L'ouvrage
Trois ans après la parution de Notre Etat , ce nouvel ouvrage dirigé par Roger Fauroux et Bernard Spitz pose la question du temps et de l'espace de l'action politique. En effet, l'efficacité perdue de l'action politique semble résulter d'une double divergence. La première procède d'un écart de plus en plus marqué entre des facteurs d'inertie qui perdurent voire se renforcent et un environnement réclamant une réactivité accrue. La seconde divergence concerne l'espace de l'action politique : tant la construction européenne que la décentralisation ont partiellement délégitimé la conduite des affaires publiques à l'échelon national sans avoir relayé cet échelon aussi efficacement qu'attendu.
Avocats, hauts fonctionnaires, dirigeants d'entreprise, universitaires ou responsable politique, les auteurs de cet ouvrage présentent des profils variés et abordent des sujets très divers : éducation, système de santé et couverture sociale, sécurité et justice, finances publiques, politique industrielle, retraites, défense et diplomatie, exclusion et intégration, etc. Les uns insistent d'abord sur les progrès accomplis quand les autres dressent un inventaire impressionnant des difficultés à surmonter. Aucun ne se résigne.
Péril en la demeure
C'est l'acception ancienne de demeure qu'il faut ici avoir à l'esprit : le fait de tarder. Car le terme urgence qui figure au titre de l'ouvrage revient fréquemment au fil des pages, quel que soit le sujet abordé. Les défis auxquels sont confrontés aujourd'hui nos gouvernants sont caractérisés par une dynamique complexe en permanent renouvellement. Il en est ainsi des questions économiques, technologiques, industrielles, sociales, mais également environnementales, sanitaires et bien sûr géopolitiques, après la guerre froide et avec l'aggravation des menaces terroristes. Or, face à l'exigence d'une réactivité redoublée, l'Etat apparaît handicapé par la pesanteur de ses structures et de ses modes de décision.
R. Fauroux et B. Spitz rappellent drôlement qu'André Tardieu avait intitulé le chapitre premier de son ouvrage La réforme de l'Etat :"Cela ne peut plus durer". C'était en 1934. Aujourd'hui, les auteurs du présent ouvrage s'accordent sur l'urgence qu'il y a à agir tout en reconnaissant l'existence de nombreux blocages. Le corporatisme, la faiblesse des syndicats, le clientélisme des élus sont invoqués tout comme l'épuisement institutionnel de la V° République. Par exemple, à propos du système éducatif, René Silvestre évoque" un système "bunkérisé", construit par des profs pour des enfants de profs, dont l'objectif semble être d'assurer sa propre reproduction ". Marc Pierre Stehlin et Philippe Delelis rappellent pour leur part que l'on" compte actuellement sept mille magistrats, soit sensiblement le même nombre qu'à la fin de la Première Guerre Mondiale ". Ce à quoi Alain Bauer fait indirectement écho en soulignant l'essor de la criminalité depuis une cinquantaine d'années : 574 000 crimes et délits enregistrés en 1950 et près de 2,9 millions dès 1981.
Lorsque les autorités publiques échouent à agir dans des délais raisonnables au point de ruiner le sens même de leur mission, c'est le cas de la justice, des dispositifs alternatifs peuvent le cas échéant se mettre spontanément en place comme le constatent M. P. Stehlin et Ph. Delelis à propos du fort développement de l'arbitrage national et international. Dans des domaines engageant les nouvelles technologies, les pouvoirs publics manquent à leur devoir d'anticipation. A propos de la télévision numérique terrestre, B. Spitz écrit ainsi que" le législateur [a été] une fois de plus pris de vitesse par la technique ".
Si les obstacles à surmonter sont nombreux, les moyens pour le faire sont comptés. Jacques Mistral admet, au terme d'un diagnostic sévère sur l'état des finances publiques, que " les marges de manœuvre proprement budgétaires sont inexistantes ". Nicolas Baverez renchérit en ce sens :" l'efficacité de la plupart des politiques publiques diminue (…) l'Etat est entré dans une zone de rendements décroissants" . Tout n'est pourtant pas réductible à une question de budgets. Les méthodes à l'œuvre sont également mises en cause. B. Spitz évoque" l'inefficacité managériale " de l'Etat tandis qu'Elie Cohen parle en termes voisins d'une" crise de management ". R. Fauroux et B. Spitz pointent pour leur part le" divorce (…) qui sépare deux types de responsables, ceux qui pensent et ceux qui agissent".
A l'insuffisance des méthodes adoptées par les responsables politiques et administratifs vient de surcroît s'ajouter la confusion des responsabilités et des compétences.
Le champ confus des compétences
Le principe de subsidiarité selon lequel la répartition des tâches, entre l'Etat d'une part et l'Union européenne et les collectivités locales d'autre part, doit être fixée selon le critère de l‘efficacité paraît sain au plan théorique. Au plan pratique, il a faussement justifié des transferts résultant d'abord des insuffisances de l'Etat. Ces transferts, qui n'ont pas toujours été assortis des moyens financiers requis, ont en outre généré leur lot de bureaucratie et de doublons. De sorte que la répartition des rôles et des responsabilités n'est plus intelligible pour personne. Les échelons administratifs ont été ajoutés les uns aux autres au risque de l'inefficacité et de conflits chroniques. Ils apparaissent aujourd'hui à la fois pléthoriques et inadaptés. Cette inadaptation touche notamment les régions dont aucune, à l'exception de l'Ile-de-France, n'atteint une masse critique à la mesure de l'ambition européenne. La distribution des responsabilités devient illisible pour les citoyens. Abstention et vote aux extrêmes s'en trouvent encouragés. Pour Jean-François Merle" Les confusions, à la fois de discours et d'objectifs, entre proximité et subsidiarité, entre décentralisation et déconcentration, entre décentralisation et réforme de l'Etat, entre décentralisation et aménagement du territoire, ont contribué à décrédibiliser l'idée même de décentralisation dans le corps social".
Construction européenne et décentralisation ne sont pas seules en cause. Au sein même des services centraux, la confusion peut gagner. N. Baverez souligne les effets délétères de la cohabitation sur la définition des rôles au sein de l'exécutif. S'exprimant sur l'administration des affaires étrangères, François Heisbourg pointe les incohérences et en appelle à une" mise à plat de l'ensemble des services concourant à l'action extérieure de l'état, qu'il s'agisse des Affaires étrangères ou de services dépendant d'autres ministères" . L'auteur pense notamment à la DREE, la Direction des relations économiques extérieures dépendant du ministère de l'économie.
Face à l'urgence des réformes et compte tenu de la rareté des ressources, l'autorité publique apparaît démunie et désunie. Apparemment très dégradée, la situation préserve malgré tout quelques raisons d'espérer.
L'espoir demeure
En premier lieu, l'échec et la crise peuvent en eux-mêmes amener les conditions de la réforme. Ainsi, la crise est porteuse d'espoir si on veut bien la considérer comme une condition favorable à l'initiative, fût-elle forcée. C'est l'avis de J. Mistral qui y voit un" levier pour saisir à bras le corps des difficultés structurelles dont la nature est au demeurant bien connue .". En matière de réforme, les tentatives avortées voire l'échec caractérisé jalonnent souvent le chemin vers la réussite. Comme le rappelle Thierry Bert, les velléités de réforme de l'administration des finances manifestées par Dominique Strauss-Kahn puis Christian Sautter n'auront pas été inutiles dans l'aboutissement ultérieur d'un certain nombre de dossiers. La redéfinition des rôles entre la DGI (Direction générale des impôts) et la DGCP (Direction générale de la comptabilité publique) en a offert un exemple. Le ministère de l'économie, dont on considère a priori les services comme particulièrement rétifs à toute évolution, montre à plusieurs égards la voie aux autres administrations. Ce fut encore le cas sur la question du non remplacement d'un départ à la retraite sur deux dans la perspective du budget 2004.
Le ministère de l'économie et des finances n'est pas la seule administration à montrer le chemin. F. Heisbourg tient la professionnalisation des armées pour un succès digne d'être suivi :" Nonobstant les spécificités du milieu militaire dans lequel ce processus s'est déroulé, ces enseignements demeurent d'application générale pour tout grand projet de réforme de l'Etat" . Dans le même ordre d'idées, A. Bauer voit lui dans la modernisation en marche de la police nationale" un espace d'expérimentation de la réforme de l'Etat".
Enfin, si trop peu a été fait dans le passé, si le volontarisme réformateur reste pour l'heure insuffisant, les prochaines années pourraient apporter sur certains plans des conditions plus propices. C'est à l'évidence le cas de la situation créée par les nombreux départs à la retraite attendus dans la fonction publique :" 40% des agents publics vont quitter les administrations entre 2002 et 2010 " nous rappelle Marcel Pochard. Pour plusieurs des auteurs, il y a là une occasion à ne pas manquer de dégager des moyens et de redéployer les effectifs en fonction des priorités qui auront été au préalable clairement désignées.
R. Fauroux constate lui-même avec quelque amertume que Notre Etat a été beaucoup lu sans avoir été beaucoup mis en pratique. Il n'exclut pas que cette nouvelle contribution au débat subisse le même sort. Du moins, depuis la mise sous presse de l'ouvrage en février 2004, deux questions jugées symptomatiques d'un "Etat en panne" ont connu des développements allant dans le sens des préconisations formulées par les auteurs : la nomination d'un préfet d'origine maghrébine d'une part et le recouvrement de la redevance audiovisuelle avec la taxe d'habitation d'autre part.
Les auteurs
Inspecteur des finances, Roger Fauroux a notamment été PDG de Saint-Gobain, directeur de l'ENA et ministre de l'industrie (de 1988 à 1991). Maître des requêtes au Conseil d'Etat, Bernard Spitz est maître de conférences en économie de la communication numérique (Paris I-La Sorbonne) et administrateur du Centre français du commerce extérieur (CFCE). La plupart des auteurs réunis par R. Fauroux et B. Spitz ont participé à la rédaction de Notre Etat, le livre vérité de la fonction publique publié précédemment (Robert Laffont, 2001). Ces auteurs sont mentionnés dans le sommaire repris ci-après.
Quatrième de couverture
"Les auteurs de Notre Etat proclament l'Etat d'urgence.
Le monde a changé. L'Europe a changé. La France a changé. Et notre Etat ? Il bouge. Certains ajouteraient : il bouge encore, comme l'on dit d'un grand blessé pour signaler qu'il est toujours vivant. Mais il ne bouge ni assez vite, ni assez loin, ni assez bien.
Pourquoi en 2004 notre Etat a-t-il encore tant de mal à se réformer ? Pourquoi une telle inertie face aux questions centrales de la vie des Français que sont l'école, la santé, la sécurité, les retraites, les services publics, l'adaptation de notre pays à l'Europe et à la mondialisation ? Comment éviter la faillite et en même temps combattre la frustration des fonctionnaires, l'inefficacité des organisations, le ressentiment des citoyens ?
Autour de Roger Fauroux et Bernard Spitz, une équipe d'experts de diverses générations, expériences et sensibilités politiques, convergent vers un même diagnostic. Leur conviction est que nous sommes capables de changer. Il n'est pas trop tard, mais il y a urgence ! Sans complaisance ni parti pris, les auteurs énoncent des solutions concrètes et constructives pour chacun des secteurs-clés de l'Etat. Un programme courageux et cohérent qui met la classe dirigeante face à ses responsabilités."