La France 3.0

Christian Saint-Etienne

L'ouvrage

Dans les quinze ans qui viennent, tout l’enjeu pour l’économie française sera de passer d’un monde 2.0 à un monde 3.0. Or, dans l’histoire économique, la France n’a fait que suivre et prendre en marche le train des deux premières révolutions industrielles, avec quelques décennies de retard (« un retard à l’allumage ») : celle de la machine à vapeur et du chemin de fer à la fin du XVIIIème siècle, et celle de l’électricité et du moteur à explosion à la fin du XIXème siècle. Ce retard s’explique avant tout selon l’auteur par un archaïsme institutionnel et culturel de nos élites qu’il faut aujourd’hui dépasser, et ce par une profonde et urgente réforme de notre système politique.

Un diagnostic partagé sur le retard français

Le déclin de la France est réel depuis un quart de siècle, et une accumulation d’erreurs tragiques de politique économique ont conduit à un décrochage industriel et un affaiblissement inquiétant de notre puissance productive dans l’économie globalisée. Le niveau de vie des Français qui était supérieur à la moyenne d’un échantillon de 16 pays développés en 1992, passe sous la moyenne en 1996, puis décroche pleinement sur la période 2000-2012, pour se situer 6% en-dessous de la moyenne en 2012. D’autres faiblesses minent le système productif français : chute du taux d’investissement, baisse du niveau des élèves dans le classement PISA de l’OCDE, décrochage de notre taux de dépense de recherche & développement, aggravation des inégalités de revenus, violente progression de la dépense publique…Plus encore, notre pays a pris l’habitude de donner le primat à la redistribution sur la production de richesses. Christian Saint-Etienne détaille les trois erreurs majeures de stratégie macroéconomique qui sont responsables de notre chute : la première date de 1991-1992 lorsque les autorités de l’époque ont décliné la proposition de l’Allemagne de réévaluer le deutschemark et ont maintenu contre vents et marées la politique dite du « franc fort » par des taux d’intérêt réels très élevés qui ont pénalisé l’investissement productif et installé la « croissance molle » (un taux de croissance du PIB guère supérieur à 1-1,5%) ; la seconde erreur massive fut de réduire le temps de travail (avec le passage aux « 35 heures ») en 1999-2000 en alourdissant le coût du travail, alors même que la naissance de la zone euro obligeait les Etats membres à contrôler comme du lait sur le feu l’évolution de leurs coûts réels de production par rapport à leurs partenaires européens (comme l’Allemagne) mais néanmoins concurrents commerciaux ; la troisième erreur tragique est, entre 2011-2013, d’avoir accepté un alourdissement de la fiscalité en général, et de la fiscalité du capital en particulier (en 2013 elle atteint 60%), qui a détruit la confiance des entrepreneurs dans une période de morosité économique, avec à la clé une chute brutale de l’investissement et une fuite des capitaux. Selon l’auteur, « ces trois erreurs de politique économique ont largement contribué à balayer les acquis stratégiques et politiques des Trente Glorieuses, ces 30 années de forte croissance après la Libération », tandis que de 2000 à 2014, la France a subi un véritable « mai 1940 économique », une défaite dont il convient de bien prendre la mesure pour opérer le redressement. Christian Saint-Etienne pointe du doigt une fragilité culturelle typiquement hexagonale : les élites dirigeantes, comme le Roi-Soleil à son époque, pensent le monde à partir d’elles-mêmes plutôt que de prendre acte de sa réalité, et jusqu’à présent, elles n’ont pas su, comme à d’autres époques de l’Histoire, mobiliser les atouts de la France. Aujourd’hui, notre pays est bel est bien confronté à une crise d’offre, au sens où notre déficit de compétitivité actuel s’explique avant tout par l’incapacité des entreprises françaises à produire des biens et services de qualité répondant à la demande nationale et étrangère. Il s’agit de créer des incitations favorables à la prise de risques par les producteurs, créateurs et entrepreneurs : dans un monde ouvert, une relance par la demande n’aurait que peu d’impact sur l’emploi national et ne ferait que dégrader un peu plus la situation de nos finances publiques. Seule une politique hardie de soutien à la production industrielle est de nature à faire entrer la France dans la Révolution 3.0. En particulier, il devient urgent de combler notre retard en matière de PME et d’entreprises de taille intermédiaires (ETI) innovatrices et exportatrices (notamment en assouplissant les seuils sociaux) par rapport à l’Allemagne (en 2012, la France comptait 120 000 entreprises exportatrices contre 306 000 en Allemagne et 208 000 en Italie). Autre faiblesse : un déficit préoccupant en termes de force de travail, puisque la France a un taux d’emploi global (la part de personnes qui ont un emploi par rapport à la population totale) qui n’est que de 41,5% contre 50% en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis.

Promouvoir l’écosystème de l’ iconomie entrepreneuriale

Chaque révolution industrielle entraîne une série de mutations : en termes de transports, d’échanges des informations et des idées, en termes d’éducation, d’urbanisation, d’éducation et de relations sociales, et d’assimilation des innovations par l’ensemble des entreprises qui impacte l’évolution de la productivité globale des facteurs (PGF) et la croissance potentielle. Ce débat a d’ailleurs été relancé en France par une étude préparatoire du Conseil d’Analyse économique (CAE) qui abaisse la croissance potentielle de notre pays de 1,6% par an à 0,9% par an. Un cercle vicieux s’est enclenché où la faiblesse des marges de l’industrie réduit la capacité des entreprises à investir ; en retour, la faiblesse de l’investissement sophistiqué de l’industrie contribue à l’affaiblissement des marges bénéficiaires. La troisième révolution industrielle qui s’annonce combine ainsi le développement de l’informatique et d’Internet avec l’avènement de l’économie entrepreneuriale fondée sur l’innovation. Dans ce type d’économie (qui devrait « balayer les vieilles structures productives dans les dix ans qui viennent »), les interactions entre investisseurs capital-risqueurs, entrepreneurs et chercheurs vont devenir stratégiques, et la création de valeur ajoutée va passer par l’essor des NBIC : N pour les nanotechnologies, B pour les biotechnologies, I pour les technologies de l’information et de la communication, et C pour les technologies cognitives centrées sur le cerveau. Pour porter cette révolution productive, il faudra notamment des circuits financiers performants (une « finance entrepreneuriale »), et posséder une place financière puissante dans un monde global, en termes de capacité à gérer l’information et les risques, et à innover pour répondre aux besoins nouveaux de financement et d’assurance contre le risque.

La globalisation des échanges va immanquablement accentuer la métropolisation de l’économie, avec une agglomération croissante des activités dans les grandes villes (ces attracteurs de flux humains, financiers, scientifiques, culturels, technologiques) : il s’agira ainsi de favoriser la mobilité des personnes et mettre en œuvre des politiques publiques ambitieuses aptes à éviter les problèmes de congestion des centres urbains, d’envolée des prix du logement, etc. pour éviter la cassure entre une « France des métropoles » connectée à l’économie-monde, et une « France périphérique » reléguée et qui concentre toutes les difficultés sociales. Aux côtés de l’Etat régalien (qui assure la sécurité des biens et des personnes) et de l’Etat Providence rénové (qui protège les individus contre les grands risques sociaux liés à la vie), Christian Saint-Etienne plaide ainsi pour un « Etat stratège », chargé de s’assurer que la collectivité nationale dispose bien des infrastructures et des capacités compétitives lui permettant de développer le niveau de vie et le bien-être de la population dans le moyen/long terme.

Comment construire la France 3.0 ?

Pour que la France entre de plein pied dans la Révolution industrielle 3.0, il faudra également qu’elle soit aidée par une réforme profonde de l’Union européenne (qui reste une Europe 2.0 bloquée par l’indécision politique), laquelle demeure un espace fragmenté où la concurrence fiscale et sociale génère une harmonisation par le bas. Selon l’auteur, le drame de l’Europe est que, faute de volonté politique, elle n’a jamais véritablement choisi entre la voie de la zone de libre-échange et celle de la fédération d’Etats nations. On peut le mesurer au retard pris par certains grands projets technologiques, comme le système de géolocalisation Galileo, qui reste entravé par les échecs de lancement des premiers satellites de la constellation en août 2014, pourtant si nécessaires à l’iconomie entrepreneuriale. Face aux graves dysfonctionnements de la zone euro (hétérogénéité des économies, défaillance de la gouvernance et du système de politique économique, absence de fédéralisme budgétaire) et pour éviter une stagnation économique durable et mortifère, Christian Saint-Etienne perçoit deux solutions rationnelles : soit la création d’une fédération économiques de pays quittant ensemble la zone euro, soit une division en deux de la zone entre pays faibles et forts. Une nouvelle Fédération économique et monétaire pourrait ainsi voir le jour dans le premier cas et permettre des avancées institutionnelles, en créant un budget fédéral avec des règles de stabilité budgétaire, des seuils minima pour la fiscalité et la protection sociale, et en initiant un plan de relance avec des investissements en infrastructures, recherche & développement, et réseaux universitaires de recherche au sein de cette nouvelle fédération.

Alors que notre pays est aujourd’hui « dans les cordes », pour reprendre la formule de Christian Saint-Etienne, l’édification de la France 3.0 va nécessiter des réformes économiques de grande ampleur, mais également une redéfinition de notre contrat social et une refonte de nos institutions politiques.

La France dispose d’atouts exceptionnels dans la compétition de l’iconomie : des infrastructures performantes, des savoir-faire reconnus dans le monde entier, une démographie dynamique, un niveau élevé de la productivité horaire du travail, des chercheurs et scientifiques de haut niveau dans les domaines clés de l’iconomie (mathématiques, informatique, numérique, biologie, etc.) et des grandes entreprises (aérospatiale, transports) et des ETI très compétitives dans de nombreux secteurs. Avec la métropolisation de l’économie mondiale, un mouvement qui va s’intensifier, le Grand Paris pourrait devenir un « attracteur global » dans le top quatre des plus grandes villes mondiales au cœur de l’économie globale connectée. Christian Saint-Etienne appelle de ses vœux une série de réformes : une grande refonte de la fiscalité (modification des taux d’imposition de l’IS et des taux de TVA, suppression de l’ISF), la mise en œuvre d’une règle d’or des finances publiques (avec l’obligation d’avoir des déficits publics structurels inférieurs à 0,5% du PIB), un renforcement des fonds propres des entreprises, une réforme des retraites avec une durée de cotisation et un âge légal de départ à la retraite portés respectivement à 44 ans et 64 ans d’ici à 2024, et une hausse de la durée annuelle de travail portée à 1750 heures (plus un quota de 200 heures annuelles permettant de faire face aux variations de l’activité économique). Il faut également selon lui investir massivement dans nos industries robotiques, d’informatique, d’éditions de logiciels et d’impression 3D qui vont, dans les années qui viennent, transformer en profondeur notre système productif.

Mais il s’agit également de mettre en œuvre une réforme de notre système de redistribution, à bout de souffle, et revivifier notre contrat social en mettant davantage en avant, pour le citoyen, les « droits d’être » (liberté, propriété, droit de s’associer, d’entreprendre) qui protègent la liberté de l’homme, plutôt que les « droits d’avoir » (soit des droits tirés sur la société sans contrepartie et déresponsabilisants), pour en finir avec ce que l’auteur appelle « la République de l’envie » et la « médiocrité égalitariste ». En ce qui concerne le système politique, Christian Saint-Etienne plaide pour une rationalisation du Parlement (baisse du nombre de députés et de sénateurs et limitation à deux mandats successifs), un recentrage sur les exécutifs des communautés de communes, métropoles et agglomérations (avec une diminution très forte du nombre d’élus recevant une indemnité de fonction), un renforcement de la fonction du Chef de gouvernement et de ses pouvoirs en matière de politique intérieure, avec un Président de la République qui se consacre à son rôle de clé de voûte des institutions, de chef des armées et de garant de l’indépendance de la justice. Seul un « choc institutionnel » peut rénover notre démocratie et restaurer le lien de confiance entre les citoyens et leurs dirigeants politiques selon l’auteur. C’est à ce prix que la France pourra redevenir « une puissance phare, intellectuellement et politiquement influente ».

Quatrième de couverture

Dans ce nouveau livre, Christian Saint-Etienne formule des propositions originales pour mettre en place la France 3.0 et rétablir la confiance du peuple dans ses élites. « La République doit réécrire son contrat social et rénover ses institutions. Il faut casser la défiance entre les dirigeants et le peuple en faisant participer ce dernier à la décision et en l’intéressant aux bénéfices de la prospérité. Nous pouvons passer rapidement d’une France 2.0 en difficulté à une France 3.0 à la pointe du progrès économique, social et culturel, avec plusieurs millions d’emplois à la clé. Notre capacité de rebond dans une iconomie entrepreneuriale est réelle. Mais il faut agir…vite ! » Christian Saint-Etienne.

L’auteur

Auteur notamment de France : état d’urgence, Christian Saint-Etienne, après avoir enseigné à l’université Paris-Dauphine et travaillé au FMI et à l’OCDE, est depuis 2009 professeur titulaire de la chaire d’économie au Conservatoire national des arts et métiers. Il a reçu onze prix universitaires et académiques pour ses travaux et publications.

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