L'ouvrage
"Une toile gigantesque… et pourtant invisible", "Dans la peau du prédateur", "L'AFM au service de la nation Mulliez"… voilà autant de titres de chapitres qui ne vous donnent pas envie de lire le livre. Une fois de plus, peut-on penser, un journaliste se met en quête de petits secrets pour les transformer en grandes sensations. Le sous-titre corrobore cette hypothèse avec son "Révélations sur le premier empire familial français" ! De fait, le livre n'échappe pas complètement à cette tentation.
S'il n'est pas sans intérêt, c'est qu'il est plus que cela. Il nous fait découvrir en effet un mode d'organisation institutionnelle que tous les détracteurs de la "fortune anonyme et vagabonde" (au XIX° siècle), de la tyrannie des marchés financiers (autour de l'entrée dans le nouveau siècle), des prédateurs qui font leur fortune sur les erreurs des autres, devraient, au moins à première vue, plébisciter. Ici, la fortune est personnelle et visible, le pouvoir est partagé et contrôlé, l'initiative individuelle soutenue à la condition générale qu'il s'agisse d'une création d'activités nouvelles.
Le livre n'échappe pas non plus à la critique quant à un biais représentatif de la société française. On se plaint que Danone soit opéable, l'on crée le concept de "patriotisme économique" et, dans la foulée, on fait voter une loi pour favoriser la participation des salariés de façon à border le capital des entreprises françaises. On suppose que c'est la conscience française qui s'exprime, incarnée par son Président, soutenue par le Premier ministre et, semble-t'il une bonne partie de l'opinion publique. Or, une forme particulière de protection du capitalisme familial existe depuis que les enfants du couple Mulliez-Lestienne ont inventé l'Association Familiale Mulliez (AFM). Cependant, quand un journaliste l'analyse, c'est pour paraître regretter que l'entreprise ne puisse être achetée : comment interpréter autrement qu'un plaidoyer a contrario en faveur des marchés financiers la démarche utilisée dans le chapitre deux sous le vocable déjà cité de "prédation" qui rebondit sur la formule de "citadelle imprenable" utilisée en quatrième de couverture ?
On peut par ailleurs lire à l'envers les thèses au moins implicites de l'auteur. Ah, si les venture capitalists étaient plus nombreux en France (cf. la liste des entreprises soutenues par l'Association Familiale Mulliez – AFM, p. 117-122 et suivantes), si les écoles de commerce centraient davantage leur formation sur l'entreprenariat (cf. la formation des futurs membres de l'AFM, p. 178), si le droit à l'erreur était reconnu dans la société française comme il l'est dans le "Clan Mulliez", ce sont des milliers d'entreprises qui seraient créées, des centaines qui survivraient et quelques dizaines qui atteindraient la taille européenne voire mondiale.
Certes, on peut soutenir que le virage de la production à la distribution à créé moins d'emplois que les 300 000 annoncés par l'auteur comme la somme de toutes les activités qui dépendent de l'AFM. Mais ce sont les consommateurs qui plébiscitent un mode de distribution et, si les enseignes nées autour de cette famille extraordinairement créatrice n'avaient pas accompagné les mutations de la consommation, nul doute que des chaînes internationales se seraient installées en France et que les dividendes et les profits qu'elles auraient généré seraient allés nourrir les fonds de pension et le fisc américains.
Cette extraordinaire aventure est aussi un plaidoyer implicite pour la sélection naturelle des institutions. Munis de quelques grands principes, les fondateurs de l'AFM ont été capables d'inventer un système d'actionnariat collectif dont la forme a été assez plastique pour résister à l'usure du temps, malgré les incroyables transformations de l'économie et de la société. Peut-être que la lumière ainsi jetée sur leur organisation donnera l'idée à l'un ou l'autre contrôleur des impôts de passer au crible de la raison raisonnante les pratiques d'optimisation fiscale qui ont soutenu un tel développement. Ce sera une victoire du modèle français d'automutilation a contrario d'une autre grande idée qui n'est pas seulement française mais que nous vivons volontiers comme un idée nationale (avec la notion de service public) et qui sous-tend le clan Mulliez : " Servir plutôt que se servir " (p. 65).
Finalement, cet ouvrage est intéressant dans la mesure où il montre comment a pu être créé une sous-culture de l'entreprenariat et qu'il laisse entendre que, moyennant de bonnes institutions, la réussite de la "nation Mulliez" pourrait être celle de la nation française. Il n'en est que plus regrettable que l'auteur ait préféré le style people, version "saga" à une version factuelle et démonstrative de cette organisation. Il eût été plus facile d'en mesurer la portée, les limites – qui apparaissent au sein même du groupe familial – et les possibilités de diffusion.
L'auteur
Bertrand Gobin, 42 ans, est journaliste au magazine Linéaires , mensuel spécialisé dans la grande distribution. Il publie ici, en auto-édition, son premier ouvrage.
Guillaume d'Herblin est économiste universitaire, spécialiste de l'analyse financière
Table des matières
1. Une toile gigantesque… et pourtant invisible
2. Dans la peau du prédateur
3. Le bruit ne fait pas de bien
4. Tout dans tout…, enfin presque
5. Marguerite, Louis et leurs onze enfants
6. "Le bon règlement, c'est de la vie codifiée"
7. Une locomotive nommée Auchan
8. L'AFM au service de la nation Mulliez
Quatrième de couverture
Anchan, Leroy Merlin, Décathlon. Mais aussi Flunch, Kiabi, Pimkie, Saint-Maclou, Norauto. Ou encore Boulanger, Cultura, Kiloutou, Jules, 3 Suisses, Alinéa, Brice, etc. : une galaxie d'enseignes sans équivalent dans le monde. Bien que dénué de toute existence officielle, l'empire des Mulliez, premier acteur familial de l'économie française, réalise 52 milliards d'euros de chiffres d'affaires et emploie près de 300 000 salariés. Propriétaires de ce conglomérat tentaculaire : les 520 descendants de Louis Mulliez-Lestienne.
Dans un langage accessible à tous, l'enquête fait éclater au grand jour les mystères de leur organisation. Pour la première fois, le voile est levé sur le pacte qui, depuis 1955, lie entre eux les membres du club nordiste. Deux ans d'investigations au cœur du système Mulliez. Des révélations étonnantes sur les rouages de cette forteresse imprenable mais, surtout, une extraordinaire saga familiale et la possibilité de découvrir, enfin, ce qu'est véritablement "l'intérêt supérieur de la nation Mulliez".