L'ouvrage
Une grande partie des Français exprime une certaine défiance face à la mondialisation, voire une « fatigue de la mondialisation » : dans cet ouvrage, Lionel Fontagné décrypte finement, au-delà des discours populistes et les incantations aux mesures protectionnistes sur le sujet, les effets du commerce international sur l’emploi, les salaires et le pouvoir d’achat, en s’appuyant sur les travaux des économistes et les études empiriques disponibles. Certes, le choc de la mondialisation a un impact réel sur le marché du travail, l’emploi et les salaires, mais il est beaucoup plus complexe qu’on ne le pense. Et l’auteur, comme un fin limier, mène l’enquête au fil des pages en convoquant la théorie économique et les données statistiques qui permettent de déceler la responsabilité des divers phénomènes à l’origine des destructions de l’emploi, de la polarisation du marché du travail et du déclassement social d’une partie de la main-d’œuvre. Le point fondamental est le suivant : selon L. Fontagné « votre caddie et votre feuille de paye reflètent une même réalité », mais envisagée de deux points de vue différents (ce sont « les deux faces de la mondialisation »). La baisse du prix des biens importés et des intrants intégrés au processus de production des firmes françaises peut engendrer un gain de pouvoir d’achat en achetant certains produits (comme le textile) à des prix plus faibles dans les magasins. Mais l’impact sur la feuille de paye peut être négatif par la concurrence des pays à bas salaires et des destructions d’emplois dans certains secteurs (comme le textile, la coupe de vêtements et l’habillement).
Tel est le drame de la mondialisation : ses effets négatifs et les pertes engendrées sont localisées et spectaculaires, mais ses gains sont diffus et silencieux lorsqu’ils se propagent dans l’économie : « certes la mondialisation a un effet sur les marchés locaux du travail, mais elle procure des gains de pouvoir d’achat se diffusant dans l’ensemble de l’économie ». Les ménages, pris globalement, consomment plus de tous les biens et services, et relativement plus de ceux dont les prix baissent. La dynamique du commerce international peut aussi aggraver les inégalités territoriales : certains marchés locaux peuvent perdre des emplois, et cette perte ne sera pas forcément intégralement compensée par la baisse des prix des biens importés, tandis que des emplois seront certes recréés en France par la libération d’un certain pouvoir d’achat, mais ils ne le seront pas forcément au sein des territoires où ils ont été supprimés…Les perdants de la mondialisation ont alors de grandes difficultés à se reconvertir si leur emploi est détruit, surtout si le tissu économique où ils vivent (et ont ancré leurs vies) est très spécialisé (et donc peu diversifié) sur leur territoire, et s’ils ont des compétences spécifiques non transférables. En perdant leur emploi dans l’industrie, ils peuvent alors espérer connaître une transition professionnelle dans le secteur des services, mais avec des conditions salariales dégradées et en connaissant un déclassement social qui nourrit le rejet de la mondialisation.
Lire le chapitre de terminale en spécialité SES sur le commerce international et l’internationalisation de la production
Formats PDF
Retrouvez le webinaire Melchior M avec Lionel Fontagné
Le choc du commerce international sur le marché du travail
L. Fontagné le martèle : la mondialisation fait beaucoup de gagnants. Ce sont ceux qui sont à l’aise avec le progrès technique, qui disposent d’un haut niveau de qualifications dans les tâches de conception au sein des secteurs ouverts à la concurrence internationale, qui habitent les centres urbains « connectés » aux flux de l’économie mondiale, et qui gagnent à la fois en termes de progression de leurs salaires, mais aussi en bénéficiant sur le marché des biens de la baisse des prix des produits consommés. De surcroît, la baisse des coûts des consommations intermédiaires importées, et l’accroissement de la taille des marchés, permet aux firmes françaises de développer leurs exportations et de créer donc davantage d’emplois, d’autant que les investissements directs étrangers en créent également sur le territoire national. Mais l’auteur insiste sur un point clé dans son analyse. La « fatigue de la mondialisation », en France, vient surtout du fait que l’on a pas su, ou voulu, redistribuer vers les perdants : « redistribuer les revenus, mais surtout « redistribuer les cartes », c’est-à-dire offrir une formation complémentaire, un socle de connaissances, de nouvelles possibilités grâce à des compétences moins spécifiques ». L’attention s’est alors focalisée, dans le débat public, sur les coûts de la mondialisation, et les bénéfices diffus mais bien réels sont passés au second plan…voire sont passés sous silence car inaudibles. Les partis politiques et les candidats extrêmement critiques de la mondialisation ont ainsi engrangé des voix et ont eu politiquement le vent en poupe (élection de Trump aux États-Unis, victoire des partisans du Brexit, poussée du Rassemblement national en France sur des thèses souverainistes, etc.)
L. Fontagné rappelle que certaines évolutions du marché du travail, des salaires et de l’emploi, comme la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée, l’affaiblissement du pouvoir de négociation des salariés, ou les changements structurels de l’appareil productif avec les gains de productivité et la désindustrialisation, sont antérieures à la vague de la mondialisation à partir des années 1990. De plus, les institutions du marché du travail (protection de l’emploi, salaire minimum, pourvoir de négociation des salariés…) impliquent un choc du commerce international très différent selon les pays et les catégories de main-d’œuvre : par exemple, en France, en raison de certaines rigidités, les ajustements du marché du travail à l’effet combiné du progrès technique et de la mondialisation se font davantage par les « quantités » (les destructions d’emploi) que par les « prix » (la baisse des salaires), comme on a pu l’observer aux États-Unis. Par ailleurs, en France, le dualisme du marché du travail, certes moins fort qu’aux États-Unis et dans les pays de l’OCDE, s’accroît tout de même avec la disparition progressive des emplois intermédiaires, et les écarts se creusent entre les travailleurs très qualifiés et les travailleurs non qualifiés. Il faut même descendre au niveau des métiers pour percevoir plus finement ces évolutions : l’entreprise dans laquelle on travaille, et le métier que l’on exerce, déterminent assez fortement les gains ou les pertes des salariés. Selon L. Fontagné, « le fait de travailler dans le textile ou l’aéronautique n’est pas la raison principale des écarts de salaires, c’est le métier exercé dans chacune de ces industries qui importe : on est mieux payé parce que l’on est ingénieur plutôt que contremaître. Et cela est encore plus vrai aujourd’hui qu’hier ».
Lire l’analyse de Patrick Artus sur les relocalisations en France
Les deux faces de la mondialisation
L’impact de la mondialisation commerciale est d’autant plus fort que le centre de gravité de l’économie mondiale s’est déplacé vers la Chine et son gigantesque marché du travail, tandis que de nombreuses « frictions » aux échanges internationaux ont disparu avec la baisse des droits de douane, et la chute des coûts de transport et de communication (essor des technologies de l’information et de la communication, transport de marchandises par porte-conteneurs…) Selon L. Fontagné, « la France est relativement plus petite dans un monde toujours plus grand, et qui grandit plus fortement du côté des pays à bas salaires vis-à-vis desquels les frictions aux échanges ont été fortement réduites ». Si le commerce intra-européen et les échanges intra-branches entre pays à niveaux de vie relativement similaires n’ont que peu d’impact sur le marché du travail, il en va différemment lorsque les échanges se développent entre les pays développés et les pays émergents en phase de rattrapage économique rapide. L’impact de cette concurrence des pays à bas salaires est d’une toute autre ampleur : avec la mondialisation, le commerce augmente entre tous les pays, et le basculement de la géographie des échanges vers la Chine et l’ouverture plus forte des économies, expose une part nettement plus importante du marché du travail au choc. Les gains de la mondialisation sont donc inégalement répartis entre les consommateurs : le caddie des ménages à bas revenus profitera d’autant plus du choc commercial avec la Chine qu’une plus grande partie de leurs achats porte sur des produits à prix plus faibles et importés. Cette face de la mondialisation « prix du caddie » est plutôt positive dans la mesure où un retour à l’autarcie ferait forcément bondir le prix des biens achetés par les populations à revenus modestes…La libération du pouvoir d’achat peut aussi créer une demande solvable qui génère des emplois de services : « avec les économies réalisées sur vos chemises, vous allez dîner plus souvent au restaurant ».
Mais qu’en est-il de la dimension « feuille de paye » ? L. Fontagné, en s’appuyant sur des travaux empiriques robustes, insiste surtout sur les transitions difficiles que vivent les salariés sur le marché du travail : quitter un emploi industriel pour se réorienter vers les services entraîne une perte conséquente de salaire réel. Ces pertes sont alors concentrées sur les salariés échangeant des tâches routinières dans l’industrie contre des tâches routinières dans les services (« quittant une chaîne d’assemblage General Motors pour un emploi de cariste chez Wal-Mart »). Ainsi, « pour ces salariés subissant un déclassement social, le gain de pouvoir d’achat lié aux importations ne compense pas les pertes de revenu ». Les perdants sur la face « feuille de paye » de la mondialisation sont les salariés qui cumulent les désavantages d’un faible niveau de qualification, dans les bassins d’emplois de main-d’œuvre à forte proportion de non-qualifiés, dans des industries utilisant beaucoup de tâches routinières et pouvant être aisément automatisées ou délocalisées. L’exposition locale à la mondialisation est dès lors particulièrement déstabilisante pour certains territoires : mais « la mondialisation se nourrit du progrès technique », car elle se conjugue aux effets des mutations technologiques, puisque, pour résister à la concurrence chinoise, certaines industries réagissent en introduisant des innovations, afin de réaliser des gains de productivité, et embauchent des salariés toujours plus qualifiés pour réaliser des tâches toujours plus complexes. Ainsi, des études montrent que pour l’économie américaine, le choc du commerce international a des effets locaux (qu’ils soient positifs ou négatifs) nettement plus marqués (quatre à cinq fois plus forts) que l’effet pour l’économie américaine dans son ensemble.
Quatrième de couverture
Quel est l’impact de la mondialisation sur l’emploi, les salaires et le pouvoir d’achat ? Alors que la pandémie de Covid-19 a vu la critique de la mondialisation s’exacerber, que savent les économistes à ce sujet ? En proposant une instruction à charge et à décharge de l’économie mondialisée sur le plan social, Lionel Fontagné analyse les deux faces de la mondialisation incarnées par le caddie et la feuille de paie. Ensemble ils déterminent, in fine, s’il y a gain ou perte de pouvoir d’achat.
L’auteur
Professeur à l’université Panthéon-Sorbonne et chaire associée à l’École d’économie de Paris, membre du Cercle des économistes, Lionel Fontagné a dirigé le Centre d'études prospectives et d'informations internationale.