L'ouvrage
La France est-elle le pays du matraquage fiscal ? C’est la question que se pose Jean-Marc Daniel dans cet essai consacré à l’histoire des impôts dans notre pays, alors que le taux de prélèvements obligatoires est aujourd’hui parmi les plus élevés au monde (45% du PIB). Et le quinquennat de François Hollande s’achève sur une phase d’aggravation du problème fiscal qui est en fait triple : une dépense publique en croissance continue, et une fiscalité qui lui court après sans espoir de colmater les déficits, tandis que la dette publique poursuit son aggravation. A la limite ce triple dérapage se justifierait si notre modèle social parvenait à améliorer le bien-être de la population. Or tel n’est pas le cas.
Il convient dès lors de se plonger dans l’histoire de nos impôts pour mieux comprendre les causes de cet emballement et ses effets délétères : en effet, l’auteur montre que chaque grande période a mis en place une fiscalité plus ou moins conforme aux caractéristiques de l’économie sur laquelle elle s’appuie. Jean-Marc Daniel rappelle tout d’abord que la fiscalité est indissolublement liée au mouvement de centralisation de l’Etat et du pouvoir du Roi : la levée des impôts a donné au monarque la capacité de constituer une puissance militaire (avec notamment la gabelle, l’impôt sur le sel, et un impôt direct sur les récoltes). La Révolution française et le XIXème siècle ont instauré un impôt indiciaire sur la propriété privée (sur le foncier, les portes et les fenêtres), alors que le début du XXème siècle a vu un basculement vers un impôt déclaratif sur le revenu, même si la fiscalité locale perdure.
C’est une des difficultés du système fiscal français selon l’auteur : un empilement de taxes, dont certaines sont ancestrales et perdurent, tandis que de nouvelles apparaissent au fil du temps (impôts proportionnels, progressifs, directs, indirects, etc.) Les économistes ont assigné quatre missions à l’impôt : financer les dépenses publiques (administrations, infrastructures publiques) ; réguler la conjoncture économique (en fonction de la position dans le cycle économique) ; corriger les externalités (fiscalité écologique) ; enfin, inciter (attractivité du territoire dans une économie globalisée). Comme le note Jean-Marc Daniel, « une bonne fiscalité combine le financement d’un Etat efficace, la redistribution des revenus, la stabilisation de la croissance (notamment grâce aux stabilisateurs automatiques) et le maintien de l’attractivité du pays ».
Le danger est aussi qu’un niveau trop élevé de prélèvements asphyxie l’activité économique, comme l’économiste Arthur Laffer (conseiller de Ronald Reagan) l’avait montré avec sa célèbre courbe : à un moment donné, l’augmentation du taux de prélèvements obligatoires réduit la croissance et donc…les recettes fiscales. Comme l’explique Jean-Marc Daniel, la France s’est engagée depuis longtemps dans un « bricolage fiscal » qui a conduit à un sentiment assez partagé dans la population aujourd’hui de véritable « ras-le-bol fiscal », avec un exil fiscal qui s’accélère, une montée de la fraude, et des manifestations de sécession fiscale (comme celle des « bonnets rouges » en Bretagne).
Une montée inexorable de la pression fiscale
Dans son ouvrage, Jean-Marc Daniel analyse notre histoire fiscale par périodes depuis 1958 : du plan de redressement de Jacques Rueff, à la généralisation de la TVA, en passant par le réaménagement de l’impôt sur le revenu par Giscard d’Estaing en 1959, et la révolte antifiscale lancée par Pierre Poujade (qui dénonce « l’Etat vampire »), la première période est marquée par une fiscalité qui devient progressivement un instrument de la politique budgétaire pour réguler la conjoncture économique.
La période suivante dans les années 1960 est marquée par les controverses autour de la question de la fiscalité de l’épargne et du capital, qui amorce une caractéristique très française du débat fiscal : son idéologisation et politisation. Le débat fiscal s’oriente vers un double objectif : soutenir l’efficacité d’une économie en croissance, avec un taux d’inflation élevé et des dépenses publiques qui s’alourdissent ; mais également favoriser la justice sociale.
La fiscalité devient un enjeu politique majeur. Dans les années 1970, le taux de prélèvements obligatoires passe de 33,6% en 1974 à 40,1% en 1980, notamment pour financer le développement de la sécurité sociale. Si la relance socialiste de 1981 voit une augmentation de la fiscalité sur les hauts revenus et les grandes fortunes (création de l’IGF), afin de financer une stratégie de relance par la consommation et de transferts sociaux vers les bas revenus, dès 1983, le gouvernement met sur l’agenda le thème de la réduction des prélèvements obligatoires dans le cadre de sa stratégie globale de modernisation de l’économie plus favorable aux entreprises (un « triomphe d’Arthur Laffer » selon Jean-Marc Daniel).
Cette politique sera poursuivie sous la première cohabitation Mitterrand/Chirac. La période suivante à partir de 1988 voit le retour de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et la création de la contribution sociale généralisée (CSG) au début des années 1990, puis celle de la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) pour faire face à la montée des déficits sociaux et au financement de la protection sociale. Jean-Marc Daniel s’appuie sur les enseignements intéressants de divers rapports d’experts sur la fiscalité française : il cite notamment le rapport Ducamin de 1995, qui met en évidence des faits toujours d’actualité, comme le fait que notre système fiscal repose sur trois impôts très majoritairement (TVA, CSG, impôt sur le revenu), sur le fait que la fiscalité progressive contribue moins à la redistribution et à la réduction des inégalités que les dépenses publiques et les transferts sociaux, et que notre système fiscal est caractérisé par de nombreuses niches fiscales.
De la fin des années 1990 jusqu’en 2011, Jean-Marc Daniel évoque ce qu’il appelle « l’esprit de la cagnotte », soit le fait que le retour de la croissance économique ne s’accompagne pas d’efforts suffisants de réduction des déficits publics, mais de mesures adoubées par la gauche et la droite pour partager la « cagnotte fiscale » (celle engrangée dans la période de la cohabitation Chirac/Jospin), et insister dans le débat public sur la thématique porteuse politiquement de la réduction des prélèvements obligatoires. C’est là que va s’ancrer dans les pratiques un certain laxisme qui conduit à laisser filer en France les dépenses publiques, tandis que les impôts se lancent à leur poursuite pour tenter de contenir les déficits (sous la contrainte européenne et celle de la crédibilité face aux marchés financiers).
Le tout dans un contexte où les gouvernements n’hésitent pas, parfois, à miser sur le « choc fiscal » (comme Nicolas Sarkozy et la loi TEPA en 2007) et la baisse des prélèvements sur les entreprises pour stimuler la croissance, mais sans véritablement engager de réel politique de contrôle de la dépense publique en parallèle. Dans la période 2011-2016, que Jean-Marc Daniel dénomme « Ubu fiscal », cette tendance se poursuit mais le retour de la croissance va être davantage utilisé pour réduire les déficits publics (structurels) afin de tenir les engagements européens après la crise de l’euro. Les hausses des taxes et des prélèvements reviennent à l’ordre du jour afin de comprimer les déficits et éviter un gonflement trop prononcé de la dette publique. Le taux de prélèvements obligatoires augmente à nouveau et s’établit ainsi à 43,7% en 2012, et il poursuit sa progression après l’élection de François Hollande.
La pression de la règle d’or et du traité budgétaire européen s’impose au nouveau président français qui s’engage dans une politique de relèvement des impôts qui freine la croissance (un « matraquage fiscal ») et conduit à une véritable exaspération de l’opinion publique. C’est ainsi qu’en septembre 2012, le mouvement des jeunes entrepreneurs qui se désignent comme les « pigeons » sur les réseaux sociaux, fait finalement plier le gouvernement qui souhaitait réformer l’imposition sur les plus-values de cession. Il en est de même lorsque le mouvement des « bonnets rouges » fait reculer le gouvernement sur les écotaxes et la fiscalité écologique en 2013. Par la suite le gouvernement s’engagera dans une politique de réduction du coût du travail (sorte de TVA sociale) avec le Pacte de compétitivité et le Crédit impôt compétitivité emploi (CICE), soit des dispositifs tournés vers les entreprises.
Jean-Marc Daniel termine son histoire fiscale en notant que les mesures annoncées en 2017 et prévues pour les années futures (prélèvement de l’impôt sur le revenu à la source, baisse du taux de l’impôt sur les sociétés…) n’échappent pas à la règle observée par le passé : une certaine inconstance, voire une irresponsabilité de la politique fiscale face au mur de la dette publique. Pour l’auteur, nous devons désormais nous interroger et arbitrer clairement entre une fiscalité des flux, c’est-à-dire une fiscalité assise sur les revenus, et une fiscalité de stock, c’est-à-dire une fiscalité assise sur le capital et le patrimoine ; et nous devons aussi nous interroger sur les conditions qui permettront de sortir du dilemme baisse des impôts/baisse du déficit. La réforme fiscale et la remise à plat de tous nos impôts (dans le sens d’une sérieuse simplification) sont donc plus que jamais à l’ordre du jour selon Jean-Marc Daniel, avec l’impératif de réalisation d’économies budgétaires afin de mieux maîtriser nos finances publiques. En effet, hélas, notre fiscalité pèse toujours sur les facteurs de production (en pénalisant le travail et l’accumulation du capital), et nuit à l’attractivité de nos territoires.
Quatrième de couverture
Jean-Marc Daniel se livre à une véritable analyse historique de la fiscalité depuis les débuts de la Ve République. Il commence avec les réformes mises en œuvre par Valéry Giscard d’Estaing, ministre des Finances à partir de 1958. Il s’achève avec le matraquage fiscal de François Hollande. Le livre retrace à la fois les évolutions quantitatives, les réformes mises en œuvre et les propositions et études sollicitées par les pouvoirs publics pour inspirer ces réformes. Il devrait en particulier éclairer le débat fiscal actuel, alors que la classe politique annonce de nouveau sa volonté de baisser les impôts et que, simultanément, le succès du livre de Thomas Piketty montre que l’impôt égalisateur a de nombreux partisans.
L’auteur
Ancien élève de l’École polytechnique, de l’ENSAE et de Sciences Po, Jean-Marc Daniel est professeur d’économie à l’ESCP Europe et chroniqueur sur la matinale de BFM. Il est notamment l’auteur d’Un gâchis français (2015), d’une Histoire vivante de la pensée économique (2010) et des 8 leçons d’histoire économique (2012).