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L'ouvrage
La sociologie des inégalités
Pendant longtemps, la sociologie des inégalités s'est structurée autour des travaux bien connus de Pierre Bourdieu et Raymond Boudon dans les années 1970 en sociologie de l'éducation. Aujourd'hui, cette sociologie de l'éducation se veut plus microsociologique que macrosociologique ; elle s'intéresse alors aux contextes locaux de l'enseignement pour mettre en évidence des « effets établissement » et des « effets maître », ces derniers à travers la prise en compte des pratiques pédagogiques des enseignants ; elle s'intéresse aussi aux stratégies éducatives élaborées par les familles ou à l'inégalité des carrières scolaires entre les sexes (Duru-Bellat marie, Van Zanten Agnès, Sociologie de l'école, Paris, Amand Colin, 2006). Par ailleurs, la sphère des inégalités étudiées s'étend également au-delà des inégalités entre classes sociales ou entre PCS. En premier lieu, l'attention est portée sur les inégalités entre sexes. S'il n'y pas, en France, l'équivalent des gender studies, la perspective du genre comme construction sociale et culturelle, distincte du sexe comme donnée biologique, fait irruption dans la sociologie française (Maruani Margaret [dir.] , Femmes, genre et société, Paris, La Découverte, 2005) ; d'autres formes d'inégalités sont également à l'ordre du jour, comme les inégalités entre générations (Chauvel Louis, Le Destin des générations. Structure sociale et cohortes en France au XX° siècle, Paris, PUF, 1998) ou les inégalités entre territoires pouvant notamment résulter des phénomènes de ségrégation urbaine (Maurin Eric, Le Ghetto français : enquête sur le séparatisme social, Paris, Seuil, 2004).
Enfin, d'une manière générale, la question des inégalités se double progressivement d'une question sur l'exclusion où il s'agit désormais de rendre compte du parcours qui conduit à la rupture du lien social avec notamment les concepts de « disqualification sociale » (Paugam Serge, La Disqualification sociale . Essai sur la nouvelle pauvreté, Paris, PUF, 1991) et de « désaffiliation » (Castel Robert, Les Métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995).
La sociologie de l'action
Alors qu'il y a traditionnellement trois grandes manières de penser la façon dont agit l'homo-sociologicus (l'habitus, concept développé par Pierre Bourdieu et qui tient une place particulière dans sa théorie de la reproduction, l'analyse stratégique de Raymond Boudon qui prend appui sur l'individualisme méthodologique, la démarche interactionniste dont le plus célèbre représentant est Erving Goffman), les courants les plus récents de la sociologie présentent les caractéristiques communes de refuser d'enfermer l'action sociale dans une grille de lecture unique. On citera tout d'abord l'analyse de Bernard Lahire (L'homme pluriel . Les ressorts de l'action, Paris, Hachette , 2001) qui développe une critique serrée de l'habitus en partant du fait que l'expérience sociale des individus est plurielle. Par exemple, alors que la théorie bourdieusienne de l'habitus pense la culture dans les termes d'une parfaite congruence entre l'origine sociale et les goûts et les pratiques, Lahire met plutôt en relief des profils culturels « dissonants », éclectiques, pas nécessairement cohérents avec les prévisions habituelles liées à la distribution des origines sociales. On citera aussi la sociologie pragmatique de Luc Boltanski et Laurent Thévenot (De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 2001) qui ne s'intéresse pas tellement aux contraintes diverses qui pèsent sur les acteurs (le déterminisme, …) mais plutôt à l'analyse des actions qui sont des séquences où les personnes doivent mobiliser des compétences diverses pour pouvoir se mettre en adéquation avec les situations présentes. On citera également la sociologie de l'expérience sociale de François Dubet (Sociologie de l'expérience, Paris, Seuil, 1994) dans laquelle l'action ne repose pas sur un déterminant exclusif mais sur plusieurs logiques hétérogènes que les individus doivent combiner et hiérarchiser, comme la logique de l'intégration sociale (actions orientées par les normes et valeurs intériorisées), la logique de la stratégie (adoption de moyens rationnels pour parvenir aux buts fixés) ou encore celle de la subjectivation (réflexion en soi-même pour gérer les tensions issues de la participation à des univers concurrents).
La sociologie du changement social
Pendant longtemps, l'opposition entre la sociologie et l'histoire s'est nouée autour de l'ambition nomothétique de la sociologie. Alors que la sociologie se proposait de rechercher la ou les lois du monde social, l'histoire avait plutôt pour finalité de décrire avec la plus grande exactitude possible le comportement des acteurs dans une démarche compréhensive, et de restituer avec précision le déroulement des événements passés. Si cette opposition a toujours été sommaire, comme l'a bien établi René Passeron (Le Raisonnement sociologique. L'espace non popperien du raisonnement naturel, Paris, Nathan, 1911), qui met en évidence la proximité épistémologique de la sociologie et de l'histoire, elle est aussi dépassée depuis le début des années 1980 par le projet de la socio-histoire qui a pour objectif de « dénaturaliser » les formes sociales pour en restituer la genèse. C'est dans cet esprit que Luc Boltanski (Les cadres : la formation d'un groupe social, Paris, 1982) mène un travail en opposition radicale avec les conceptions « objectivistes » et « substantialistes » des groupes sociaux pour montrer comment ceux-ci, en l'occurrence les cadres, existent à la suite d'un travail politique de mobilisation au terme duquel ils finissent par se découper dans le tissu de la société et à s'imposer, leur existence semblant alors aller de soi. C'est à ce moment qu'ils deviennent des catégories pour l'analyse scientifique ou le sens commun (on parlera à partir de là du « salaire des cadres », du « vote des cadres » …). La méthodologie de la socio-histoire ne s'applique pas seulement à des travaux visant à dégager les processus d'institutionnalisation de nouvelles identités ; on peut aussi l'utiliser pour étudier la désagrégation des groupes sociaux. Par exemple, Stéphane Beaux et Michel Pialoux (Retour sur la question ouvrière : enquête aux usines Peugeot de Sochaux Montbélliard, Paris, Fayard, 2005) y ont recours pour analyser la désagrégation de l' « ancienne classe ouvrière ». D'une manière plus générale, la socio-histoire, en s'appuyant sur l'histoire pour y chercher la clef des modifications de structures, a un objectif très différent de la sociologie du changement social telle qu'elle avait pu se développer dans les années 1960 (Mendras, Morin, …) parce-qu'elle ne se propose pas d'étudier le changement mais, au contraire, de comprendre la cristallisation des pratiques.
Individu et modernité
L'individualisme est une notion importante en sociologie . Si le processus de l'affirmation de l'individu est un phénomène de long terme qu'il faut articuler avec l'émergence de la démocratie moderne, ainsi qu'avec l'extension des marchés, et si ce processus a fait l'objet d'une attention toute particulière de la part des fondateurs de la sociologie (Durkheim,, Simmel, Tocqueville …), il semble bien que l'individualisation connaisse aujourd'hui une accélération où la référence à soi comme mode d'action s'impose désormais partout, aussi bien dans la famille qu'à l'école, dans le monde du travail comme dans la sphère religieuse. Alors que la sociologie classique voyait avant tout cet individualisme comme une menace pour la cohésion sociale, la sociologie contemporaine semble bien plus nuancée sur cette question.
Si la montée des divorces, la banalisation des naissances hors mariage, l'affaiblissement de l'autorité parentale … peuvent être perçus comme autant de signes d'une crise de la famille, on peut aussi présenter celle-ci comme un lieu de reconnaissance et de valorisation de l'identité personnelle. Si la famille n'est plus une institution, elle demeure un espace de relations privilégié, support essentiel de l'identité des adultes et de la socialisation des enfants (Singly François de, Les Uns avec les autres. Quand l'individualisme crée du lien, Paris, Armand Colin, 2003). De même, si l'institution religieuse est affaiblie, le paradigme de la sécularisation mérite d'être quelque peu nuancé : certes, les églises sont moins présentes dans la vie quotidienne par le fait qu la religion est devenue avant tout l'affaire de l'individu, mais on constate tout de même que les croyances religieuses prolifèrent et que s'impose peu à peu une religiosité mobile et flexible, selon les deux figures idéal – typiques du « pèlerin » et du « converti » (Hervieu-Léger Danièle, Le Pèlerin et le Converti. La religion en mouvement, Paris, Flammarion, 1999). Au - delà de ces exemples, la thèse de la « désinstitutionnalisation » mérite d'être nuancée : les institutions se transforment et se réorganisent à partir du modèle de l'individu souverain mais ne déclinent pas pour autant ; au contraire, on y valorise de plus en plus l'autonomie, l'implication et le sens de la responsabilité des individus. Dans ces conditions, plutôt que de déclin, il vaut mieux parler d'une « très longue reconfiguration encore difficilement perceptible » (Vrancker Didier, Macquet Claude : Le Travail sur soi. Vers une psychologisation de la société ? Paris, Belin, 2006).
Les auteurs :
Céline Béraud est maître de conférences en sociologie à l'Université de Caen. Baptiste Coulmont est maître de conférences en sociologie à l'Université paris VIII.
Table des matières :
Introduction
S'exercer à lire
Bibliographie
I – La renaissance de la sociologie française (1945 – 1965)
1.1945, année zéro
2 .La refondation
3.Des courants
4 .Empirismes et objectivations
Conclusion et bibliographie
II – Penser les inégalités
1.Bourdieu et Boudon
2.Les approches plus récentes
Conclusion et bibliographie
III – Comment agit l'homo sociologicus ?
1.La théorie de l'habitus
2.Rationalité et stratégies
3.Situation et interaction
4.Les courants plus récents
Conclusion et bibliographie
IV – Histoire et sociologie
1.D'anciennes querelles
2.Une proximité épistémologique
3 .Le changement social
4.Norbert Elias : entre « changement social » et socio-histoire
5.Sociologie historique et « socio-histoire »
Conclusion et bibliographie
V – Individu et modernité
1.Le processus d'individualisation
2.Quelle modernité ?
3.Des effets de l'individualisation
Conclusion et bibliographie
Conclusion
Bibliographie
Liste des encadrés
Index
Quatrième de couverture
Comment maîtriser le paysage sociologique contemporain au-delà des repères que constituent les grandes figures des années 1970 (Boudon, Bourdieu, Crozier, Touraine) ? Comment dépasser les proclamations d'écoles et les controverses théoriques afin de comprendre les liens entre les travaux sociologiques actuels ? Ce manuel explore de façon didactique ce qui traverse la sociologie française depuis sa refondation après-guerre, non pas en abordant le courants successivement mais en mettant en résonance ambitions théoriques et grandes questions transversales (inégalités, action, changement et individu).