L'ouvrage
A l'instar de la Chine, l'Inde est perçue en Occident comme une menace pour l'avenir. Taux de croissance, population, ambitions politiques : tout porte à voir dans l'Inde l'une des puissances de demain, qui pourrait bouleverser les équilibres mondiaux jusqu'à présent plutôt favorables à l'Europe. Sans l'infirmer, Jean-Joseph Boillot détaille les éléments qui nourrissent ce discours dans un ouvrage présentant les fondamentaux de l'économie indienne. Le panorama, très instructif, permet de dégager de nombreux points de comparaison avec la Chine. Plus tourné vers l'avenir que vers l'histoire de l'Inde, brièvement rappelée, l'auteur explore les scénarios ouverts pour l'insertion de l'Inde dans l'économie mondiale à l'horizon des quarante prochaines années.
Puissance millénaire, l'Inde s'affaisse à partir du 18ème siècle, jusqu'à tomber sous domination britannique au 19ème siècle. Lorsqu'elle recouvre son indépendance, en 1947, elle n'est plus qu'un pays du Tiers Monde, marqué par un important sous-développement. Plusieurs conceptions philosophiques et économiques s'entrecroisent alors. Un groupe de grands patrons essaie de diffuser les idées libérales, principalement axées sur l'ouverture de l'économie indienne vers l'extérieur et sur les acteurs privés. Mais trois autres courants de pensée concordent vers la défense d'une économie planifiée et autarcique. C'est le cas du Parti communiste indien, bien évidemment, qui sera longtemps une force politique importante dans le pays. Mais c'est aussi la ligne politique défendue par le nehruisme et le gandhisme, hérités des deux pères fondateurs de l'Inde indépendante. Il faudra finalement attendre les années 80 pour que le pays tourne le dos à sa longue tradition d'économie administrée. A partir de cette décennie, marquée notamment par la sollicitation du Fonds monétaire international, les structures de la planification économique vont perdre progressivement leur importance, laissant de plus en plus de marge à l'initiative privée.
Toutefois, l'Inde n'a pas effectué de révolution brutale. Jean-Joseph Boillot souligne que l'insertion de l'Inde dans l'économie mondiale s'est faite de manière progressive. Suite aux assouplissement des années 80, une première génération de réformes de grande ampleur va s'avérer nécessaire dans les années 90. Celles-ci tourneront essentiellement autour de l'ouverture du pays sur l'économie internationale. Pour autant, l'Inde n'ouvrira pas abruptement son immense marché intérieur aux échanges. Le processus s'est fait de manière très progressive et n'est pas encore tout à fait achevé, l'Inde conservant une certaine marge de manœuvre, qui se traduit parfois par des conflits à l'OMC. Jean-Joseph Boillot marque toutefois une certaine distance avec l'idée d'une Inde protectionniste. Moins libérale que la Chine, l'Inde est en effet plus ouverte aux investissements de portefeuille. De plus, des divergences méthodologiques rendent complexe l'évaluation des IDE.
S'il y a bien un secteur dans lequel l'ouverture de l'Inde est manifeste, ce sont les services. Bien que l'agriculture pèse encore lourd dans le PIB du pays, les services ont progressé de manière spectaculaire au cours des dix dernières années. Ils pèsent aujourd'hui plus de 50% du PIB et contribuent pour plus de 60% à la croissance. Entamée avant l'ouverture définitive du secteur à l'international, cette révolution économique s'est encore accrue dans les années 2000, avec la libéralisation du secteur initiée par l'OMC. Les services informatiques sont ceux qui ont le plus défrayé la chronique en Occident. Mais ils ne représentent qu'un faible pourcentage du secteur tertiaire indien. La finance, le tourisme ou encore l'assurance sont eux-aussi très dynamiques et compétitifs sur le plan international. L'Inde constitue donc un exemple unique d'économie passant directement de la structure agricole à la structure post-industrielle, sans avoir connu la phase intermédiaire caractérisée par le développement de l'industrie.
Cette configuration si particulière ne va d'ailleurs pas sans poser des problèmes importants en termes de développement humain. Car si l'Inde apparaît de plus en plus comme une puissance économique planétaire, elle n'a pas, loin s'en faut, réglé le problème de la pauvreté. La croissance reste concentrée sur quelques zones géographiques et n'a, pour l'instant, qu'un impact limité sur le reste du territoire. L'agriculture stagnant, elle ne permet pas de donner un emploi aux classes les plus pauvres, qui ne peuvent espérer s'insérer dans les services, principalement demandeurs de main-d'œuvre hautement qualifiés. Si le système indien produit de plus en plus de diplômés, ceux-ci proviennent encore trop peu des couches inférieures de la population, le pays reste imprégné de l'esprit de caste. Ce panorama peu réjouissant ne doit cependant pas occulter les progrès que l'Inde accomplit. Si ceux-ci ont été relativement lents ces dernières années, le gouvernement semble disposé à accroître les efforts publics en faveur du développement – comme l'a montré l'introduction récente de la TVA.
Une idée force traverse l'ouvrage de Boillot : la rivalité naissante entre l'Inde et la Chine. Ces deux pays gigantesques connaissent en effet des taux de croissance spectaculaires, même si l'avantage est pour l'heure à la Chine. Il semble qu'un partage implicite des secteurs économiques s'effectue entre les deux puissances. A la Chine, la production industrielle, et à l'Inde les services. La comparaison entre les deux géants asiatiques tourne pour l'heure assez nettement à l'avantage de la Chine. Son taux de croissance est plus élevé, sa forte industrialisation garantit une élévation continue du niveau de vie de la population et sa démographie est maîtrisée. La population de l'Inde devrait dépasser celle de la Chine d'ici 2030 et atteindre 1,6 milliard d'individus en 2050. Les deux pays apparaissent largement en concurrence. Les décisions prises par la Chine influent assez nettement sur Inde, comme l'a montré la chute des exportations indiennes suite à la levée des quotas chinois ou comme en atteste la forte dépendance de la roupie aux variations du yuan. Pourtant, ces deux puissances émergentes pourraient constituer, ensemble, un nouveau centre de gravité mondial. Energie, commerce, finance, mais aussi diplomatie : ensemble, la Chine et l'Inde ne sont pas loin de détenir les clés permettant de bousculer l'ensemble des équilibres mondiaux actuels. L'évolution de ces deux géants montrera s'ils ont choisi la voie de la collaboration ou la voie de l'affrontement – une décision qui aura bien des conséquences sur l'ensemble de l'économie mondiale.
L'auteur
Jean-Joseph Boillot est professeur agrégé de sciences sociales. Il a commencé ses travaux sur l'Inde au début des années 80, comme chercheur associé au CEPII (Centre d'études prospectives et d'informations internationales) et a été notamment conseiller financier pour la direction du Trésor à New Delhi entre 2003 et 2005.
Table des matières
Introduction –
I / Les premiers pas de l'Inde dans l'économie moderne - Des Indes florissantes à la colonisation britannique - L'Arthasastra et les Indes florissantes - La colonisation britannique et ses conséquences - Mise en place de la voie indienne de développement : 1947-1980 - Le commanding height du secteur public - Le Licence Raj - Le Hindu rate of growth
II / L'Inde des réformes : 1980-2005 - Le Hindu rate of reform des années 1980 - La nouvelle orientation pro-business - Un tournant inachevé : la crise de 1991 - La première génération de réformes : 1991-2004 - L'impulsion initiale du Dr Manmohan Singh - L'essoufflement des réformes de première génération sous le gouvernement NDA-BJP - Les indices d'une seconde génération de réformes nécessaires
III / Les structures de l'économie indienne - L'évolution de la population - Les politiques de population - La composition par sexe et par âge - Urbanisation et migration - La structure de la population et du PIB - L'agriculture indienne - Un géant agricole - Succès et limites de la révolution verte - L'industrie - Les structures de l'industrie indienne : groupes familiaux et secteur inorganisé - La dynamique sectorielle post-libéralisation - La révolution des services
IV / Croissance et développement - La pauvreté en Inde - Un tiers de pauvres - Des indices de développement humain médiocres - Pourquoi la croissance ne réduit pas plus rapidement la pauvreté? - Une croissance sans emploi - Une croissance concentrée géographiquement - Une croissance inégale socialement - L'Inde peut-elle accélérer sa croissance et réduire sa pauvreté?
V / L'Inde dans la mondialisation - L'ouverture des années 1990 - Libéralisation des flux de capitaux et la dirty trinity - Encore nain commercial mais de plus en plus visible - Les IDE - L'essor des services informatiques- Les mutations géographiques : le Look East - États-Unis/Union européenne : déclin relatif et poids des enjeux stratégiques - La nouvelle politique du Look East - Inde-Chine, centre de gravité ou de rivalité ? - L'épineux dossier du Pakistan et de la SAARC
VI / L'Inde, une nouvelle puissance du XXIe siècle ? - Projections à l'horizon 2025-2050 - La fenêtre d'opportunité démographique - Un potentiel de croissance de 6% à 8% d'ici 2025 - Des scénarios alternatifs contrastés L'économie indienne dans le monde d'ici 2025-2050 - Le changement du paysage démographique mondial - Un retour graduel au sommet économique du monde - Des mutations à accompagner - Impact sur le marché mondial du travail de la sous-traitance croissante des services - Impact sur la carte mondiale de l'énergie
Conclusion
Repères bibliographiques.
Quatrième de couverture
Pauvreté de masse d'un côté, essor de grands centres tertiaires à vocation mondiale de l'autre, ces deux réalités coexistent au sein de l'Inde moderne de taille continentale. Aujourd'hui en pleine transformation et déjà quatrième PIB mondial en parité de pouvoir d'achat, sa population a franchi le cap du milliard d'habitants en 2000 et devrait dépasser la population chinoise d'ici 2030. Dans un pays longtemps fermé aux échanges mondiaux, la crise des paiements de 1991 a accentué le tournant de sa stratégie de développement.
L'accélération de la croissance autour de 6% - 7% par an et l'ouverture économique vont-elles se traduire par l'émergence d'une nouvelle super puissance aux côtés de la Chine ? Et quel sera l'impact du décollage indien à un moment clé de la mondialisation des services pour lesquels ce pays dispose d'avantages comparatifs avérés et d'une main-d'œuvre qualifiée abondante ? Mais l'Inde doit aussi faire face à ses défis internes, en particulier ceux de la pauvreté et d'une soutenabilité environnementale déjà critique dans toutes les grandes villes du pays.