Résumé
En 2020, le président Emmanuel Macron a proposé à Olivier Blanchard et Jean Tirole de constituer une commission pour explorer les grands défis à venir de l’économie. Le travail de cette commission composée de vingt-quatre économistes a abouti à un rapport sur trois défis structurels que sont le changement climatique, les inégalités et la démographie.
Sur chacun de ces sujets, la commission a formulé des recommandations dont certaines ont fait l’objet de débats et n’ont jamais été mis en œuvre, et des propositions de nature plus exploratoire parce qu’elles sont nouvelles, moins bien comprises, ou encore parce que les risques liés à leur exécution sont importants.
Quiz sur la note de lecture : Changement climatique, inégalités, démographie : Comment répondre aux grands défis économiques ?
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L’ouvrage
Cet ouvrage donne à lire les parties liminaires du rapport Blanchard-Tirole sur trois défis que l’on peut qualifier d’existentiels : l’urgence climatique exige d’agir rapidement à une grande échelle, les inégalités sont considérées par la population française comme un problème très grave (en dépit du fait que les données statistiques de la France en matière d’inégalités ne sont pas mauvaises), et les enjeux liés au vieillissement de la population sont importants, qu’il s’agisse de l’avenir du système de retraites par répartition, du travail des seniors, ou encore de l’intégration des travailleurs immigrés sur le marché du travail.
Ces trois défis ont été choisis parce qu’ils présentent deux caractéristiques essentielles. La première de ces caractéristiques est que chacun d’entre eux soulève des questions intra et intergénérationnelles fondamentales : quel avenir allons-nous léguer à nos enfants ? quelle planète ? (question du changement climatique) ; quel type d’emplois ? quel équilibre entre les intérêts des jeunes et des travailleurs d’un côté et ceux des seniors et des retraités d’un autre côté ? (question de la démographie et des retraites) ; serons-nous capables de résorber les inégalités actuelles qui ont pu être accentuées pendant la pandémie de Covid-19 ? (question des inégalités). La deuxième caractéristique est que les trois défis sont des « bombes à retardement ». Leurs effets immédiats sont bien moindres que les effets à long terme, ce qui incite les décideurs politiques à temporiser, d’autant plus que les biais électoraux (seule la génération actuelle vote, y compris sur les questions qui vont affecter les générations futures) et comportementaux (excès de confiance et croyances selon lesquelles les problèmes économiques et sociaux vont se résorber tout seuls) incitent à la procrastination. Ces biais font pencher les décisions en défaveur des générations futures.
Les trois défis posent des problèmes techniques et économiques complexes. Il est bien difficile de prévoir l’acceptabilité sociale des politiques climatiques alternatives ou le rythme du progrès technologique. De même, il n’est pas aisé de savoir jusqu’à quel point on peut compter sur le système éducatif pour offrir des chances égales à tous. Ou encore, la question de savoir dans quelle mesure on peut infléchir le progrès technologique pour qu’il continue d’occuper les travailleurs sans se substituer à eux n’admet pas de réponse évidente.
Néanmoins, selon les experts de la commission, les scientifiques (économistes, chercheurs en sciences sociales, autres spécialistes) peuvent apporter des réponses à ces questions techniques. Ils peuvent présenter de manière synthétique l’état des connaissances, et les mesures qui se sont révélées efficaces ailleurs et celles qui devraient être envisagées.
Mais la mission ne peut s’arrêter là. La question du degré d’acceptabilité des réformes est également essentielle. Bien souvent, les réformes jugées nécessaires par les experts se heurtent à une vive opposition du corps social et sont de ce fait abandonnées ou dénaturées. Par exemple, on observe que la quasi-totalité des économistes s’accorde à dire qu’une stratégie cohérente de lutte contre le réchauffement climatique passe par la tarification carbone. Pourtant, la tentative du gouvernement français d’augmenter la taxe sur le carbone a provoqué la révolte des Gilets jaunes, et la Convention citoyenne pour le climat a décidé en 2020 d’exclure cette mesure de la liste de ces recommandations. C’est la raison pour laquelle les experts de la commission ont aussi pour tâche de comprendre les résistances, de mieux expliquer les propositions de réformes pour que celles-ci soient perçues comme justes (et également de prévoir des mesures de compensation pour les « perdants », tout au moins les plus défavorisé d’entre eux).
Enfin, le succès des réformes dépend également d’une planification rigoureuse. Dans ces conditions, il revient également aux experts de réfléchir à la mise en œuvre concrète des bonnes idées, qui souvent perdent leur valeur dès qu’elles sont mise en pratique, d’où la nécessite de disposer de tests de diagnostic et de mode d’emploi détaillés.
C’est sur cette base que la commission a conçu son rôle : apporter une expertise et évaluer ce que l’on sait sur les trois thématiques ; proposer des réformes qui tiennent compte des gagnants et des perdants, donner des orientations sur la meilleure manière de les exécuter.
Au final le rapport est optimiste : sur les trois questions du changement climatique, des inégalités et de la démographie, il y a des solutions que ce travail peut aider à concevoir.
Voir la note de lecture du livre d’Hervé Le Bras « Se sentir mal dans une France qui va bien »
I- Le changement climatique
Le changement climatique représente une menace existentielle. Il générera des coûts économiques considérables, mettra en danger les écosystèmes et la biodiversité, provoquera des troubles sociaux, entraînera des migrations à grande échelle, suscitera le ressentiment des pays à revenu faible ou intermédiaire, et sera susceptible de déclencher des guerres ou d’autres formes de conflits.
Il reste peu de temps pour agir. En effet, malgré l’urgence de la situation, il subsiste un grand décalage entre les discours volontaristes accompagnés d’engagements à long terme et les actions concrètes des acteurs politiques. Un autre décalage est l’inquiétude que ressent la majorité de la population face au changement climatique et sa réticence à supporter le coût de la transition écologique et ses conséquences sur son mode de vie.
Malgré l’impopularité de la tarification du carbone, la commission conclut que la mise en place d’un prix élevé du carbone est indispensable. En effet, un prix élevé du carbone pousse à l’action ceux qui peuvent éliminer leur pollution à un cout relativement faible, stimule l’innovation verte, réduit les formalités administratives par rapport aux autres méthodes de lutte contre la pollution (règlements, taxes…), et permet aux consommateurs d’agir pour le climat sans peine puisque le prix d’achat d’un produit inclut alors déjà le coût de l’ensemble des émissions générées tout au long de la chaîne de valeur. Dans le passé, elle n’a pas été mise en œuvre correctement, et la trop faible indemnisation des ménages périurbains et ruraux à faible revenu a également contribué à son impopularité. C’est pourquoi la commission approuve l’idée d’une « tarification bien conçue ».
Cependant, la tarification du carbone ne suffira pas. Il est aussi nécessaire d’intensifier rapidement les efforts de R-D dans le domaine de l’écologie et aussi mettre en place des normes, des interdictions et des mesures incitatives dans les secteurs qui ne se prêtent pas à une tarification du carbone. Dans le domaine de la R-D, la commission suggère la création d’un organisme européen, EU-ARPA-E, qui financerait des projets à haut risque et à haut potentiel. Et en ce qui concerne les normes, les interdictions et les mesures incitatives ciblées, elle propose la création d’une commission indépendante constituée de scientifiques et économistes de haut niveau, qui contribuerait à la rationalisation des choix des gouvernements sans ralentir leur prise de décision.
Enfin, il importe de bien voir que la France aura à elle seule très peu d’incidence directe sur l’atténuation du changement climatique. Toutefois, en adoptant une attitude exemplaire et en montrant que des progrès peuvent être accomplis, elle peut exercer une pression sur les autres pays au moyen de l’ajustement carbone aux frontières, promouvoir des innovations technologiques et des mesures novatrices qui bénéficieront aux pays pauvres, et jouer un rôle intellectuel majeur dans l’élaboration d’accords internationaux efficaces.
Voir le décryptage de la Note de France Stratégie « L’action climatique : en enjeu macroéconomique »
II- Les inégalités
Dans les comparaisons internationales, les données statistiques de la France en matière d’inégalités de revenus, d’inégalités patrimoniales et d’inégalités régionales ne sont pas mauvaises. De surcroît, à la différence de ce qui s’est produit dans beaucoup d’autres pays, la situation ne s’est pas dégradée au cours de la période récente.
Mais il n’en reste pas moins qu’une large majorité de la population française considère les inégalités comme un problème grave ou très grave. En outre, il est vrai que les mesures statistiques des inégalités passent de fait à côté d’aspects essentiels de celles-ci, tels que le poids déterminant du milieu social et du lieu de naissance dans la possibilité de recevoir une bonne éducation, la possibilité d’occuper un emploi de qualité, et l’espoir en son avenir.
C’est la raison pour laquelle la commission propose d’intervenir à trois stades :
- D’abord, avant la production, la commission propose d’agir au niveau de l’éducation pour renforcer l’égalité des chances en consacrant davantage de dépenses en faveur des établissements accueillant des élèves défavorisés, en rattrapant le retard important accumulé en matière d’apprentissage, et en renforçant l’attractivité des carrières de l’enseignement. Elle propose aussi de réduire les inégalités de patrimoine financier, puisque l’impôt sur les successions ne joue pas actuellement son rôle attendu dans l’amélioration de l’égalité des chances. Plus que son taux, c’est la manière dont il est conçu et les possibilités d’y échapper qui sont en cause. Les recettes tirées de l’impôt sur les successions pourraient être explicitement affectées à une redistribution favorisant l’égalité des chances.
Ensuite, pendant la production, certaines mesures peuvent contribuer à la mise à niveau et à l’amélioration des compétences, et tenter de façonner la technologie et l’organisation des entreprises pour que ces dernières créent plus d’emplois de qualité. Parmi celles-ci, il y a des mesures évidentes comme l’amélioration de la formation professionnelle tout au long de la vie. Mais il y a aussi des mesures assez originales et audacieuses, et cela d’autant plus que les politiques portent généralement sur l’avant ou l’après production. Peut-on pousser les entreprises à se réorganiser pour créer plus d’emplois de qualité, confier plus de responsabilités aux travailleurs peu qualifiés, et donner à chacun plus d’occasions de gravir l’échelle des emplois ? En matière de règles commerciales, ne doit-on pas considérer que le commerce international doit être soumis à des restrictions s’il fait disparaître des emplois de qualité sur le territoire national ?
- Et enfin, après la production, étant donné que tous ne s’en sortent pas de la même manière au stade de la production, des mesures de redistribution peuvent être adoptées. Le but est de mettre en place une imposition plus juste, pas forcément plus forte, puisque la pression fiscale est déjà élevée et que la redistribution a ses limites. La commission donne toutefois plusieurs exemples d’outils pour rendre l’imposition plus juste, par le recours à l’intelligence artificielle, par un meilleur échange de renseignements (système du tiers déclarant, coopération internationale), et par des accords internationaux sur la taxation des entreprises.
Voir la note de lecture de Yann Coatanlem et Antonio de Lecea « Le capitalisme contre les inégalités »
III- La démographie
Comme en matière d’inégalités, les défis démographiques sont multidimensionnels. La commission a choisi de retenir deux dimensions que sont d’une part les conséquences du vieillissement et d’autre part l’intégration de la population immigrée sur le marché du travail.
Au niveau du vieillissement, si l’allongement de l’espérance de vie est une bonne nouvelle, il implique cependant des ajustements dans la manière dont la société est organisée, en premier lieu le maintien d’un juste équilibre entre travail et retraite. En effet, actuellement, la charge des pensions sur les actifs est élevée en France, principalement en raison du très faible taux d’activité des personnes de 55 à 64ans, et d’un âge effectif de départ à la retraite très bas par rapport aux autres pays. Face à ces réalités, la commission rejoint l’idée, déjà défendue dans le rapport Delevoye et le projet de réforme présenté dans son sillage, qu’il est indispensable de commencer par rationaliser le système existant. Une fois cette tâche accomplie, la commission préconise un ensemble de mesures, à savoir :
- La création d’un système de points lisible.
- L’instauration d’une borne inférieure pour l’âge à partir duquel une personne peut demander la liquidation de ses droits.
- Une majoration des droits neutre sur le plan actuariel pour les actifs qui préfèrent prendre leur retraite au-delà de l’âge minimal de départ.
- Un mécanisme d’ajustement du nombre de points en faveur des actifs à faible revenu pour leur permettre de percevoir une retraite décente même s’ils partent à l’âge minimal de départ.
Au niveau de l’intégration de la population immigrée sur le marché du travail, même s’il n’existe pas de solution miracle, la commission pense que trois voies doivent être explorées :
- L’élaboration de politiques plus cohérentes favorisant la reconnaissance des diplômes et l’acquisition de nouvelles compétences.
- La lutte contre la transmission intergénérationnelle des faibles niveaux d’éducation (mise en œuvre notamment de mesures incitatives en faveur d’une mixité scolaire accrue).
- La mise en évidence et la réduction de la discrimination.
Voir la notion « Vieillissement démographique »
Quatrième de couverture
En 2020, Emmanuel Macron proposait à Jean Tirole et Olivier Blanchard de constituer une commission indépendante pour plancher sur les défis du futur. Cette commission internationale de vingt-quatre éminents économistes produisit un rapport portant sur trois défis structurels pour l'économie mondiale : le changement climatique, les inégalités et l'évolution démographique. Ces défis sont existentiels mais leur horizon temporel – leurs effets immédiats sont beaucoup plus faibles que leurs effets à long terme – invite à la procrastination.
Pourtant, des solutions existent, même si elles sont parfois coûteuses ou difficles à mettre en place. Cet ouvrage, destiné à un très large public, est un résumé des conclusions de cette commission. Elles nous concernent tous. Au-delà de la stricte rationalité économique, la commission s'est attachée à prendre en compte les perceptions de la population car sans acceptabilité politique, une réforme, même souhaitable, est promise à l'échec.
Pour chacun de ces trois défis, la commission recommande donc non pas une réforme isolée, mais un ensemble de réformes, complémentaires et multidimensionnelles. Il est urgence de penser le long terme.
Les auteurs
Olivier Blanchard est professeur émérite au Massachusetts Institute of Technology et senior fellow du Peterson Institute for International Economics à Washington. Il a été président de l’American Economic Association en 2019 et économiste en chef du Fonds Monétaire International de 2008 à 2015.
Jean Tirole est membre fondateur de l’Ecole d’Economie de Toulouse (TSE) et de l’Institute for Advanced Study in Toulouse (IAST), professeur invité au MIT et membre de l’Académie des Sciences morales et politiques. Médaille d’or du CNRS (2007), il a reçu le prix Nobel d’économie en 2014.