L'ouvrage
Les technologies de la communication ne sont pas nouvelles, mais trois grandes révolutions engagées depuis les années 70 et non encore achevées nous conduisent vers une deuxième vie des réseaux de télécommunication. C'est à la description de cette mutation, ainsi qu'à l'identification des grandes lignes qui feront l'économie des réseaux de demain, que procède Didier Lombard dans cet ouvrage.
En 1876, l'invention du téléphone prend le relais du télégraphe, qui constituait le moyen privilégié de communication tout au long du 19ème siècle. Plusieurs progrès majeurs vont améliorer la performance de l'invention de Bell. C'est le cas notamment de la commutation, puis des centraux téléphoniques, qui permettent la généralisation d'un modèle plus ouvert, dans lequel chacun peut joindre n'importe quel abonné à partir d'un annuaire ou d'un service de renseignements téléphoniques. Puisque les lignes téléphoniques permettent la transmission d'un signal de voix, les chercheurs s'intéressent très vite à la possibilité de transmettre de l'image. Plusieurs usages sont alors envisagés : la publicité, la recherche des criminels en fuite, la visioconférence, la consultation de documents à distance ou encore la diffusion d'œuvres artistiques. Le succès ne sera pas au rendez-vous. La diffusion de l'image se généralisera avec l'apparition de la télévision, totalement déconnectée du téléphone.
Les trois Big bang des télécoms
A partir des années 70, trois mutations s'engagent qui vont bouleverser l'organisation des réseaux de télécoms, au point que Didier Lombard y voit les prémices de l'entrée de ces réseaux dans une deuxième vie, fort éloignée de la première. Tout d'abord, la technologie numérique s'impose, remplaçant peu à peu l'analogique. La qualité des transmissions s'améliore, ainsi que les débits. Leur croissance est spectaculaire, à l'image du progrès technique observé depuis les années 50 dans le domaine de l'électronique et de l'informatique. Ensuite, Internet se développe, passant d'une technologie militaire à un réseau d'experts, puis s'ouvrant peu à peu au grand public, dans les années 90. Le développement du numérique permet d'ailleurs sa diffusion rapide dans la société, à la faveur d'une amélioration continue des connexions et donc des usages. Dernier big-bang, l'essor des communications mobiles surprend tous les observateurs, y compris les entreprises ayant mis au point puis commercialisé ces produits et ces services. Le nombre d'abonnés au téléphone portable est en effet très nettement supérieur à ce qu'auraient imaginé les pionniers de cette technologie il y a une vingtaine d'années.
Ces trois révolutions quasi-simultanées ont eu une influence considérable sur les consommateurs. L'utilisateur du téléphone dans la première vie des réseaux décrochait son combiné pour un besoin précis, puis le raccrochait lorsque sa communication était terminée. La génération "Y", terme utilisé par les spécialistes des nouvelles technologies pour désigner les jeunes adultes immergés depuis l'enfance dans un monde de communications, sont en permanence connectés. Créateurs de contenus, baignés de technologies et forgés par le jeu vidéo, rompus aux réseaux sociaux et importateurs de technologies dans les entreprises, ces nouveaux utilisateurs se sont approprié les innovations de ces dernières décennies.
Les bouleversements économiques sont naturellement allés de pair avec les ruptures sociales et technologiques. La première vie des réseaux était dominée par deux types d'acteurs. En premier lieu, les opérateurs de téléphonie détenaient un monopole, public ou privé, considéré comme naturel au regard des investissements colossaux qu'il avait fallu effectuer pour offrir ce service à l'ensemble de la population. Les équipementiers constituaient un contrepoids de taille à ces grands groupes. L'ouverture à la concurrence a multiplié les opérateurs et donc affaibli leur position au regard des équipementiers. De nouveaux acteurs ont de surcroît fait leur entrée, notamment les prestataires de services et les fournisseurs de contenus sur Internet, dont l'importance est désormais capitale.
Car l'ensemble du modèle économique des réseaux de communication est bel et bien bouleversé. Le temps semble loin où le cœur de la relation économique était constitué par le paiement à la communication pour les appels téléphoniques ! La culture de la gratuité semble s'imposer, même s'il faut s'entendre sur les termes. "Peut être considéré comme gratuit (ou pseudo-gratuit) tout don dont la contrepartie ne serait pas immédiate ou, plus généralement, liée à lui de façon évidente" (p. 109). Si la gratuité avait pu être utilisée comme élément d'un modèle économique plus vaste par le passé (notamment la distribution gratuite d'un produit, tel un rasoir, entraînant l'achat ultérieur de consommables, comme les lames), elle s'impose désormais, sur Internet, comme un idéal. Les contributeurs de Wikipedia, les éditeurs de logiciels libres mais aussi de logiciels propriétaires (comme Adobe, avec les versions les plus simples d'Acrobat), les moteurs de recherche sont autant de services à usage totalement gratuit pour l'utilisateur, une fois payés les frais de connexion. Les recettes commerciales sont désormais essentiellement issues de la publicité, qui a massivement investi Internet en quelques années.
Parachever la deuxième vie des réseaux
La mutation engagée n'est pas totalement terminée, selon Didier Lombard. Le Village numérique mondial s'attache en effet à mettre en avant les prochaines transformations qui marqueront l'avènement définitif de cette deuxième vie des réseaux. Le paysage économique sera très certainement marqué, dans les années à venir, par une accentuation du mouvement actuel de fusions-acquisitions, qui a nettement repris depuis la crise des années 2000. En effet, ce secteur se caractérise par une croissance forte, en dépit d'un contexte général plutôt marqué par le ralentissement économique. Les acteurs jouent la carte de l'élargissement de leurs activités (Google rachetant YouTube ou la régie publicitaire en ligne DoubleClick, Microsoft lorgnant sur Yahoo !...), créant une tendance à la concentration verticale.
Ce phénomène s'explique aisément par les enjeux de cette deuxième vie des réseaux. En effet, dans un modèle gratuit financé par la publicité, à laquelle des horizons nouveaux d'individualisation et de segmentation sont proposés par Internet, la proximité avec le client final est décisive, puisque c'est le dernier maillon de la chaîne qui encaisse les recettes publicitaires. Cette équation explique pourquoi des équipementiers, des éditeurs de logiciels, des fournisseurs d'accès cherchent à acquérir des éditeurs de sites Internet. Attirer l'internaute nécessite, en outre, de proposer des services nombreux et innovants. Les réseaux sociaux et les sites de partage de vidéos, très prisés par les consommateurs, font ainsi l'objet de toutes les convoitises (Murdoch vient, par exemple, de racheter le site communautaire MySpace). Mais proposer des services dans un environnement très concurrentiel peut conduire également à souhaiter investir dans les réseaux, afin d'assurer son indépendance. C'est le cas, au premier chef, de Google, qui finance la construction de réseaux. La tendance à la concentration est donc partagée par un grand nombre d'acteurs de l'économie des réseaux de communication. Cet essor annoncé passera nécessairement par le développement de la fibre optique, qui permettra d'amener un très haut débit à un maximum de consommateurs.
Les réseaux, dans cette deuxième vie, ont toutes les cartes en main pour être l'un des secteurs économiques majeurs du 21ème siècle. Ils répondent en effet à beaucoup de problématiques nouvelles au début de ce siècle. En termes environnemental, ce secteur est non seulement très peu polluant, mais en plus générateur d'économies de CO2, par exemple par le développement de la téléconférence ou de l'e-mail par rapport au courrier. Il peut aussi apporter des réponses innovantes et socialement bénéfiques aux questions de vieillissement et de dépendance, en proposant des technologies favorisant le maintien à domicile. Il sera, enfin, porteur de bouleversements dans des champs aussi variés que la formation (initiale et continue), le loisir ou encore l'engagement citoyen. Autant de promesses que l'ouvrage de Didier Lombard replace dans leur contexte technologique et économique, en mettant en perspective cent ans d'histoire des télécommunications.
L'auteur
Didier Lombard est président-directeur général de France Télécom-Orange. Polytechnicien, ingénieur général des télécommunications et docteur en économie européenne, il a été à l'origine des premiers satellites de télécommunication français et a participé au développement de la norme GSM pour la radiotéléphonie, avant de devenir directeur des stratégies industrielles au ministère de l'Economie, puis ambassadeur délégué aux investissements internationaux.
Table des matières
Introduction
1975-1995 : trois "Big bang"
1995-2004 : Vers la deuxième vie des réseaux
L'utilisateur désormais nœud de réseaux
L'émergence de la gratuité
Le "mélange" de la chaîne de valeur
Entrer au cœur de la deuxième vie des réseaux
Chapitre 1. Il était une fois la première vie des réseaux
Les archaïsmes de la première vie des réseaux
Des signes précurseurs étonnants
1975-1995 : la transition
Le Big bang du numérique
Le Big bang de l'Internet
Le Big bang de la mobilité
Chapitre 2. La deuxième vie des réseaux en gestation
Les progrès de l'informatique : "simple is beautiful"
La "boîte à outils" de l'Internet
Le haut débit
La baisse des prix
D'une "chaîne de valeur" bipolaire…
A une "chaîne de valeur" multicouches
La coexistence des "anciens" et des "modernes"
Chapitre 3. Nous sommes les réseaux
Une modification des usages au-delà de la maîtrise des technologies
L'émergence des "réseaux sociaux"
L'utilisateur, nœud d'une multitude de réseaux
La Net Génération
Au-delà du moteur de recherche : les recommandations, la redondance et la réputation
Chapitre 4. La gratuité comme modèle
Gratuité et télécommunications
L'émergence du modèle publicitaire sur les réseaux
Réseaux sociaux et publicité
Contenus et publicité
Le modèle publicitaire en question ?
Chapitre 5. Une effervescence annonciatrice
Des rapprochements "horizontaux" qui se poursuivent chez les opérateurs et les équipementiers
Des rapprochements entre "anciens" et "modernes" au sein des couches de la chaîne de valeur
La multiplication des rapprochements verticaux
Pourquoi un tel mélange de la chaîne de valeur ?
R&D 2.0 et partenariats
Chapitre 6. Perspectives : entrer au cœur de la deuxième vie des réseaux
Le développement exponentiel de la connectivité
La montée en puissance de la vidéo et de la télévision
Vers une limite des capacités
L'impératif du très haut débit, fixe et mobile
La datacenters et le cloud computing
Pour une croissance de la qualité
Pour que l'investisseur investisse…
Quand l'Europe et l'Asie se réveilleront
Protéger les données personnelles
Quel avenir pour la chaîne de valeur ?
Notes, bibliographie
Quatrième de couverture
Le téléphone a plus de cent trente ans, l'Internet et le téléphone mobile plus de vingt. Et voici que cet enchevêtrement, toujours plus dense, de réseaux de télécommunications se double aujourd'hui d'un entrelacement de réseaux humains et sociaux : nous sommes en train de devenir... les réseaux. Didier Lombard est tout à la fois une " mémoire vivante " de l'industrie française et européenne et un industriel visionnaire, à la tête d'une des entreprises les plus actives au monde dans un secteur essentiel pour la croissance. Pour la première fois, il livre au grand public le regard qu'il porte sur les évolutions technologiques intervenues des années 1970 au tournant du siècle. Surtout, il expose sa vision de ce que seront nos échanges, notre consommation, notre vie quotidienne, dans un avenir tout proche. En réalité, nous sommes déjà entrés dans la " deuxième vie " des réseaux. Au-delà des enjeux d'un secteur clé de l'économie, pour mieux comprendre le monde nouveau qui est déjà le nôtre.