souci d'efficacité et réalisme. " Dès que l'institution acquiert une force de coercition suffisante, il devient rationnel de s'y conformer quand bien même les comportements ou les solutions qu'elle propose ne seraient pas efficaces" , aux dires de F. Noël.
Le questionnaire adressé par l'auteur aux directeurs des ressources humaines d'un certain nombre de grandes entreprises françaises de l'industrie et de la construction a permis de révéler les modes de décisions, identifier les acteurs, les motifs explicites et implicites, les outils d'analyse mobilisés dans le cadre d'opérations de suppressions d'emplois et finalement apprécier la part prise par les " comportements organisationnels plus ou moins normalisés" encadrant la logique économique. Les institutions ainsi mises au jour semblent remplir certaines fonctions utiles d'un point de vue pragmatique. Lorsque les suppressions d'emplois sont délicates à défendre par des motifs économiques ayant un rapport direct avec l'entreprise concernée, il peut apparaître commode de se référer à des vérités établies et reconnues dans son environnement. F. Noël évoque à cet égard des " ancrages rassurants ". Le risque de contestation s'en trouve diminué. Il en résulte d'ailleurs des pratiques qui ne sont pas nécessairement très éloignées de celles qu'auraient dictées des raisonnements rigoureusement rationnels. Enfin, ces institutions ont le grand mérite de favoriser l'action dans un environnement par ailleurs fortement incertain et instable. En la simplifiant, elles rendent la réalité praticable.
L'auteur
Docteur en sciences de gestion, Florent Noël est maître de conférences à l'Institut d'administration des entreprises de Paris.
Sommaire
INTRODUCTION : QUELS MOYENS POUR QUELLES FINS ?
PREMIERE PARTIE : LA PART EQUIVOQUE DE LA RATIONALITE
Chapitre 1 La suppression d'emplois : une activité à haut risque
Les discours managériaux confrontés à la réalité
Des opérations peu profitables
Tous les coûts sont-ils intégrés dans la décision ?
Serait-ce qu'on s'y prend mal ?
Une utilisation trop extensive des suppressions d'emplois : vers une explication institutionnelle
Des pistes à approfondir
Chapitre 2 Comprendre les suppressions d'emplois : entre rationalité économique et réflexes institutionnels
Deux pistes théoriques rendant compte des phénomènes d'imitation
Le modèle général de la recherche : entre choix rationnel et pratiques institutionnalisées
Conclusion : une méthodologie plurale pour une approche polydisciplinaire
Chapitre 3 Le travail : facteur de production, coût incompressible
Le modèle de base : des causes simples… aux effets nuancés
Le progrès technique : les gains de productivité ne créent pas de sureffectifs si les débouchés suivent
Le raisonnement financier déconnecté de la logique technique de production
Conclusion : le sureffectif, construction sociale ?
Chapitre 4 Analyse économétrique des destructions d'emplois
Analyse sectorielle des destructions d'emplois : l'adaptation à la conjoncture sous contraintes concurrentielle et sociale
Analyse économétrique sur données individuelles d'entreprise
Les déterminants du recours aux suppressions d'emplois : le manque de ressources pour sortir des difficultés par le haut
Conclusion : dépasser l'approche économique
SECONDE PARTIE : DES DECIDEURS SOUS PRESSION
Chapitre 5 Au-delà du calcul économique : Croyances, idéologies, injonctions, routines
La démarche de la nouvelle sociologie économique : donner une dimension sociale à l‘activité économique
L'approche institutionnaliste : la quête de légitimité
La légitimité est-elle gérable ?
Les croyances managériales à l'origine des suppressions d'emplois : effets de mode et idéologies
Des dirigeants " contraints et forcés" : les pressions coercitives
Les normes de gestion : croire à la rationalité des décisions
Conclusion : une légitimité chasse l'autre
Chapitre 6 Qui décide quoi ?
La décision est prise au sommet et mise en œuvre au niveau opérationnel
Un schéma général, mais des comportements différenciés : de l'utilité d'identifier des lignes de partage
Stabilité et cohésion des équipes dirigeantes
L'ambivalence du rôle joué par la direction des ressources humaines dans la mise en œuvre des suppressions d'emplois
Des instances représentatives du personnel peu présentes dans le processus
Conclusion : une décision peu partagée
Chapitre 7 Décider de supprimer des emplois : déclin, optimisation, routine ou mimétisme
Les motivations explicites du recours aux suppressions d'emplois
Considérations institutionnelles et sociales : la recherche de légitimité par le recours aux suppressions d'emplois
Instrumentation et formalisation de la décision
Construction d'une typologie de processus décisionnels
Conclusion : les croyances servent-elles à rationaliser l'action ?
Chapitre 8 La mise en œuvre des plans de suppression d'emplois : concilier exigences de production et faisabilité sociale
Les changements organisationnels rendus nécessaires par les suppressions d'emplois
La stratégie générale de réduction des sureffectifs : suppressions d'emplois et substituts
La sélection des salariés : articuler les besoins techniques de l'exploitation et la logique sociale
Le contenu des plans sociaux
Mise en relation et synthèse des résultats : construction d'une typologie des modes de mise en œuvre des suppressions d'emplois
Des motifs au processus d'ajustement : quels moyens pour quelles fins ?
Conclusion : des décideurs sous pression
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
Quatrième de couverture
"Auparavant réservées aux seules entreprises en situation de déclin avéré, les suppressions d'emplois sont maintenant mobilisées dans des stratégies d'amélioration des performances. Pourtant, rien ne prouve leur efficacité en la matière. C'est alors la rationalité de la décision qui peut être questionnée.
Cet ouvrage se propose de dépasser les justifications purement économiques invoquant généralement une fatalité extérieure à l‘entreprise. La supposée "loi implacable des marchés" n'explique pas tout et l'action des dirigeants s'inscrit dans un ensemble de pressions souvent contradictoires, émanant aussi bien de la sphère financière que de la sphère sociale. Il découle de ces pressions, qu'elles prennent la forme d'injonctions directes, de normes, de valeurs, ou de croyances, une certaine préférence pour la suppression d'emploi dans la mesure où elle s'érige en "valeur sûre" du management. Elle peut, en effet, conférer une légitimité plus importante à ceux qui y recourent qu'à ceux qui lui cherchent des alternatives, à condition que la mise en œuvre respecte les équilibres sociaux internes et ne déclenche pas la consternation de l'opinion publique.
A partir d'une enquête auprès de DRH des plus grandes entreprises industrielles françaises, l'ouvrage tente d'identifier des profils différenciés d'opérations de suppression d'emplois. La décision peut ainsi être inspirée par l'optimisation rationnelle comme par le mimétisme, et la volonté de procéder à des ajustements rapides et ciblés peut s'opposer à la préservation des intérêts des salariés."