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L'ouvrage
La communauté en France est nationale, religieuse, scientifique… Elle désigne une réalité généralement indivisible et abstraite. Autant de caractéristiques qui ont conduit à ce que le concept ne soit pas travaillé par les sociologues français. La notion de communauté ne bénéficie d'ailleurs pas d'une définition unique. Trois références utilisées dans l'ouvrage permettent d'en saisir les contours. Pour Aristote, la communauté désigne la vie de village, autarcique et heureuse. Pour le sociologue allemand Tönnies, à la fin du 19ème siècle, la communauté est caractérisée par des liens traditionnels et familiaux, alors que la société se constitue dès lors que se généralise le statut d'individu indépendant – le passage de l'une à l'autre étant nécessaire à l'essor du capitalisme. Pour Max Weber, enfin, le lien de communauté relève du sentiment subjectif, tandis que le lien de société repose sur des intérêts rationnellement motivés.
La sociologie anglo-saxonne a, en revanche, de longue date développé l'étude des communautés ( community studies ). Cette approche, qui commence seulement à irriguer les sciences sociales françaises, marque la naissance de la sociologie américaine, dès les années 1920, et est adoptée à la même époque au Royaume-Uni. L'ouvrage propose une analyse critique de près d'un siècle d'études de communauté.
Les premières études s'intéressent aux communautés spatiales. Les auteurs partent à la recherche de ce qui fait communauté dans les villages et les petites entités humaines isolées. Plusieurs éléments sont généralement mis en avant. Les liens de famille, d'amitié, de nécessité unissent les habitants des villages dans un même sentiment d'appartenance. Deux traits saillants affirment l'existence d'une communauté. D'une part, les liens sociaux sont souvent vécus comme égalitaires, même si les auteurs observent souvent la présence de hiérarchies implicites, voire inconscientes. Mais surtout, le village se fait communauté autour de l'idée de préservation de sa propre identité et de la transmission de ses traditions. C'est par exemple le rôle que jouent les récits qui construisent et réaffirment l'unité des habitants de certaines petites îles ou de certains villages reculés.
De nombreux auteurs se sont par ailleurs intéressés aux villes moyennes (notamment Robert et Helen Lynd avec Middletown , en 1929). Il semble qu'ils aient été moins préoccupés de mettre en avant les éléments constitutifs de la communauté que d'étudier l'impact du changement, en particulier des mutations industrielles, sur la structure sociale et la culture de ces espaces. Selon les individus et les catégories sociales étudiées, le changement sera vécu comme une menace pour l'identité culturelle d'une communauté supposée pré-éxistante ou comme une opportunité. La communauté est en quelque sorte produite par l'imminence d'un changement social, dans des espaces moins clos que les villages reculés.
Les auteurs, enfin, s'intéressent aux grandes villes. Celles-ci ne sont jamais considérées en elles-mêmes comme des communautés, dans la mesure où le sentiment d'appartenance et l'existence de traditions partagées est impossible à cette échelle. En revanche, les auteurs identifient au sein de ces grandes villes certaines communautés. C'est le cas, avant guerre, des enquêtes sur les quartiers populaires, voire sur les populations délinquantes. Certaines études mettront en avant l'existence de liens communautaires à travers la transmission de rites et de codes, l'existence de solidarités ou encore le partage d'une culture et de références communes. Mais certaines enquêtes concluront également à l'absence de communauté. C'est le cas de Ken Pryce, dans son ouvrage Endless Pressure , consacré à l'étude d'un quartier populaire de Bristol, en Angleterre, peuplé surtout de travailleurs jamaïcains. L'envie de fuir le quartier ainsi que la constitution de groupes d'intérêts rivaux empêchent la constitution d'une communauté, observation qui définit a contrario les conditions d'existence de la communauté, autour d'un sentiment commun d'appartenance et de motivations partagées. Autant de conditions que les sociologues trouveront dans d'autres quartiers populaires de grandes villes, mais aussi dans les banlieues américaines des années 50, peuplées de cadres, dans lesquelles les habitants manifestent rapidement leur sentiment communautaire en créant des associations et nouant des liens individuels et collectifs.
Les community studies ne se limiteront pas à des objets définis dans l'espace. L'un des premiers textes sociologiques américains majeurs, The Polish Peasant , de Thomas et Znianiecki (1918-1920), s'intéresse à la communauté des immigrés polonais aux Etats-Unis. Les sociologues observent et comparent les conditions de vie originelles à celles du pays d'accueil et, tout particulièrement, le maintien des liens avec la communauté d'origine. D'autres études dépassent le cadre spatial pour étudier les communautés de métier, surtout dans les années 1950. Les mineurs en Angleterre, mais aussi les routiers, les marins ou les professions supérieures font l'objet d'enquêtes sociologiques. La communauté professionnelle est définie par une identité commune et ressentie, un faible nombre de départs de ses membres, des valeurs communes, une définition partagée de qui est membre de la communauté, un langage commun, un pouvoir de la communauté sur ses membres, des frontières sociales claires et une production sociale de la génération suivante. Cette analyse de la communauté a, ces dernières années, été étendue au monde virtuel, avec l'essor de l'informatique."Si de nombreux auteurs souhaitent déterminer si les communautés virtuelles sont de vraies communautés, très peu d'entre eux fournissent une réponse négative" (p. 234). Plusieurs études mettent en avant les éléments caractéristiques de la communauté dans des univers virtuels relativement clos (par exemple des espaces d'échange autour d'un projet informatique). Le sentiment d'appartenance est très fort et soumis au respect de codes de bonne conduite, les perturbateurs étant rapidement repérés et exclus. Même s'ils sont"intermittents, spécialisés et d'une intensité variable" (p. 235), les liens communautaires sont bel et bien présents et se matérialisent aussi par des contacts individuels, qu'ils soient directs ou virtuels.
Comme souvent en sociologie, l'objet est indissociable des méthodes. Il est impossible d'étudier une communauté villageoise ou immigrée, de comprendre les solidarités qui s'y nouent et les rites qui la constituent, en utilisant seulement des sources documentaires, approche qui rappelons-le était celle des premiers sociologues français (en particulier de Durkheim dont Le Suicide repose essentiellement sur des données statistiques du ministère de l'Intérieur). L'étude des communautés importe les outils de l'anthropologie sociale et développe l'observation participante comme méthode à part entière : c'est l'un des principaux apports de l'Ecole de Chicago. Cette méthode est souvent complétée par des questionnaires, des entretiens, des sources documentaires. Elle ne va d'ailleurs pas sans un certain postulat théorique."Pour leur majorité, les études se réclamant de l'anthropologie sociale peuvent être classées comme fonctionnalistes, en ce sens que (…) les auteurs ont comme objectif de comprendre la communauté en tant que totalité faite de parties interdépendantes." (p. 52).
L'étude de la communauté est porteuse de deux démarches contradictoires. Il s'agit d'une part de comprendre ce qui fait la communauté, ce qui la distingue des autres, ce qui lui donne son unité et son unicité. Mais il peut aussi en découler une volonté de faire de la communauté un mini-monde, d'extrapoler les résultats pour en tirer des conclusions plus générales."La manière de situer la communauté par rapport à la société de référence est variable. Elle peut être appréhendée soit comme une entité singulière, les faits à expliquer étant les facteurs qui lui sont particuliers, soit comme un exemple réduit, et donc plus abordable comme objet de recherche, regroupant tous les phénomènes présents dans la société globale (…), soit comme une interaction entre attitudes individuelles et valeurs sociales" (p. 68). Cette tension est encore présente dans la finalité des recherches, entre science et politique."L'objectif des auteurs peut être soit de récolter des informations qui permettront d'effectuer des réformes ou de régler des problèmes sociaux, soit d'établir des faits scientifiques et de faire avancer la compréhension de la société et des processus sociaux de manière plus théorique" (p. 58).
La sociologie de la communauté offre donc un objet d'étude et des méthodes originales, voisines de l'anthropologie sociale. De plus en plus de sociologues français s'y intéressent, dans la mesure où elle constitue un pendant précieux à notre tradition sociologique, beaucoup plus théorique.
L'auteur
Cherry Schrecker, sociologue, enseigne à l'université de Nancy 2.
Table des matières
Sommaire
Introduction
Première partie – Les principes fondamentaux
Chapitre 1 : Les définitions de la communauté
Chapitre 2 : Les études empiriques – méthodes, objectifs et constitution de l'objet
Deuxième partie – Les communautés spatiales
Chapitre 3 : Les petites communautés
Chapitre 4 : Les villes moyennes
Chapitre 5 : Du quartier à la banlieue
Troisième partie – De la communauté d'origine à la communauté virtuelle
Chapitre 6 : Communautés en mouvement
Chapitre 7 : Charbon, poisson, camions et savoir-faire
Chapitre 8 : Les communautés virtuelles
Conclusion
Bibliographie, Annexe, Index
Quatrième de couverture
Le concept de communauté, qui a ses origines dans la sociologie allemande, est souvent employé sans recours à une définition précise. Des situations sociales très diverses sont examinées sous l'égide de cette notion. Cet ouvrage retrace les origines de ce concept et son utilisation dans la sociologie américaine et britannique. Après avoir présenté les débats théoriques, l'attention est dirigée vers les études de communauté (community studies) effectuées en grand nombre aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne