L'impôt sur le capital

Michel Didier et Jean-François Ouvrard

L’ouvrage de Michel Didier et Jean-François Ouvrard propose une analyse approfondie de la fiscalité française qui pèse sur le capital : ils rappellent que la fiscalité du capital, soit l’ensemble des règles fiscales concernant le revenu, la détention et la transmission du capital physique et financier, peut constituer un levier puissant pour stimuler la croissance et l’emploi. Mais hélas, dans le cas français, elle est « mal conçue (et constitue) un boulet pour la croissance et l’emploi ». Et ce alors même que la stagnation économique s’installe dans notre pays et les performances macroéconomiques, surtout en matière de chômage, restent décevantes. Il y a urgence selon les auteurs à prendre conscience des défaillances de notre fiscalité qui freine l’investissement productif et décourage les projets entrepreneuriaux à long terme. La fiscalité du capital est une question sensible, politique tout autant qu’économique, car le capital incarne la notion de richesse, c’est-à-dire l’inégalité sociale et l’enjeu politique de sa répartition ; mais il implique aussi l’épargne nécessaire à sa formation, soit l’effort et le sacrifice qu’elle représente et qui nourrit l’investissement et l’élévation de la productivité à long terme. Les auteurs se placent dans ce livre sur le terrain de l’analyse économique, et, pour reprendre la formule de Maurice Allais qu’ils citent, « le rôle de l’économiste est alors d’examiner si les fins dégagées par ces compromis sont effectivement compatibles entre elles et si les moyens utilisés pour les atteindre sont bien les plus appropriés ». Or force est de constater que la fiscalité du capital française n’atteint pas ses objectifs, à la fois en termes de rendement, d’efficacité, et d’équité. Les lacunes de notre fiscalité du capital, en ralentissant la croissance et l’emploi, détériorent in fine la situation des personnes aux revenus les plus bas qui sont bien souvent les premières victimes du chômage et de la précarité. Outre sa lourdeur et l’empilement des mesures dont elle a fait l’objet depuis de nombreuses années, et qui la rendent désormais quasiment illisible, la fiscalité du capital française n’a pas connu de réflexion globale sur sa structure, et il serait temps selon Michel Didier et Jean-François Ouvrard d’opérer une véritable réforme en profondeur.

Une fiscalité du capital pénalisante

Les règles de la fiscalité du capital française sont tout d’abord éclatées dans différentes parties du code général des impôts et textes réglementaires, ce qui rend difficile une prise en compte globale de la question, alors même que l’analyse économique démontre un impact certain sur les décisions d’épargne et d’investissement des acteurs économiques. Les auteurs rappellent à ce titre trois principes importants de la science économique : la fiscalité du capital introduit une distorsion liée à son poids sur le « marché du capital » qui impacte inévitablement l’équilibre macroéconomique et la croissance ; l’ensemble des prélèvements récurrents au titre de la fiscalité du capital, quel que soit leur mode de calcul, est rapporté au revenu courant (le poids d’ensemble de la fiscalité du capital doit se mesurer par rapport au revenu) ; pour mesurer le poids réel et l’impact sur l’activité économique de la fiscalité du capital, il ne faut pas seulement s’en tenir à un ratio moyen, mais il faut aussi tenir compte des taux marginaux d’imposition et leurs effets sur la création de richesse dans le cas d’un barème progressif (l’impôt payé sur la dernier euro gagné pouvant en effet être très supérieur à l’impôt payé sur le premier euro).

Après avoir décrit les grands traits du système français d’imposition du capital (impôts qui pèsent sur les coûts de production comme les impôts fonciers, impôt sur les bénéfices des sociétés, fiscalité du capital sur les ménages, imposition du revenu du capital des personnes physiques, exonérations de régimes particuliers), qui demeure très complexe en fonction de la diversité des situations personnelles et professionnelles, les auteurs rappellent que cette architecture peu lisible et pénalisante a justifié au fil du temps une kyrielle d’exemptions et dérogations (les fameuses niches fiscales). Celles-ci ont rendu la fiscalité du capital non seulement inefficace, mais aussi inéquitable. Ils font valoir que la fiscalité du capital française est entrée dans un véritable cercle vicieux, et qu’elle doit sortir de ce « mauvais logiciel » : « l’alourdissement permanent de la fiscalité du capital est une cause de la multiplication des régimes particuliers, des modifications incessantes et de la complexité des règles fiscales qui alimentent les comportements de rejet de l’impôt ».

Michel Didier et Jean-François Ouvrard relèvent particulièrement deux anomalies qui sont une singularité française : un poids élevé de l’imposition du capital en France, et des taux marginaux d’imposition extrêmes.

Le poids de la fiscalité du capital qui porte sur les ménages rapporté aux revenus du capital qu’ils reçoivent est passé de 38% en 1995 à plus de 65% en 2014, soit près d’une augmentation de près des deux tiers, et ce poids reste supérieur à la moyenne des grands pays de la zone euro. La fiscalité du capital est ainsi plus élevée en France que dans les autres pays pour toutes les catégories de prélèvements (fiscalité sur les coûts de production, impôt sur les bénéfices des sociétés, fiscalité sur les ménages). Par rapport à la moyenne des autres grands pays de la zone euro, l’excédent de la fiscalité sur les coûts est de près de 20 milliards d’euros, et de près de 40 milliards d’euros avec l’Allemagne. Par ailleurs, une particularité de la fiscalité française est la superposition de deux impôts progressifs liés au patrimoine, l’un assis sur la valeur du patrimoine, l’autre sur les revenus de ce même patrimoine.

Les taux marginaux d’imposition économique sont par ailleurs trois fois plus élevés en France qu’en Allemagne pour un même effort d’épargne supplémentaire, avec un rendement de l’effort d’épargne qui peut s’avérer négatif en France. La fiscalité du capital française se caractérise ainsi par une forte progressivité du barème de l’impôt : « l’effort d’épargne coûte actuellement de l’argent à l’épargnant qui dispose d’un patrimoine significatif. Aucune théorie fiscale ne légitime une telle situation qui est une incitation très forte à rechercher des régimes dérogatoires ou d’autres territoires fiscaux (recherche de niches fiscale ou délocalisation d’activités, etc. ». Dans une économie globalisée où les capitaux et les biens circulent librement, le poids de la fiscalité du capital constitue une puissante incitation aux nationaux à exercer leur rationalité économique et déplacer leurs activités (et la création de richesses et d’emplois qui les accompagne) sous des cieux fiscaux plus cléments.

Pour Michel Didier et Jean-François Ouvrard, la fiscalité du capital en France est donc dans une impasse « parce qu’elle est devenue excessive, trop complexe, mal conçue et inefficace ». Or cet état de fait explique largement l’atonie de l’investissement productif dans notre pays, la perte de compétitivité des entreprises, et la faiblesse de la croissance potentielle. Ainsi le droit commun fiscal implique-t-il des seuils d’imposition avec des sauts brutaux, des prélèvements en capital élevés lors des transmissions, des comportements de protection et de prudence, tandis que les nombreuses niches fiscales accordées pour soulager les acteurs économiques ont progressivement réduit la base fiscale imposable. Par ailleurs, les changements incessants dans les règles fiscales ont entraîné une insécurité fiscale pour les entreprises, perturbant les comportements des acteurs et les choix d’investissement qui nécessitent de la stabilité à long terme.

Enfin, Michel Didier et Jean-François Ouvrard soulèvent d’autres vices dans la structure de la fiscalité du capital en France : notre épargne, pourtant l’un des points forts de l’économie française, n’est pas suffisamment orientée vers le secteur privé et l’investissement productif, mais plutôt vers le financement de la consommation publique et les déficits publics (et l’acquisition d’obligations d’Etat). La fiscalité du capital dans notre pays ne respecte pas le principe de neutralité qui suppose que les impôts ne doivent pas générer des distorsions dans l’allocation de l’épargne : elle avantage les contrats d’assurance vie et les placements liquides à court terme qui favorisent peu l’investissement. Il s’agirait également d’après les auteurs de mieux tenir compte de l’évolution du taux d’inflation qui détermine le rendement réel du capital.

Pour une fiscalité du capital simple, juste et efficace

Face à cette situation dégradée et à l’urgence d’opérer une réforme profonde de la fiscalité du capital en France, Michel Didier et Jean-François Ouvrard préconisent une série de mesures, étayée par une analyse approfondie menée par le COE-Rexecode dans une étude détaillée consultable sur son site internet. Ils montrent aussi que les modèles macroéconomiques disponibles, qu’ils soient simplifiés (comme celui du marché du capital qui montre que la taxation tend à réduire le volume de l’épargne et de l’investissement et donc la production) ou plus complexes (en vertu desquels la fiscalité du capital réduit effectivement le niveau d’équilibre du PIB et la croissance surtout avec des barèmes progressifs et en situation d’économie ouverte), la fiscalité du capital française en l’état actuel pénalise fortement l’accumulation du capital. Cette réforme ambitieuse de la taxation du capital aurait aussi pour objectif de restaurer une certaine justice fiscale afin de corriger les inégalités, alors que cette équité a été mise à mal par l’empilement des différentes réformes de ces dernières années (multiplication du nombre de régimes dérogatoires et d’abattements fiscaux, plus faible progression du niveau de vie des plus modestes frappés par le chômage, en raison d’une accumulation insuffisante du capital productif).

Pour cela, il faut selon les auteurs refonder toute la fiscalité du capital sur des principes simples (la stratégie visant à « colmater les brèches » n’étant plus tenable en instaurant de nouvelles complexités) : ils proposent d’imposer tous les revenus à un taux unique (incluant l’impôt sur le revenu, les prélèvements sociaux, la fiscalité de la détention et les plus-values) fixé à 30% qui maintiendrait inchangé le volume des recettes fiscales, d’intégrer l’imposition du patrimoine dans le calcul, d’opérer la suppression des abattements et dérogations actuelles (afin de taxer les revenus du capital dans leur totalité), mais avec une exonération générale des revenus de la petite épargne. Ils préconisent aussi de favoriser les droits de donation, plutôt que les droits de succession, pour faciliter la transmission du patrimoine aux jeunes générations. Michel Didier et Jean-François Ouvrard considèrent que la réforme d’ensemble de notre fiscalité du capital sur les bases qu’ils préconisent pourrait assez significativement réduire les coûts de production avec un effet compétitivité (baisse des prix de production) et un effet profitabilité (amélioration du taux de marge), tous deux favorables à la croissance et à l’emploi. De plus, l’application de cette réforme pourrait être, avec l’accélération de la transmission du patrimoine, la clarté du dispositif qui stabiliserait les anticipations des acteurs économiques, et l’arrêt des fuites en capital à l’étranger du fait de la pression fiscale excessive, rapidement bénéfique à la croissance, au pouvoir d’achat et à l’emploi.

L’auteur

Michel DIDIER, titulaire honoraire de la chaire « Économie et statistiques industrielles » du CNAM, est président de Coe-Rexecode.

Jean-François OUVRARD, X-Insee, est ancien directeur des études de Coe-Rexecode.

Quatrième de couverture

La surtaxation actuelle du capital en France s oppose à l’investissement et à la croissance, sans rendre pour autant la fiscalité plus juste. Taux d imposition prohibitifs, multiplication des niches fiscales, le logiciel de la fiscalité du capital doit être réformé. Les auteurs proposent de remplacer l’ensemble des prélèvements sur le capital (impôt sur le revenu, contribution sociale et impôt sur le patrimoine) par un seul prélèvement forfaitaire de 30 % sur les revenus du capital, de supprimer toutes les exonérations inutiles, de détaxer plus largement la petite épargne et d encourager les donations aux jeunes. Une telle refonte de l’imposition du capital constituerait un levier puissant de relance de l’investissement et de baisse du chômage.

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