L'ouvrage
Si ces conditions ont considérablement changé au cours des vingt-cinq dernières années, il n’en demeure pas moins que les progrès en direction de l’égalité des genres restent limités dans certains domaines, et ceci même dans les pays développés. Puisque le développement économique ne suffit pas à réduire toutes les disparités entre les hommes et les femmes, le Rapport identifie les domaines dans lesquels une action volontariste des pouvoirs publics s’impose.
Pourquoi l’égalité entre les hommes et les femmes est-elle importante pour le développement ?
L’égalité des genres (Le genre est l’ensemble des attributs, attentes, normes qu’une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes) est d’abord un objectif en soi, si on considère avec Amartya Sen que le développement est un processus d’expansion des libertés qui doit également profiter à tous. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes sont des objectifs à part entière, inscrits dans le troisième et dans le cinquième objectifs du Millénaire pour le Développement, tels qu’ils ont été formulés au Sommet des objectifs du Millénaire (2010).
L’égalité des genres est cependant aussi un atout pour l’économie. Elle a des effets sur la productivité. En effet, puisque les femmes constituent maintenant plus de 40% de la population active totale, 43% de la main-d’œuvre agricole, et plus de 50% des étudiants universitaires à l’échelle mondiale, il importe que les compétences et les aptitudes des femmes soient consacrées à des activités qui les mobilisent au mieux. L’égalité des genres se traduit aussi par des investissements plus importants dans le capital humain des enfants, qui ont à leur tour des effets positifs dynamiques sur la croissance économique. C’est ainsi qu’à partir d’observations réalisées sur un large éventail de pays, on a pu montrer que l’accroissement de la part du revenu des ménages contrôlée par les femmes modifie la structure des dépenses d’une manière qui profite aux enfants. L’égalité des genres accroît enfin la capacité d’action collective des femmes, ce qui transforme la société en influençant les institutions, les marchés, ou encore les normes sociales. Quand on donne aux femmes les moyens d’agir sur la scène politique, on observe bien souvent une modification des choix publics. Par exemple, le suffrage des femmes aux Etats-Unis a conduit les responsables politiques à porter leur attention sur la santé juvénile et la santé maternelle, ce qui a réduit considérablement la mortalité infantile. De même, en Inde, la participation des femmes aux décisions politiques locales entraîne une hausse de la fourniture des biens publics et un recul de la corruption.
Les progrès accomplis au niveau de l'égalité entre les hommes et les femmes
Au cours des vingt-cinq dernières années, la situation des femmes s’est nettement améliorée. En premier lieu, l’espérance de vie à la naissance s’est considérablement allongée dans les pays en développement pour s’établir à 71 ans à l’échelle du monde en 2007, contre 67 ans pour les hommes. Cette évolution a été beaucoup plus rapide que pour les pays actuellement riches. Il a fallu plus de 100 ans pour que le nombre d’enfants mis au monde par une femme aux Etats-Unis tombe de 6 à 3 ; il n’a fallu qu’un peu plus de 35 ans en Inde et moins de 20 ans en Iran pour parvenir à ce résultat.
Un autre facteur important d’amélioration de la condition des femmes est l’éducation. Les progrès accomplis pour réduire les disparités entre les garçons et les filles dans le domaine de l’éducation sont réguliers et soutenus à tous les niveaux de celle-ci. Deux-tiers de tous les pays du monde affichent désormais les mêmes taux de scolarisation primaire pour les garçons et les filles. Dans plus d’un tiers des pays, les filles sont sensiblement plus nombreuses que les garçons dans le secondaire. Dans l’enseignement supérieur, il n’est pas rare que la situation soit maintenant inversée : les hommes sont en moins bonne posture que les femmes.
Le troisième élément décisif de réduction des inégalités concerne le marché du travail. Les taux d’activité féminine augmentent depuis trente ans. Entre 1980 et 2008, l’écart entre le taux d’activité des hommes et celui des femmes a été ramené de 32 points à 26 points de pourcentage. En 2008, les femmes constituent plus de 40% de la population active mondiale.
Si les progrès accomplis en matière de parité hommes-femmes se sont produits plus rapidement dans les pays en développement que dans les pays riches, c’est pour deux raisons. La première est que les revenus de nombreux pays pauvres ont augmenté plus rapidement. Depuis 1950, 13 pays en développement ont enregistré un taux de croissance annuel moyen du PIB de 7% pendant au moins 25 ans, soit un rythme jamais observé avant la seconde moitié du XXème siècle. La deuxième raison est que les éléments qui agissent sur la parité hommes-femmes sont interconnectés, et que les améliorations obtenues dans certains domaines facilitent l’obtention de résultats dans d’autres domaines. L’augmentation des revenus s’accompagne d’une baisse de la fécondité qui donne aux femmes davantage de temps pour investir dans le capital humain et la poursuite d’une activité économique. D’une manière générale, lorsque les signaux donnés par les marchés (modalités permettant aux acheteurs et aux vendeurs de céder ou d’acquérir tous types de biens et services conformément à une série de règles), les institutions formelles (éléments ayant trait au fonctionnement de l’Etat, comme l’appareil administratif ou judiciaire), les institutions informelles (mécanismes, règles et procédures qui façonnent les interactions sociales, mais ne relèvent pas du pouvoir politique) et la progression des revenus conjuguent leurs effets, la parité hommes-femmes s’améliore très rapidement.
Les domaines où l'inégalité hommes-femmes persiste
Si des progrès satisfaisants ont été accomplis dans un certain nombre de registres de l’existence, la situation n’évolue pas au même rythme dans toutes les sphères d’activité. Au plan de la santé, on observe toujours un surcroît de mortalité des filles et des femmes plus marqué dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire que dans les pays à revenu élevé. A l’échelle mondiale, le surcroît de mortalité féminine et le « déficit » des filles à la naissance (s’expliquant essentiellement par une forte préférence pour les garçons, notamment en Chine et dans le nord de l’Inde) sont estimés à 3,9 millions de femmes âgées de moins de 60 ans. Au plan du travail, si comme on l’a vu plus haut, le taux d’activité féminine progresse, il n’en demeure pas moins que les phénomènes de ségrégation professionnelle demeurent bien présents ainsi que le maintien des écarts entre les niveaux de rémunération. Les hommes et les femmes continuent de travailler dans des secteurs très différents de l’espace économique, les femmes étant assez souvent cantonnées dans des activités qui ont un faible niveau de productivité (au sein de la famille, dans le secteur informel, dans l’agriculture, dans les entreprises de petite taille). Par ailleurs, presque partout dans le monde, les femmes gagnent moins que les hommes dans les industries manufacturières. Au plan de la prise de décision, on observe que dans la plus grande partie du monde, y compris dans les pays riches, les femmes contribuent moins à celle-ci que les hommes, que ce soit au sein du ménage, de la communauté, ou de la société prise dans son ensemble. Pour ce qui est de l’ensemble de la société, la sous-représentation des femmes dans les instances politiques en témoigne clairement. Pour ce qui est de la vie domestique, on remarque que les femmes ont bien souvent une influence limitée sur les dépenses du ménage et qu’elles n’ont pas les mêmes options que les hommes en matière de contrôle ou de propriété de biens. La persistance de ces inégalités, qui se perpétuent d’une génération à une autre, s’explique par la conjugaison de défaillances du marché, d’obstacles institutionnels, et de normes sociales qui touchent différemment les hommes et les femmes. Les défaillances du marché sont multiples, comme le montrent les multiples exemples de discrimination sur le marché du travail ou sur le marché du crédit dont les femmes sont victimes. Ces défaillances du marché sont renforcées par des institutions formelles qui ne traitent pas les hommes et les femmes de la même manière. Par exemple, il arrive souvent que les cadres législatif et réglementaire limitent les opportunités des femmes, notamment quand les droits conférés aux deux sexes en matière de propriété des biens ne sont pas les mêmes, ou lorsque le droit commun impose des restrictions aux heures durant lesquelles les femmes sont autorisées à travailler. Quant aux normes sociales (institutions informelles), elles amplifient encore la résistance au changement, et cela d’autant plus que le temps pour les faire évoluer est souvent long. C’est ainsi que partout dans le monde on constate que les femmes passent chaque jour plus de temps que les hommes à s’occuper de la famille et à faire des travaux ménagers. Les écarts vont de une à trois heures de plus par jour pour les travaux ménagers et de deux à dix fois plus de temps pour les soins consacrés aux enfants et aux personnes âgées.
Que faire ?
Il est clair que la mondialisation peut réduire un grand nombre des inégalités entre les hommes et les femmes, et cela pour une série de raisons. Premièrement, l’ouverture au commerce mondial accroît les emplois auxquels peuvent prétendre les femmes. Deuxièmement, le processus d’urbanisation et l’accroissement de l’accès à l’information permettent de mettre en contact les cultures, ce qui a un impact sur les attitudes et les comportements. Troisièmement, les incitations à la poursuite d’une action publique en faveur de la parité hommes-femmes n’ont jamais été aussi fortes : il y a maintenant un consensus à l’échelle mondiale sur l’impact positif de la promotion économique, sociale et politique des femmes, et aussi sur le fait que les inégalités entre les hommes et les femmes nuisent à la stature internationale d’un pays. Cela dit, l’amélioration de tous les aspects de tous les aspects de l’égalité entre les hommes et les femmes n’a rien d’automatique, et ne dispense pas d’une action des pouvoirs publics que le Rapport recommande d’exercer dans quatre domaines.
Il convient tout d’abord de réduire les disparités entre les hommes et les femmes au niveau du capital humain, et cela aussi bien en ce qui concerne la santé que l’éducation. Au niveau de la santé, c’est l’objectif de réduction du surcroît de mortalité féminine qui est visé, en agissant sur l’asymétrie entre le nombre de garçons et de filles à la naissance (actions par exemple pour améliorer la perception qu’ont les ménages de la valeur de leurs filles), sur la mortalité dans la petite enfance par l’approvisionnement en eau potable et les services d’assainissement, et sur la mortalité en général (forte en Afrique subsaharienne et dans certaines régions d’Asie) par la constitution de systèmes efficaces de soins maternels. Au niveau de l’éducation, il faut selon le Rapport fournir avant tout une éducation aux plus défavorisés, car même lorsque l’écart entre les taux de scolarisation des garçons et des filles se réduit au plan national, les inégalités perdurent dans les segments de population pauvres.
Un deuxième domaine d’action est de chercher à compléter les écarts entre les niveaux de rémunération et de productivité des hommes et des femmes. Pour y parvenir, il serait bon d’adopter des stratégies visant à élargir les opportunités économiques des femmes en leur donnant du temps pour modifier le partage des responsabilités concernant les soins à la famille et les travaux ménagers (en développant les services de garde, les congés parentaux, en améliorant les infrastructures…), et en agissant sur les défaillances du marché les plus flagrantes (perfectionnement du marché du crédit auquel les femmes ont peu accès, lutte contre les discriminations sur le marché du travail).
Le troisième domaine d’action identifié est l’élaboration de stratégies pour réduire les disparités en matière d’influence sociale, par l’accroissement de la voix des femmes dans la société (application des quotas dans la sphère politique et dans les autres institutions, comme les syndicats ou l’appareil judiciaire), et l’accroissement de l’influence des femmes au sein des ménages (augmentation du contrôle exercé sur les activités du ménage par la modification du droit de la famille et du droit foncier, lutte contre les violences faites aux femmes, augmentation de la maîtrise de la fécondité).
Le dernier domaine d’action recensé par le Rapport vise à lutter contre la transmission intergénérationnelle des inégalités entre les hommes et les femmes. Pour y parvenir, il convient de réduire le taux d’abandon en cours d’études par des bourses et des transferts monétaires conditionnels, de faciliter la transition entre l’école et le monde du travail, et de promouvoir les attentes sociales des femmes (en prenant appui sur des parcours féminins de réussite qui bousculent les stéréotypes)
Table des matières
Abrégé Introduction Première partie L’égalité des genres : Bilan de la situation
Chapitre 1. Une vague de progrès
Chapitre 2. La persistance des inégalités entre les genres
Thème 1 Les voies de l’habilitation des femmes : tous les chemins mènent-ils à Rome ? Deuxième partie Quels sont les moteurs du progrès ? Quels sont les obstacles rencontrés ?
Chapitre 3. L’éducation et la santé : dans quels domaines les disparités entre les genres revêtent-elles vraiment de l’importance ?
Chapitre 4. La promotion de la capacité de décision et d’action des femmes
Thème 2 La disparition du modèle traditionnel du soutien de famille : les hommes au XXIème siècle
Chapitre 5. Les disparités entre les genres dans le domaine de l’emploi et raisons pour lesquelles elles revêtent de l’importance
Chapitre 6. L’impact de la mondialisation sur les inégalités de genre : les faits et les attentes
Thème 3 Evolution mentale, évolution physique et évolution culturelle- adolescents et adolescentes
Troisième partie Le rôle et le potentiel de l’action publique
Chapitre 7. Une action publique pour promouvoir l’égalité des genres
Chapitre 8. L’économie politique des réformes en faveur de l’égalité des genres
Chapitre 9. Une action mondiale pour la promotion de l’égalité des genres Notes bibliographiques
Documents de référence et notes d’information
Grands indicateurs
Grands indicateurs du développement dans le monde
Index