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L'ouvrage
Dans cet essai, Alain Cotta trace les évolutions probables de notre mondialisation, sous l’effet de la révolution numérique et de l’emprise de la finance : si l’innovation et l’argent constituent les deux jambes de ce capitalisme planétaire, dont la victoire a été totale dans l’espace, et rapide dans le temps depuis la chute de l’URSS, il fait le constat que deux grands modèles productifs coexistent aujourd’hui, avec un capitalisme d’entreprise, occidental, historique, et un capitalisme oriental, qui émerge et se retrouve placé sous l’égide d’un Etat autoritaire.
Pour l’auteur, le XXIème siècle verra certes ces deux systèmes se transformer, se concurrencer, s’imiter, mais ils pourraient bien aussi frontalement s’opposer : « ces deux capitalismes sont, par nature, obligés de s’observer sinon de se combattre, comme naguère Sparte qui ne supporta pas d’être concurrencé par Athènes ». Alors, Guerre ou paix ? S’interroge Alain Cotta, telle est la grande question pour les temps qui viennent.
Si l’hypothèse d’une fusion pacifique entre les deux systèmes économiques n’est pas à exclure, avec un syncrétisme économique, social, et culturel, celle d’une longue coexistence hostile est pratiquement certaine. Cette hostilité s’établira sur tous les champs de bataille économiques : sur le marché des biens et services entre les entreprises, dans la sphère monétaire et financière avec les banques et les institutions financières, et entre le personnel politique. Les nations émergentes sont désormais en marche pour « challenger » le leadership des Etats-Unis, et y compris dans les secteurs de la révolution digitale, même si c’est encore loin d’être le cas dans les relations monétaires internationales, avec la domination toujours très prégnante du dollar et du marché financier américain, dans un contexte où « l’économie est désormais plus financière que réelle ».
Alain Cotta insiste d’ailleurs sur la puissance des entreprises financières aujourd’hui qui sont parvenues à inverser la logique traditionnelle du capitalisme : en effet, « historiquement, pendant deux siècles, la sphère réelle faisait vivre la sphère financière, alors composée surtout de banques commerciales ou d’affaires. Les inégalités inhérentes à la mondialisation, et notamment la croissance de certains patrimoines (hyper-riches), ont permis aux fonds de pension et de gestion d’inverser cette relation des origines. Ces derniers ont désormais commencé à « prendre le pouvoir », c’est-à-dire à infléchir les décisions internes de la sphère réelle en leur faveur », souligne-t-il.
Pour Alain Cotta, trois voies peuvent être suivies à l’avenir : l’entente, le conflit armé ou une cohabitation agitée, la dernière possibilité ayant sa préférence. Et les turbulences risquent d’être violentes, car il n’est pas exclu que le choc entre la volonté d’émergence monétaire de la Chine et celle des institutions financières du capitalisme d’entreprise occidental, cherchant à préserver son hégémonie, ne conduise à des attitudes franchement hostiles, voire armées.
Avec le progrès technique et la course aux armements les plus sophistiqués qui se produit aujourd’hui, alors que les pays émergents sont en train de rattraper leur retard militaire par des investissements massifs, le risque d’une guerre totale devient proprement terrifiant : guerres biologiques, asymétriques, cybernétiques, avec une destruction mutuelle assurée en cas de guerre nucléaire certes, mais qui n’empêcherait pas des attaques cherchant à déstabiliser l’adversaire par divers moyens (comme le piratage informatique des infrastructures publiques).
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Une réconciliation fusionnelle des deux capitalismes ?
Alain Cotta entrevoit néanmoins l’éventualité d’une réconciliation économique des entreprises et des Etats-nations : les pays du capitalisme d’Entreprise (occidental), impuissants pris isolément, pourraient promouvoir une gouvernance cherchant à mieux réguler et cantonner les intérêts privés des firmes, à domestiquer la concurrence mondiale, tandis que le capitalisme d’Etat pourrait évoluer plutôt vers davantage de latitude laissée à ses entreprises privées dans la recherche du profit.
Une concertation des banques centrales, peut-être même prélude à une banque centrale mondiale, pourrait s’opérer dans le but d’assurer la stabilité monétaire et financière afin de garantir une croissance harmonieuse du commerce de biens et services et de la production des firmes multinationales. Selon l’auteur, ainsi, « sans qu’il soit besoin de concertation, encore moins d’alliance, l’évolution des modes de production des deux capitalismes devrait ainsi continuer à se rapprocher », au nom de l’intérêt commun de la préservation du climat des affaires.
La convergence des deux capitalismes en présence pourrait s’appuyer aussi sur les structures sociales, avec la constitution d’une société mondiale à trois étages, trois strates hiérarchiques réunissant des individus de nations, de continents, de langues et de civilisations très divers dans l’hyper-capitalisme mondial :
1) La première catégorie sera une caste « d’hyper-riches » constituée des dirigeants des entreprises et des institutions financières et parfois les élites politiques, et « dont les membres se reconnaissant, s’envient et s’estiment à la mesure de leurs revenus près, de leur patrimoine et surtout à la similitude de leurs références et de leurs objectifs ». Alain Cotta fait remarquer qu’alors que les riches étaient jadis propriétaires de la terre et des machines, ils sont aujourd’hui détenteurs d’une hyper-richesse financière qui leur permet de s’abstraire du regard des autres, et sont disséminés dans l’espace mondial et ne sont plus prisonniers des nations.
2) La seconde catégorie sociale sera une vaste classe moyenne constituée des masses d’individus ni hyper-riches ni exclus économiques des pays développés et des pays émergents, imprégnée de la culture de la consommation, du digital, et de la société de l’information, et dont le niveau de vie se rapproche d’ailleurs depuis l’ouverture aux échanges des pays naguères « sous-développés », même si cette nouvelle classe sociale sera privée d’une cohésion nécessaire à toute action sociale organisée : « la classe moyenne mondialisée acquerra une homogénéité croissante, supérieure sûrement à celle qu’elle manifestait dans les sociétés occidentales ». L’hyper-capitalisme mondial devra toutefois assurer à la classe moyenne le confort matériel et moral nécessaire pour prévenir toute révolte, et éviter la remise en cause « d’un pouvoir oligarchique que la propriété des médias, étendue à celle des réseaux dits sociaux, permet de rendre très discret et impersonnel ».
3) Enfin la troisième catégorie sociale dans ce capitalisme mondialisé et inégalitaire, perceptible dans les deux formes de capitalismes, sera constituée d’après Alain Cotta par les exclus involontaires de la dynamique économique, d’autant que la mondialisation des technologies pourrait bien intensifier ces phénomènes.
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Les désordres à venir
Le rapprochement des deux capitalismes fait face à trois risques selon l’auteur :
1) Tout d’abord l’instabilité économique, car même si une crise systémique mondiale paraît désormais fort improbable, des soubresauts et des fluctuations ne sont pas à exclure, mais la réactivité permanente des politiques économiques et sociales cherchera à préserver l’acquis de la mondialisation et assurer la stabilité des systèmes financiers et des échanges de biens et services ;
2) Ensuite l’hyper-capitalisme mondial n’est pas à l’abri de désordres sociaux dus au creusement des inégalités économiques que sa dynamique entraîne implacablement, à des niveaux d’ailleurs inédits, à la fois dans le capitalisme d’Entreprise et le capitalisme d’Etat…Le premier devra s’appuyer sur l’Etat Providence et la redistribution des richesses pour maintenir l’ordre social et assurer l’acceptation sociale d’un certain niveau de chômage, tandis que le second pourra mobiliser la force brute et l’autorité pour se maintenir ; enfin,
3) l’hyper-capitalisme mondial devra composer avec les pressions démographiques et les flux migratoires plus ou moins mal reçus par les populations des espaces d’accueil, flux « notamment provoqués par les inégalités existantes entre les niveaux de développement des nations, et, plus encore, entre celles de continents entiers (ou presque) comme l’Afrique, d’autant que les accroissements de population, plus rapides dans les nations « pauvres » que « riches », augmentent spontanément la pression des émigrations souhaitées ». Alain Cotta souligne toutefois le fait que les désordres liés aux fluctuations de l’activité économique, comme ceux issus des inégalités paraissent gérables dans le court et le long terme, mais ceux d’origine démographique le sont beaucoup moins : « de tous les désordres, ils seront les plus violents et les plus malaisés à traiter lorsqu’ils deviendront très pressants ».
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L’auteur tempère l’idée que l’hyper-capitalisme mondial pourrait devoir composer avec des affrontements religieux au siècle de la mondialisation : il montre que toutes les religions (à l’exception du taoïsme), opèrent un savant compromis entre une réticence morale, garante de l’ordre social, et l’acceptation profane de l’irrépressible volonté de chaque individu de s’enrichir pour mieux vivre et, pour certains, d’acquérir les moyens de gouverner leurs semblables. Dès lors, les religions ont toujours cherché (et cherchent encore) à bricoler des arrangements avec la légitimité de l’enrichissement individuel et la reconnaissance de la valeur de l’argent. Dès lors, « le capitalisme n’a donc aucune raison de craindre l’hostilité des religions », car il s’est globalement imposé aux religions selon Alain Cotta.
L’auteur décrit enfin l’hyper-capitalisme mondial comme une « nouvelle féodalité », et lui promet d’ailleurs la même durée et la même stabilité sur longue période : face aux nouveaux « seigneurs » qui tirent leur pouvoir non plus de la propriété de la terre mais de l’argent, pouvoir immatériel, la multitude des travailleurs productifs au sein des deux capitalismes sera le socle de la légitimité du système économique global en gestation, à condition d’apporter en permanence aux classes moyennes des satisfactions matérielles et psychologiques par la consommation et l’image ; mais les deux formes de capitalisme devront surtout se confronter à la même redoutable équation : calmer les tensions sociales et améliorer la situation des exclus, dont les privations constituent, plus que jamais, le talon d’Achille de l’hyper-capitalisme mondial.
Quatrième de couverture
L'hyper-capitalisme progresse. Dans ce livre, Alain Cotta nous explique comment et à quel prix : corruption, inégalités croissantes et émergence d'une super-oligarchie appuyée sur les classes moyennes... "Le triomphe du capitalisme d'entreprise va-t-il s'affirmer encore, comme le croient les fanatiques de la mondialisation, au point que le capitalisme d'Etat disparaisse, que les nations se dissolvent et que la paix universelle réunisse toute l'humanité ? Ou, au contraire, la scission actuelle des deux capitalismes ira-t-elle en s'approfondissant jusqu'à provoquer une guerre mondiale entre des pouvoirs inconciliables ? Guerre ou paix ? A moins qu'une autre voie, moins binaire, une lente fusion, redonne à ce système économique et social une identité homogène ?". Une réflexion magistrale sur une nouvelle féodalité.
L’auteur
- Alain Cotta est diplômé d'HEC, docteur ès sciences économiques et agrégé de sciences économiques. Il est professeur d'économie à Paris-Dauphine. Il est l'auteur de nombreux livres dont récemment La Domestication de l'humain, Le Règne des oligarchies ou Sortir de l'euro ou mourir à petit feu, qui ont eu un grand succès.