La signature des Accords de Paris en 2015, en consacrant l’objectif de la neutralité carbone à l’horizon 2050, a donné un élan et de la perspective aux politiques climatiques. L’Union européenne, reconnue mondialement comme pionnière en la matière, s’est pleinement saisie de cet objectif ambitieux en le déclinant concrètement dans sa réglementation environnementale. Les Etats, à leur tour, se sont fait l’écho de cette ambition européenne. En France, dans le cadre de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), d’ici 2030, les émissions industrielles devraient être réduites de 45% par rapport à leur niveau de 2015 d’après la mise à jour de la SNBC (dite SNBC3), attendue d’ici 2024. Cela implique de tripler le rythme annuel de décarbonation des entreprises industrielles par rapport à la moyenne des 30 dernières années.
Les 38 entreprises interrogées au cours de l’enquête réalisée par Ahmed Diop et David Lolo en étroite collaboration avec KPGM et avec l’aide de l’Institut de l’entreprise et de France industrie, montrent que celles-ci ont un plan de transition énergétique. Cependant, alors que 57% des entreprises industrielles interrogées affectent des objectifs de moyen terme compatibles avec la SNBC2 actuelle, la part tombe à 39% si ces objectifs sont comparés au projet de la SNBC3 attendu en 2024. A ce jour, les entreprises privilégient les leviers historiques et maîtrisés de l’efficacité énergétique (éclairage, chauffage, machines moins énergivores, rendement des équipements et des installations), mais l’accélération de la décarbonation de l’industrie ne saurait faire l’économie de chantiers plus ambitieux, comme l’électrification des machines ou la réduction des émissions de procédés. Comme le fait observer Pierre-André de Chalendar, Président de l’Institut de l’entreprise et co-président de la Fabrique de l’industrie, dans sa préface à l’ouvrage , « les investissements massifs dans les procédés de production sont encore à venir mais, comme les entreprises ne manquent pas de le souligner, ceux-ci constituent un défi financier, technologique et organisationnel colossal.
Ce contraste entre les fortes ambitions de la Stratégie nationale bas carbone et le passage à l’acte prudent des entreprises pose la question du soutien public nécessaire pour appuyer les plans d’investissement des entreprises et accélérer en amont la maturation et l’industrialisation de solutions technologiques à fort potentiel environnemental (financement d’énergies renouvelables, déploiement d’infrastructures de transport de CO2…). C’est dire aussi qu’à terme la réduction de l’empreinte carbone réclame une plus grande collaboration de l’Union européenne et des Etats tiers, pour impliquer l’ensemble des agents de la chaîne de valeur, des fournisseurs internationaux de matières premières aux consommateurs finaux en passant par les prestataires logistiques. Cette stratégie pourrait ouvrir la voie à une plus grande maîtrise de la chaîne de valeur, voire à la relocalisation d’activités sur le territoire européen. Une telle démarche irait de pair avec les ambitions affichées de réindustrialisation et de souveraineté, aussi bien en Europe qu’en France. Elle n’est cependant pas placée en tête des priorités actuelles des grandes entreprises lorsqu’elles préparent leur décarbonation.