Crise et rénovation de la finance

Michel Aglietta et Sandra Rigot

L'ouvrage

Nouveau monde : un livre qui analyse la crise

La croissance financière sans précédent qui a accompagné la déréglementation et la globalisation des marchés était un indice de ce que ce processus ne pouvait se prolonger indéfiniment. En 1980, les profits captés par le secteur financier américain faisaient 10 % du total des profits des sociétés privées, mais 40 % en 2007. Ce dernier chiffre se compare à un rapport de 5 % des emplois salariés dans les sociétés privées et 15 % de la valeur ajoutée. La finance a donc joué le rôle de « pompe aspirante » de la valeur dans l'économie, valeur dissipée dans les rémunérations exorbitantes du trading et dans les commissions léonines des opérations de restructuration du capital, de titrisation et de gestion des actifs. Le revers de la médaille dans cette course folle à l'expansion des actifs a été l'explosion de l'effet d'endettement. 

L'alchimie de la titrisation qui a fini par provoquer la phase baissière du cycle financier dominée par la déflation des bilans est un événement trop extrême pour que tout reparte comme avant, une fois la croissance revenue : « La finance ne sortira pas de la crise comme elle y est entrée ». La titrisation qui est la transformation de crédits en titres financiers est devenue un processus intégré dans une chaîne de transmission du risque sans limite qui ne pouvait que provoquer la défiance de l'ensemble du système financier. La compréhension de la crise repose sur l'idée que la finance est victime de cycles propres qui la portent intrinsèquement à l'instabilité.

La titrisation a provoqué une explosion des crédits hypothécaires et une sous-évaluation massive du risque à toutes les étapes de la chaîne. L'absence de contrôle des pouvoirs publics et la croyance aveugle à l'autorégulation des marchés ont été la porte ouverte à l'irresponsabilité. Les liens auto-entretenus entre comportements d'offre et de demande de crédits et prix des marchés des actifs, le mimétisme de la finance dans un climat d'incertitude, les éternels risques démesurés pris par les banques et autres organismes financiers, les rentes captées par les professionnels de la finance dans la phase d'euphorie sont explicités par les auteurs. Il est vrai que les crises financières jalonnent l'histoire du capitalisme et nos auteurs s'inspirent de l'analyse keynésienne mais aussi du travail minutieux réalisé par Charles Kindleberger qui a bien montré par des faits stylisés la récurrence des cycles financiers. On retrouve dans l'ouvrage la cohérence de l'enchaînement des cinq phases des cycles financiers : l'essor, l'euphorie, le retournement, le reflux, puis la déflation de la dette. Mais Aglietta et Rigot démontrent la marge de sécurité financière illusoire dans la titrisation, machine infernale à engendrer des pertes dans une mondialisation affranchie de toutes règles. 

Au moins trois contre-pouvoirs

Notant le coût exorbitant de la crise, la seconde partie de l'ouvrage est consacrée à expliquer comment faire naître dans la finance des contre-pouvoirs à même de contrer son instabilité.

Le premier contre-pouvoir est public, c'est celui de la banque centrale. La crise a montré qu'il ne suffit pas de maîtriser l'inflation pour éviter les dérapages du prix des actifs. Reprenant les thèses de Paul Krugman dans L'Amérique dérape , l'ouvrage montre que les autorités monétaires doivent désormais avoir pour objectif de lutter contre l'instabilité financière. Comme il est très difficile de détecter une bulle financière, il vaut mieux surveiller les dérapages de distribution de crédits qui nourrissent les bulles et imposer aux banques des fortes contraintes dans les périodes d'euphorie. Il est nécessaire de reprendre l'idée de 1997, au lendemain de la crise asiatique, qui était de mettre en place une doctrine commune macro prudentielle et donc de contrôler l'ensemble des crédits par rapport à la croissance potentielle. 

Le second contre-pouvoir est celui des régulateurs de marché, qui doivent encadrer sévèrement la titrisation et les agences de notation qui ont été le maillon faible en tant que juges et partis dans la notation du crédit structuré. Il est indispensable d'avoir une évaluation quantitative du risque de crédit.

Enfin, le troisième contre-pouvoir évoqué est celui de l'actionnariat normalement préoccupé par le long terme. Les pertes abyssales prouvent que les fonds spéculatifs, les fonds d'investissement, les fonds souverains et tous les autres acteurs de la finance ont été souvent victimes de la course aux rendements immédiats. Le contrôle des banques commerciales ne suffit plus et l'avenir passera par le contrôle des produits dérivés devenus trop complexes (90 % des échanges se font de gré à gré et sont donc incontrôlables). Il sera fondamental d'élaborer des contrats standards échangeables sur un « vrai » marché et passant, eux aussi, par des chambres de compensation. Le temps de l'intimidation, celui où « nul n'avait le droit de critiquer la doxa sans être brocardé », où « tout à chacun était sommé d'admirer l'innovation financière », est bel et bien terminé. Edgard Morin a sans doute raison de rappeler que toutes les transformations de fond s'accompagnent inévitablement de destruction et de création toujours plus complexes. Pour les auteurs de cet ouvrage, il y a au moins une certitude : l'économie monde qui se crée a absolument besoin d'une nouvelle gouvernance et il nous faut impérativement nous mettre en quête de la trouver.  

L'auteur

  • Michel Aglietta est professeur émérite à l'université Paris-X-Nanterre, conseiller scientifique au Cepii et à Groupama-Asset Management.
  • Sandra Rigot est doctorante en économie et allocataire-monitrice à l'université Paris-X-Nanterre.

Quatrième de couverture

La crise a mis un terme à un régime de crédit à tout-va, fondé sur le laisser-faire des autorités de régulation de la finance, sur l'irresponsabilité des intermédiaires de marché et sur la passivité des investisseurs institutionnels.
Bien loin d'avoir été efficace dans l'allocation du capital, la finance a capté une rente gigantesque sur l'économie et a nourri des déséquilibres insoutenables. Une profonde réorganisation de la finance est désormais à l'ordre du jour.
Ce livre dessine les contours d'une telle réforme : instaurer des règles de comportement et des principes de gouvernance capables de réintroduire une responsabilité sociale dans le système bancaire ; mais surtout établir des contre-pouvoirs.
Cette refondation commande que les investisseurs financiers (fonds de pension, compagnies d'assurances, fonds souverains, etc.), fassent prévaloir, au sein des entreprises dont ils sont actionnaires, des stratégies de long terme et mettent en œuvre des moyens de contrôle des risques susceptibles de discipliner et de stabiliser les marchés financiers. 

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