L’ouvrage
L’édition 2010 de Francoscopie s’inscrit dans un contexte particulier qui est celui de la crise. Gérard Mermet croit pouvoir discerner un certain nombre de ruptures dans la vie sociale, le travail, la consommation, les loisirs, mais aussi, plus largement, dans la vision de la vie et l’idéologie. Si la crise actuelle est indéniable dans ses dimensions psychologique (crise de confiance), économique, sociale et budgétaire (crise de la dette), l’auteur s’attache à montrer que l’autre facette de la crise est que celle-ci constitue un puissant moteur du changement, à condition que les Français sachent faire preuve de réalisme (comme par exemple sur le dossier épineux des retraites), de moralité, d’exemplarité, et aussi de créativité. Puisqu’il n’est pas question de résumer ici toutes les dimensions de la vie économique et sociale de la France et des Français, on se contentera d’évoquer les principales lignes de force qui structurent la vie professionnelle.
Rapport au risque
Depuis le début des années 2000, le nombre de créations d’entreprises augmente. Si on adopte la nouvelle nomenclature introduite par l’Insee en 2007 (qui a retenu une définition plus large, incluant notamment les réactivations d’entreprises dont la dernière cessation remonte à plus d’un an et la reprise d’entreprises pour lesquelles il n’y a pas eu continuité), le nombre de créations dans les secteurs marchands hors activité agricole s’élevait à 216 000 en 2000, 240 000 en 2003, 268 000 en 2004, 270 000 en 2005, 286 000 en 2006, et 321 000 en 2007. En 2008, le nombre de créations d’entreprises a progressé moins vite (+ 1,2 %, soit 327000), mais cela est dû à la fois à un contexte économique devenu moins favorable et au fait que de nombreux créateurs ont retardé leur projet pour profiter du nouveau statut d’auto-entrepreneur créé par la loi sur la modernisation de l’économie d’août 2008, entrée en vigueur début 2009. En mai 2009, on comptait d’ailleurs déjà 239 000 créations d’entreprises, dont 150000 pour les auto-entrepreneurs. Les secteurs les plus dynamiques en matière de création d’entreprises sont l’agroalimentaire (+ 57 % en 2008) en raison essentiellement de la prolifération des points de vente des restauration rapide, le secteur de l’éducation, de la santé et de l’action sociale (+ 12 % en 2008) qui bénéficie de la forte progression des soins de santé dans un cadre non réglementé (acupuncture, chiropractie, etc.), et le secteur de la vente à distance (+ 15 %) grâce à un élargissement de la gamme des produits et services. Malgré cette augmentation, la France reste mal placée par rapport aux autres pays de l’Union européenne en ce qui concerne l’activité entreprenariale. Seuls 5 % des actifs de 18 à 64 ans y sont impliqués, contre 19 % en Grèce, 17 % en Irlande, 14 % en Finlande et au Portugal. Pendant longtemps, les freins à la création d’entreprise en France ont été de nature administrative. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, grâce à la loi pour l’initiative économique (2003) et à la loi déjà évoquée plus haut sur la modernisation de l’économie (2008). Si cette dernière loi a indiscutablement facilité la création de micro-entreprises, des freins culturels persistent encore en France. En effet, les programmes scolaires demeurent toujours plus orientés vers la réflexion que vers l’action. D’autre part, le patron d’entreprise n’est toujours pas considéré comme un « héros », et les Français continuent de préférer la garantie d’emploi qu’offre la fonction publique plutôt que le « risque entreprenarial ».
Beaucoup d'attentes
Depuis le début des années 1990, on assiste à une relative dégradation de l’image de l’entreprise, toutefois assez paradoxale. En janvier 2009, seuls 8 % des Français déclaraient avoir une très bonne image des grandes entreprises (50 % assez bonne, 22 % assez mauvaise, 7 % très mauvaise) ; l’indice était à son niveau le plus bas depuis la création du baromètre en 1999 (Posternak Margerit/Ipsos). Cette dégradation s’explique sans aucun doute par la médiatisation des plans sociaux qui ont affecté des entreprises connues, et elle est amplifiée par les craintes liées à la mondialisation et aux délocalisations qui l’accompagnent. De manière plus générale, comme le monde ou la société dans son ensemble, l’entreprise est maintenant bien souvent considérée comme un univers sans repères. Il est vrai que les comportements de certaines entreprises apparaissent paradoxaux, avec parfois des licenciements quand les profits augmentent, ou encore des accroissements de revenu des cadres dirigeants lorsque les profits baissent. Les Français reprochent aussi aux entreprises d’avoir réduit « l’employabilité » des salariés, puisque la vie professionnelle commence de plus en plus tard, ne se stabilisant que vers 30 ans, et qu’elle diminue de plus en plus tôt, pour devenir problématique pour de nombreux salariés après 50 ans (le taux d’emploi des seniors, c’est-à-dire des personnes âgées de 55 à 64 ans, n’était en France que de 38,7 % en 2007, contre par exemple 60 % en Suède ou aux Etats-Unis). Cette image négative de l’entreprise s’inscrit dans une culture installée des Français et un rapport toujours compliqué à l’économie. Dans l’opinion publique, l’idée de marché est toujours plus ou moins associée à celle d’un ultralibéralisme économique dont les abus engendrent un « déficit social », et cette inquiétude a été renforcée par la dimension actuellement planétaire du marché.
Cependant, et c’est là qu’est le paradoxe, si l’image de l’entreprise n’est pas excellente, les attentes vis-à-vis de celle-ci sont très nombreuses, d’autant plus que les Français sont désormais convaincus de l’incapacité des institutions publiques à accomplir le travail de régulation collective et d'accompagnement des individus qu’elles ont longtemps assumé. On attend ainsi de l’entreprise qu’elle crée des emplois et développe de nouveaux produits et services, susceptibles d’enrichir le quotidien. Mais on attend aussi d'elle qu’elle préserve l’environnement et s’inscrive dans la problématique du « développement durable », perçue comme la condition de survie de la planète. On attend également de l’entreprise qu’elle assume sa responsabilité sociale, en participant à la restauration du lien social qui s’est peu à peu distendu, et en fournissant aux individus des occasions de se parler et de mieux vivre ensemble. On attend enfin d'elle qu’elle mette en place de nouveaux modèles de gouvernance dépassant les principes de hiérarchie et d’autorité qui n’ont déjà plus cours dans de nombreux pays. Pour y parvenir, les entreprises doivent à la fois impliquer davantage les salariés et l’encadrement intermédiaire dans le processus de décision, promouvoir l’autonomie des salariés et le travail en équipe, et aussi faire émerger de nouveaux profils de dirigeants, dont on attend évidemment qu’ils aient la connaissance et l’expérience pour anticiper le changement dans une économie mondialisée, mais qu’ils possèdent aussi des qualités de communication et d’animation, et qu’ils favorisent la diversité, facteur d’intégration sociale, d’ouverture d’esprit et d’innovation. Bref, on attend de l’entreprise qu’elle soit bien sûr efficace, mais aussi responsable, citoyenne, morale ou éthique, en un mot « vertueuse ».
Rester compétitifs
La France est un des pays développés où l’on travaille le moins. Avec l’entrée en vigueur de la loi Aubry, la durée collective hebdomadaire du travail a diminué de 3 heures entre fin 1998 et 2007 ( ACEMO). La durée effective du travail au sens du Bureau international du travail (BIT), exprimée en nombre d’heures annuelles, est de 1 441 heures en France contre 1 595 heures en moyenne dans les pays de l’OCDE, avec des variations importantes d’un pays à l’autre (1 357 heures aux Pays-Bas, mais 1 789 heures au Japon, et 1 824 heures aux Etats-Unis). Cette réduction du temps de travail est survenue à un moment où les entreprises sont soumises à une concurrence croissante, aussi bien sur le plan national que sur le plan international. Le coût du travail, qui était jusque là plutôt favorable par rapport à d’autres pays développés, s’est accru, diminuant ainsi la compétitivité des entreprises françaises, qui conditionne leur niveau d’activité, et donc leur capacité à créer ou à maintenir les emplois, et aussi d’accroître le pouvoir d’achat des salariés.
Pour retrouver la compétitivité, les entreprises ont été contraintes à des efforts de productivité. C’est ainsi que beaucoup d’entre elles ont mis en place des systèmes de gestion par objectifs et appliqué la « rémunération au mérite », aussi bien dans le secteur de l’industrie que dans le secteur des services, maintenant également concerné par le mouvement néotayloriste qui se donne pour objectif la recherche de la « qualité totale ». Désormais, les entreprises placent le client au centre de leurs efforts, ce qui conduit à demander aux collaborateurs de satisfaire des exigences plus complexes, de garantir le « zéro défaut » et le « zéro délai ».
Si ce néotaylorisme n’est pas propre à la France, celle-ci a plus de difficultés que bon nombre d’autres pays à s’adapter à cette nouvelle culture professionnelle, parce-que les Français étaient habitués aux « plans de carrière » dans le secteur privé, et à l’avancement à l’ancienneté dans la fonction publique. Il revient alors aux entreprises de donner plus de crédit au discours sur l’importance de la « ressource humaine » et sur la valorisation du « capital humain », en faisant en sorte que les salariés soient davantage reconnus par leurs supérieurs, leurs collègues ou leurs clients, et en faisant en sorte aussi que les priorités de l’entreprise soient mieux expliquées, et mieux partagées avec l’ensemble des collaborateurs. Cette exigence de valorisation de la ressource humaine dans les entreprises est d’autant plus importante que la relation que les salariés ( et surtout les plus jeunes) entretiennent avec celles-ci a évolué. Alors que cette relation était encore il y a peu de temps fondée sur l’identification à l’entreprise, elle est aujourd’hui devenue plus contractuelle. Les salariés sont maintenant soucieux du « juste retour » des investissements professionnels réalisés et ne se sentent plus enchaînés à l’entreprise. Ils sont également de plus en plus préoccupés par la volonté de concilier harmonieusement la vie professionnelle et la vie personnelle.
Conflits du travail et syndicats
Sur la longue période, le nombre de conflits du travail diminue. Il y a eu en moyenne chaque année 3556000 journées de grève entre 1970 et 1979, 1 338 000 entre 1980 et 1989, 684 000 entre 1990 et 1997. Depuis le début des années 2000, on assiste à une remontée du nombre des conflits, qui concernent avant tout la fonction publique. L’augmentation a été particulièrement forte en 2003, du fait des 3,7 millions de journées non travaillées dans la fonction publique contre le projet de réforme des retraites. Si de 2004 à 2006 le nombre de jours de grève a fortement diminué dans tous les secteurs par rapport aux années précédentes, il a légèrement augmenté en 2007 (1,5 million de jours), en raison des grèves dans les transports (réforme des régimes de retraite spéciaux à la RATP et à la SNCF, loi sur le service minimum). Alors que la fonction publique ne regroupe qu’un quart des salariés, elle a réalisé 70 % des jours de grève entre 1998 et 2003, et 25 % des journées nationales ont concerné les transports. Le poids du secteur public dans les conflits du travail constitue l’une des exceptions françaises en matière de travail, qui peut s’expliquer en partie par les difficultés qui sont propres à ce secteur et par l’inquiétude des fonctionnaires face à l’avenir, mais aussi par une « culture de la grève » propre à la France, favorisée par l’impact de tout arrêt de travail dans les services publics sur l’ensemble de l’économie.
En même temps que les conflits du travail diminuent sur la longue période, le taux de syndicalisation national est très faible, estimé à 8,1 % de la population active, soit 1,8 million de salariés pour la période 2001-2005. Ce taux est identique à celui des années 1996-2000 (8 %), mais inférieur à celui mesuré auparavant : 10 % en 1990, 17 % en 1980, 22 % en 1970, 42 % en 1950. Le taux de syndicalisation français est le plus faible de tous les pays industrialisés. Cela ne signifie pas pour autant que le rôle des syndicats s’est atténué dans la régulation de la vie économique et sociale. En effet, l’action syndicale s’inscrit dans un contexte où l’Etat joue un rôle très fort dans la régulation du marché du travail, dans des négociations où les syndicats agissent pour l’ensemble des salariés, et pas seulement pour les adhérents. Plus de neuf salariés sur dix sont ainsi couverts par une convention collective, ce qui est l’un des taux les plus élevés au monde. D’ailleurs, même si leurs effectifs sont réduits, et si les Français doutent parfois de leur représentativité, il n’en demeure pas moins que les syndicats restent de fait un des instruments privilégiés du dialogue social et qu’ils conservent un pouvoir important de blocage de l’économie et de la société.
L’auteur
Gérard Mermet est un sociologue analyste du changement social, spécialiste des tendances de la consommation et prospectiviste. Il a fondé le cabinet Francoscopie et conseille des entreprises et des institutions. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur la société française, l’Europe, la consommation.
Table des matières
Individu
- L’apparence
- La santé
- L’instruction
- Le temps
Famille
- Le couple
- Les jeunes
- Les personnes âgées
- La vie quotidienne
Société
- La vie sociale
- La France dans le monde
- Les valeurs
Travail
- La population active
- Les métiers
- La vie professionnelle
Argent
- Les revenus
- La consommation
- Le patrimoine
Loisirs
- Le temps libre
- Les médias
- La communication
- Les activités
- Les vacances
Index
Sources et remerciements
Questionnaire
Quatrième de couverture
Ouvrage de référence sur l’état de la France et des Français, Francoscopie décrit et décrypte les attitudes, les comportements, les opinions et les valeurs. Il couvre tous les domaines de la vie quotidienne : santé, famille, vie sociale, travail, revenus, consommation, loisirs…Un portrait vivant, détaillé et argumenté, que Gérard Mermet dresse régulièrement depuis plus de vingt ans.
L’ouvrage analyse la réalité à partir de données objectives et démonte les idées reçues. Il met en évidence les évolutions, fournit des comparaisons avec d’autres pays, identifie les tendances, souligne les « exceptions » nationales.
Cette treizième édition accorde une place particulière aux transformations en cours au moment où la société française se trouve confrontée à une crise sans précédent, sur fond d’inquiétude environnementale et de recherche de nouveaux modèles.
Par sa vision à la fois présente et prospective, Francoscopie 2010 intéresse tous ceux qui veulent connaître l’état réel de la France, comprendre les Français et anticiper les mutations.