L'ouvrage
La responsabilité sociale d'entreprise (RSE) est une notion contemporaine, dont tout le monde se réclame, à l'instar du développement durable dont elle est en quelque sorte l'adaptation au niveau de l'entreprise. Pour être relativement récentes, ces deux notions reposent sur des fondements intellectuels solides, que les auteurs de cet ouvrage synthétique explicitent. Par ailleurs, elle induisent des comportements sur lesquels il est nécessaire de s'interroger.
L'analyse des trois termes de la formule est riche d'enseignements dans la mesure où elle fait apparaître les questions essentielles autour de cette notion. "Responsabilité", tout d'abord, est porteur de deux significations contraires, qui créent une ambiguïté que l'on peut considérer comme inhérente à la RSE. Il s'agit bien du respect d'une obligation, mais sans que l'on sache si cette obligation est juridique, éventuellement suivie de sanction, ou morale, voire religieuse – cette dimension spirituelle étant à l'origine de la RSE aux Etats-Unis. Le terme "social" est, comme à l'accoutumée, porteur d'une ambiguïté majeure : cette responsabilité ne s'exerce-t-elle que dans la relation avec les salariés ou s'étend-elle à un cercle plus large de parties prenantes ? "Entreprises", enfin, ne distingue pas entre petites et grandes entreprises, et conduit à s'interroger sur la responsabilité des autres structures (publiques, associatives…).
Toutes ces questions ne sont pas tranchées, de sorte qu'il n'existe pas de définition unique et partagée de la responsabilité sociale d'entreprise. Les auteurs en citent deux (p. 23). Celle de la Commission européenne estime que "être socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aller au-delà et investir davantage dans le capital humain, l'environnement et les relations avec les parties prenantes". L'ISO (organisme international de normalisation) a, pour sa part, retenu la définition suivante : "actions d'un organisme pour assumer la responsabilité de l'impact de ses actions sur la société et l'environnement pour autant que ces actions soient cohérentes avec les intérêts de la société et du développement durable, fondées sur un comportement éthique, le respect de la loi en vigueur et des instruments gouvernementaux, et intégrées aux activités habituelles de l'organisme". Aucune de ces définitions ne tranche un point majeur de divergence entre anglo-saxons et européens : la RSE est-elle un engagement volontaire (version anglo-saxonne) ou une obligation de l'entreprise (version latine) ?
Ce débat trouve ses racines dans des conceptions différentes de l'entreprise. La diversité des points de vue aux Etats-Unis est, à elle seule, une bonne indication de l'importance du débat. Pour les uns, l'entreprise n'existe que pour ses actionnaires, que le dirigeant sert. "Pour Milton Friedman et les économistes néo-classiques de l'Ecole de Chicago, la responsabilité sociétale de l'entreprise, au-delà de ses responsabilités légales, ne s'exerce que par les seules décisions destinées à améliorer la rentabilité pour les actionnaires, propriétaires de l'entreprise. (…) Pour inscrire la prise en compte d'objectifs sociétaux dans les décisions des entreprises, il faut donc démontrer qu'il y a une corrélation positive entre les performances financières et les performances sociétales" (p. 33). La RSE est bien alors un choix de l'entreprise, rationnellement motivé. Pour les autres, le fondement de cette responsabilité est de nature morale, voire religieuse. "Cette vision correspond aux préceptes bibliques de stewardship principle (gestion responsable de la propriété sans atteinte aux droits des autres) et de c harity principle (obligation aux personnes fortunées de venir en aide aux personnes démunies)" (p. 7). Elle a pour origine la volonté des églises évangéliques de se doter d'une doctrine sociale pouvant concurrencer celle de l'Eglise catholique. Ni la vision néo-classique pure, ni la dimension religieuse n'ont été vraiment exportées hors des Etats-Unis, l'Europe se montrant tout à la fois moins attachée à la rationalité individuelle et moins prompte à fonder ses principes sur des valeurs explicitement religieuses.
Une autre approche a été développée pour fonder la RSE, celle des parties prenantes (stakeholders). L'entreprise n'est pas le simple produit d'un pacte d'actionnaires, mais implique toute une série d'acteurs (salariés, clients, sous-traitants, partenaires, voisins…) qu'elle doit prendre en compte dans ses décisions. Selon les auteurs, cette prise en compte est destinée soit à améliorer les performances économiques de l'entreprise, soit à respecter les prescriptions éthiques.
Cette dernière approche ne trouve pas grâce aux yeux des deux auteurs de l'ouvrage, qui émettent des réserves sur l'approche politique sous-jacente. La théorie des parties prenantes suppose en effet que l'intérêt général (préservation de l'environnement, respect des salariés…) jaillira de l'agrégation des intérêts individuels, dans une lecture libérale tendance utilitariste de la société. Michel Capron et Françoise Quairel-Lanoizelée semblent adhérer plutôt à l'approche sociologique de la RSE. Autour de valeurs communes, les acteurs construisent pas à pas, institutionnalisent la RSE, qui peut en ce sens être lue comme une convention sociale.
Cette démarche sociologique est également à l'œuvre dans les développements que consacrent les deux auteurs au rôle de chaque famille d'acteurs dans la construction d'une RSE. Les entreprises, concernées au premier plan, développent des stratégies différentes, en fonction de leur perception des enjeux. Elles peuvent reconnaître pleinement leur responsabilité et mettre en œuvre des actions concrètes limitant l'impact de leur activité sur l'environnement au sens large. Elles peuvent également rejeter en bloc la démarche, considérant qu'elle n'est pas de leur ressort. Il arrive aussi qu'elles détournent l'attention par des discours ou quelques actions d'éclat, s'inscrivant alors davantage dans la communication que dans le long terme.
Mais elles ne sont pas les seules à être placées dans une position ambiguë. Ainsi l'actionnaire peut-il ne se soucier que de ses dividendes ou porter attention à l'impact économique, environnemental et social de l'activité de l'entreprise, comme cela s'observe dans le cadre de l'investissement socialement responsable (ISR), en fort développement ces dernières années. Les consommateurs eux-mêmes sont tiraillés entre leurs bonnes intentions et la recherche du prix le plus bas, souvent incompatible à court terme avec le respect de certaines exigences. Les syndicats de salariés, enfin, peuvent soit élargir leur action en intégrant à leurs revendications l'ensemble des activités de l'entreprise, soit se concentrer sur leur vocation première, l'emploi, au détriment par exemple de la protection de l'environnement.
Bien que très présente dans la vie des entreprises, et faisant l'objet de nouveaux outils développés par les sciences de la gestion et du management, la RSE reste donc un concept en pleine évolution. Loin de renvoyer à un cahier des charges figé et identique pour toutes les entreprises, la RSE tend plutôt à inciter les entreprises à s'intéresser davantage à l'impact de leurs activités et à développer des standards communs permettant de comparer les firmes entre elles. Elle contribue surtout à faire des entreprises des acteurs sociaux à part entière, dont la responsabilité et le rôle actif sont reconnus au-delà de la seule performance économique.
Les auteurs
- Michel Capron est professeur de sciences de gestion aux universités Paris-VIII-Saint-Denis et Paris-XII-Val-de-Marne, où il codirige le master "Management de la responsabilité sociale des entreprises".
- Françoise Quairel-Lanoizelée est maître de conférences à l'université Paris-Dauphine. Elle assure, dans le master "RSE" de Paris-XII et le master "Développement durable" de Paris-Dauphine, le cours de RSE.
Quatrième de couverture
Le mouvement de "responsabilité sociale d'entreprise" (RSE) qui s'est développé ces dernières années remet-il en cause les approches traditionnelles de la firme ? Pourquoi et comment les entreprises intègrent-elles à leurs objectifs économiques des objectifs environnementaux et sociaux ? Les auteurs présentent les différentes approches du concept de RSE ; ils analysent la pression des parties prenantes, les discours, les pratiques et les dispositifs actuels et mettent en lumière les dilemmes et les limites de la RSE par rapport aux enjeux du développement durable. En proposant une nouvelle lecture des rapports entre les activités économiques et la société, cet ouvrage ouvre des perspectives de réflexion utiles aussi bien aux chercheurs qu'aux acteurs concernés (milieux économiques, syndicats, ONG…).