L'ouvrage
Les Français sont de plus en plus sensibles aux questions de développement durable. Pourtant, dans cet ouvrage collectif, Michel Drancourt rappelle qu'"en dépit d'une loi de 1992, prévoyant la disparition des décharges à ciel ouvert en 2002, il en reste, en 2004, plus de 10 000. 45 % des déchets ménagers y finissent" (p. 181). Un historique d'André Le Bozec montre que la préoccupation face aux déchets ménagers est récente. Entre l'obligation de ramassage des ordures ménagères par le préfet Eugène Poubelle (1883) et l'obligation de leur traitement (loi de 1975), il s'écoule près d'un siècle. Depuis, la résistance à l'installation d'usines de traitement desdites ordures s'est organisée : même si le sigle américain NIMBY (Not in My Backward) n'a pas été traduit, les pratiques d'obstruction ont traversé l'Atlantique. Rémi Barbier le montre de manière intéressante à travers un tableau de synthèse (p. 27) où la rationalité de l'expert est confrontée à l'intérêt général exprimé par l'élu. Il est vrai que les risques sur la santé ne sont pas nuls, même si l'analyse détaillée de Gérard Keck laisse penser qu'ils sont bien maîtrisés (cf. en particulier, les chiffres sur la dioxine, p. 95-96). Le sujet est approfondi par Elvire Van Staëvel qui analyse comment cette molécule "exhibe la confusion de divers repères culturels et l'inversion de certaines valeurs" (p. 123).
Pour autant, les média jouent-ils convenablement leur rôle ? C'est la question que pose Marie-Claude Sicard. Nos sociétés, évidemment construites sur une base scientifique et technique, refusent de plus en plus les chiffres lorsqu'il s'agit de débat concernant l'environnement, surtout ceux qui peuvent les rassurer. Ainsi, cette constatation selon laquelle il sort des cheminées d'incinérateurs incomparablement moins de dioxines – encore elles – que des cheminées domestiques (p. 136). De toute évidence, l'intérêt de ce chapitre dépasse la simple question de l'environnement ; il est un modèle d'analyse de la manière dont la rumeur est créée… et de l'impuissance des démentis, surtout s'ils sont savants. Et l'on y trouve une liste édifiante de verbes qui, tous, laissent entendre que la raison ne couvre nos émotions que d'un voile très superficiel : "émouvoir, frapper le cœur et l'imagination, surprendre, révéler, contredire, choquer, faire peu à peu monter un sentiment d'effroi et d'imagination" (p. 141)… voilà qui permet de comprendre pourquoi "le contenu d'un message médiatique n'a pas de sens en soi , comme l'a longtemps cru la sémiologie, mais uniquement en fonction de l'environnement social, économique, culturel, et politique dans lequel il est enchâssé" (p. 142).
Alors, peut-on espérer un peu de cohérence ? Si le traitement des déchets est tellement craint, au moins peut-on penser que les Français s'engagent résolument dans le tri ! Les choses ne sont pas si sûres. Magali Pierre étudie ainsi les "bonnes raisons" que se donnent les habitants d'une résidence de trier ou de ne pas trier les déchets organiques. La typologie des comportements mérite le détour tant on y retrouve ce mélange d'influence du regard social et de rationalisation ex post qui fait le charme de la sociologie. On en ressort quand même perplexe : comment atténuer les craintes de l'incinération sans passer par une diminution relative des déchets ménagers ? Et comment obtenir cette dernière sans organiser un tri de plus en plus sélectif ?
Au total, il ressort de cet ouvrage aux angles de vues très différents, mais finalement complémentaires, que la nature, hier crainte pour sa puissance, l'est aujourd'hui pour sa faiblesse, et que les hommes finissent par craindre les instruments techniques qu'ils ont eux-mêmes inventés pour la protéger…
Auteur
- Jean BROUSSE est Président du Conseil scientifique de Tendances Institut.
Quatrième de couverture
Au coeur des peurs contemporaines, les déchets ménagers et leur incinération suscitent aujourd'hui encore controverses, fantasmes et inquiétudes, relayées par les médias. Les incinérateurs sont accusés, en particulier, de produire des retombées de dioxines réputées toxiques. Or, les experts s'accordent à dire que les teneurs désormais autorisées par les nouvelles réglementations ne présentent pas de nocivité significative. Le présent ouvrage fait le point sur les rumeurs, les culpabilités et les images troubles suscitées par les déchets de notre mode de vie. II apporte des réponses précises et ouvre de nouvelles questions.