L'ouvrage
Dans son dernier ouvrage, Jean-Marc Daniel défend l’apport de l’histoire économique pour comprendre les problèmes de notre temps : « l’évolution de l’économie mondiale, depuis ses origines, peut être une source d’inspiration pour affronter les problèmes actuels ».
C’est pourquoi il nous propose une plongée dans une ambitieuse histoire de l’économie depuis la préhistoire et l’Antiquité, jusqu’à la crise sanitaire de la COVID-19 et ses défis. Comme boussole dans ce périple, il retient quelques fils conducteurs
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Dans son dernier ouvrage, Jean-Marc Daniel défend l’apport de l’histoire économique pour comprendre les problèmes de notre temps : « l’évolution de l’économie mondiale, depuis ses origines, peut être une source d’inspiration pour affronter les problèmes actuels ». C’est pourquoi il nous propose une plongée dans une ambitieuse histoire de l’économie depuis la préhistoire et l’Antiquité, jusqu’à la crise sanitaire de la COVID-19 et ses défis. Comme boussole dans ce périple, il retient quelques fils conducteurs :
- Le poids de la fiscalité, au cœur des problèmes économiques, et qui donne certes à la puissance publique ses moyens d’agir, mais qui peut aussi asphyxier l’activité économique pour financer une croissance continue de la dépense publique ;
- La lutte contre trois maux que le progrès économique, en particulier depuis la révolution industrielle, a cherché à conjurer : la mort, la souffrance liée à la maladie, et l’inquiétude liée à la pauvreté et à la précarité.
- La lutte pour le partage de la richesse entre les entrepreneurs et travailleurs productifs, et les bureaucrates et rentiers (les « oisifs »), qui exploitent la possibilité institutionnelle d’obtenir de la société un revenu supérieur à leur contribution à la richesse.
Dès l’époque des chasseurs-cueilleurs de la préhistoire, Jean-Marc Daniel estime que les agriculteurs, par leurs efforts et leur travail, ont dégagé des gains de productivité qui ont favorisé l’émergence d’autres groupes sociaux ne contribuant pas directement à la production, comme les bureaucrates, les religieux et les guerriers. C’est dès cette époque que « l’oisiveté » progresse et que les paysans seuls assument le rôle d’acteurs productifs. Si la société antique a méprisé le travail (la philosophie et l’activité politique étant considérées comme les plus prestigieuses), et si le progrès technique n’a pu connaître une véritable accélération, c’est en raison de profondes résistances culturelles et sociales, et de la méfiance qu’il inspire en ce temps-là. Le monde a ainsi connu des siècles de stagnation économique. La société, qui se désintéresse de la question de la croissance, reste donc rurale et dépend du travail de la terre par des hommes encore mal équipés. Mais l’esclavage joue un rôle fondamental en ce sens qu’il fournit une partie importante de la main-d’œuvre.
Lire le cours de spécialité SES en première sur le financement des agents économiques
Premiers budgets, premiers impôts
Progressivement, les États qui tentent de se structurer à l’époque de la féodalité, malgré une économie « qui tourne au ralenti », vont chercher un substitut à la corvée des masses paysannes, qui atteint ses limites : l’impôt devient un moyen commode de se procurer des ressources, tandis que les débuts de la monnaie vont faciliter les versements fiscaux. Mais dès le Moyen-âge, malgré impôts et corvées, les États sont souvent endettés et systématiquement en déficit : c’est la raison pour laquelle nombre d’entre eux vont recourir à la manipulation monétaire et à l’inflation pour réduire le poids de leur endettement…Mais aussi décider la levée de nouveaux impôts !
L’économie du Moyen-Âge, peu innovante et productive, demeure toutefois soumise aux pénuries et aux disettes ainsi qu’aux flambées d’inflation. Par ailleurs, dans ce type d’économie agraire, le cycle économique est déterminé par des évènements naturels qui influencent le rendement des récoltes.
Progressivement le consentement à l’impôt contribue à la centralisation de l’État : ce sont les agents du roi qui perçoivent les impôts dus au roi, et non les divers échelons de la pyramide féodale.
Aux temps de la Renaissance, les changements dans les mentalités, la Réforme protestante, vont créer un contexte favorable à l’expansion économique. Des inventions comme l’imprimerie vont exercer des effets positifs dans toute l’économie. Les Grandes Découvertes du XVIème siècle vont également constituer une première forme de mondialisation, et Jean-Marc Daniel rappelle la célèbre formule de Karl Marx, « le commerce mondial et le marché mondial inaugurent au XVIème siècle la biographie moderne du capitalisme ».
En France, l’État monarchique développe un nationalisme agressif, et il est mercantiliste dans les relations économiques internationales. Malgré la formule de Colbert selon laquelle « l’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris », par ses sempiternels besoins de ressources, l’État épuise le consentement à l’impôt et prépare les futures révoltes fiscales. Ayant fait de la guerre un pilier de sa politique économique, il doit sans cesse accroître ses dépenses militaires. La pauvreté progresse dans le royaume de France, et selon Jean-Marc Daniel, « c’est la fiscalité abusive qui paralyse l’économie ». Sur le plan commercial, « les despotes éclairés façonnent une économie européenne qui va aller jusqu’au bout des possibilités du protectionnisme et légitimer indirectement l’avènement d’une économie anglaise libre-échangiste ». Dès la fin du XVIIIème siècle, un auteur comme Adam Smith va montrer les effets cumulatifs et vertueux de la concurrence, de la division du travail et de l’extension des marchés.
Jean-Marc Daniel insiste sur le décollage industriel des États-Unis, nés aussi d’une révolte fiscale (la Boston Tea party), à partir de la fin du XVIIIème siècle, alors que la France s’enfonce dans la crise et la Révolution, et tandis que l’Asie stagne et se tient à l’écart de la révolution industrielle (« pendant que la France s’enfonce à cause de sa Révolution, et que les États-Unis s’envolent grâce à la leur, la Chine sombre »).
C’est l’époque où l’Angleterre acquiert une primauté technologique, et devient la puissance économique dominante, en misant sur le modèle de la concurrence, du marché, du libre-échange, et d’un État frugal qui évite la dépense excessive et l’impôt confiscato
Écouter le corrigé du sujet de l’ESCP SKEMA en 2021 « un monde sans inflation », par Patrick Artus
Décryptage du sujet d'ESH du concours de l'ESCP SKEMA 2021 « Un monde sans inflation » (Patrick Artus)
L’implacable loi de Wagner
Au XIXème siècle, Jean-Marc Daniel rappelle que la loi de Wagner est confirmée, et s’enclenche un mouvement de croissance continue des impôts et des dépenses publiques avec le développement économique (en France, entre 1815 et 1914, le budget de l’État quintuple). Les économies de marché deviennent progressivement des économies mixtes. Par ailleurs, notamment sous l’effet des guerres au XXème siècle, le progrès technique et les mutations technologiques s’accélèrent. La production de masse de biens standardisés, avec l’organisation du travail tayloro-fordienne, se connecte de plus en plus à une société de consommation qui s’appuie sur la progression des salaires réels à peu près au rythme des gains de productivité. La montée en puissance de l’État-Providence protège contre les risques sociaux, mais justifie également une croissance des prélèvements obligatoires. Dans le champ de la réflexion économique, le keynésianisme de la synthèse triomphe et fournit des outils intellectuels pour comprendre le rôle de l’État dans la régulation conjoncturelle (« un dirigisme inflationniste » selon Jean-Marc Daniel). Les travaux de l’historien de l’économie Angus Maddison ont montré la spécificité de cette phase de croissance d’après-guerre : de 1400 à 1820, le taux de croissance annuel moyen est relativement lent (0,2%), et de 1820 à 1950, la croissance s’accélère à 1,2% l’an. Or, depuis 1950, la croissance est très rapide, soit 2,8% en moyenne chaque année.
La période des « Trente Glorieuses » (1945-1973) constitue donc bien une rupture dans l’histoire à long terme des pays développés. Ainsi, les statistiques disponibles montrent une forte accélération des taux de croissance annuels moyens, après une diminution en raison des deux guerres mondiales et de la « Grande Dépression » (sur la période 1913-1950) mais aussi comparé à la période 1870-1913. La période de prospérité d’après-guerre présente donc la caractéristique de présenter des fluctuations plus faibles de la croissance économique. Par ailleurs, on constate que la durée des périodes d’expansion a été beaucoup plus longue que la durée des périodes de dépression. Jean-Marc Daniel rappelle que cette phase de croissance économique durable a été portée par une pluralité de facteurs, dont l’essor de la coopération internationale, le développement des échanges intra-européens et la politique de libéralisation progressive du commerce, dans un contexte d’ouverture économique et de concurrence plus intense à l’intérieur du Marché commun, avec des entreprises désormais en mesure d’accroître les investissements productifs et la productivité. A l’échelon international, le système monétaire et financier a été en mesure d'assurer une certaine stabilité des changes et une parité fixée par rapport à l’or et au dollar, ainsi qu’une croissance harmonieuse des échanges commerciaux : durant l’entre-deux-guerres, la concurrence destructrice entre les monnaies et la pratique courante des dévaluations compétitive, avaient perturbé les échanges internationaux, accru l’incertitude et aggravé la crise.
Mais à la fin du XXème siècle, les États-Unis bénéficient des taux de change flottants pour poursuivre une stratégie de « déficits jumeaux » (déficit budgétaire et déficit commercial), solidement basée sur la suprématie du dollar dans les relations monétaires internationales. Dès lors, la politique économique de soutien à l’activité ne se dément pas, « du keynésianisme démocrate de Truman au keynésianisme néoconservateur populiste de Reagan et de Trump ». Dès lors, selon Jean-Marc Daniel, « les États-Unis mettent en place un modèle keynésien de consommateur alchimiste ».
Lire la note de lecture sur le livre de Jean-Marc Daniel, l’Argent magique
L’explosion des dettes publiques
Après les chocs pétroliers des années 1970, les économies européennes peinent à se débarrasser du « dirigisme inflationniste », mais la France opte au début des années 1980, non sans mal, pour une stratégie de désinflation compétitive, en acceptant les contraintes du système monétaire européen. Si les États-Unis poursuivent leur stratégie de consommateur en dernier ressort, l’évènement marquant est bien sur le décollage industriel puis l’entrée de la Chine dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001 : « progressivement, au fur et à mesure que la Chine se développe, elle normalise son statut économique afin d’assurer sa pleine insertion dans le concert de l’activité mondiale ».
Mais s’il est un phénomène inquiétant selon Jean-Marc Daniel, au-delà des cycles conjoncturels, c’est bien l’emballement de l’endettement public auquel on assiste au sein des pays de l’OCDE : « incapables d’augmenter les impôts de peur de se heurter à une révolte fiscale de grande ampleur, incapables par ailleurs de réduire les dépenses publiques (à quelques exceptions près comme la Suède), les pays ont pris l’habitude de laisser s’accroître la dette publique ». Et, notamment en France, cet endettement additionnel ne permet en rien de redresser la productivité globale des facteurs et la croissance potentielle, malgré un environnement de taux d’intérêt très bas.
Le risque de cet endettement public peu contrôlé est qu’il conduise à perturber les calculs de rentabilité du secteur privé, et qu’il réduise les investissements productifs, avec à la clé un ralentissement des gains de productivité.
Au terme de son parcours dans l’histoire de l’économie mondiale, Jean-Marc Daniel retient deux maximes qui lui sont chères et peuvent être utiles pour comprendre les enjeux de notre temps :
- Celle de François Quesnay, de l’école physiocrate : « pauvres paysans, pauvre royaume, pauvre royaume, pauvre roi ». Ainsi le travail crée la richesse et les recettes fiscales dépendent du niveau de l’activité ; les prélèvements ne doivent pas dès lors pénaliser les entrepreneurs et le secteur privé ;
- Celle de l’économiste Allemand Wagner : « plus la société se civilise, plus l’État est dispendieux » ; le développement économique s’accompagne d’une croissance inévitable des dépenses publiques et…des impôts !
À l’heure actuelle, Jean-Marc Daniel reproche d’ailleurs aux gouvernements et aux banques centrales d’avoir choisi la voie alchimiste de l’argent magique : « concrètement les États ont affronté la crise sanitaire en substituant de la dette au travail ». Il plaide ainsi pour le retour à un capitalisme concurrentiel fondé sur la stabilité monétaire et le
Quatrième de couverture
Raconter et décrypter l'histoire économique du monde, des origines à nos jours, des chasseurs-cueilleurs aux cybertravailleurs, tel est le pari de cette œuvre majeure proposée par l'économiste Jean-Marc Daniel. En analysant l'évolution des théories et des politiques économiques mondiales, Jean-Marc Daniel bat en brèche bien des idées reçues. Loin d'opposer travail et capital, il s'attaque aux conséquences néfastes des actions prédatrices des « oisifs », les bureaucrates et les technocrates qui agissent au détriment de la valeur créée par les « productifs », les ouvriers, les agriculteurs, les entrepreneurs et les innovateurs. Depuis l'origine des civilisations jusqu'aux premières décennies du XXIe siècle, de la Chine à l'Europe, en passant par l'Afrique et l'Amérique, de Tibère à Xi Jinping et Joe Biden, Jean-Marc Daniel dresse le panorama complet, synthétique et passionnant d'une économie, qui, de crises en crises, sait engendrer de nouveaux modèles.
L’auteur
Ancien élève de l'école polytechnique, de l'ENSAE et de Sciences Po, Jean-Marc Daniel est professeur d'économie à l'ESCP Europe et chroniqueur sur la matinale de BFM. Il est notamment l'auteur d'une Histoire vivante de la pensée économique (2010) et des 8 leçons d'histoire économique (2012).