La persistance des stéréotypes entretient les inégalités professionnelles femmes-hommes

The Conversation (mars 2023)

 

En France et, plus généralement dans l’UE, on constate toujours des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes (taux d’activité, type de métiers, salaires, accès aux responsabilités…). Les efforts législatifs ne sont pas suffisants pour endiguer ce phénomène qui est directement lié aux stéréotypes. Selon Clotilde Coron, un des facteurs pouvant améliorer les choses est la modification des politiques internes des entreprises.

 

Mots-clés : inégalités professionnelles, genre, stéréotypes

Le constat d’inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes n’est pas nouveau : par exemple, le taux d’activité chez les 15-64 ans est de 68,5 % chez les femmes et de 78,7 % chez les hommes en 2021 dans l’Union européenne (UE). Les métiers occupés par les hommes et les femmes sont également différents (le service à la personne et le secrétariat sont très féminisés tandis que les métiers du bâtiment sont très masculinisés par exemple). L’accès aux responsabilités au sein des entreprises (postes de managers, de cadres, etc.) est bien plus faible pour les femmes. Tout cela est accompagné d’un écart de salaire brut moyen de 20 % en France en 2019 (d’après l’INSEE).

Pour résoudre ce problème, plusieurs lois ont été promulguées en France depuis 1983, en particulier sur l’égalité professionnelle et salariale, et sur la mixité des conseils d’administration et des instances de direction. Un index d’égalité professionnelle a également été mis en place. Cependant cela n’est pas encore suffisant, ce qui peut s’expliquer en partie par la persistance des stéréotypes de genre, notamment mise en lumière par un rapport sur l’état du sexisme en France publié en janvier 2023 par le Haut Conseil à l’Égalité. On peut y lire par exemple que 20 % des femmes et 35 % des hommes pensent que les hommes ont naturellement plus le sens de l’orientation que les femmes, ou que 13 % des femmes et 34 % des hommes pensent que « les poupées c’est pour les filles et les camions pour les garçons ». Les français véhiculent pourtant moins de stéréotypes de genre que leurs homologues européens. Dans l’UE, 38,5 % des femmes et hommes pensent que « quand une mère a un emploi, les enfants en souffrent », et 34,9 % que « le travail d’un homme, c’est de gagner de l’argent, celui d’une femme de s’occuper de la maison et de la famille ».

On peut classer les stéréotypes de genre selon quatre dimensions :

  • Les compétences : « Les hommes sont plus compétents dans certains domaines. »
  • Le rôle de la mère : « Les enfants risquent de souffrir si leur mère travaille. »
  • L’essentialisme : « Certains souhaits sont spécifiquement intrinsèques aux femmes : fonder un foyer par exemple. »
  • La justification des inégalités : « Les inégalités entre les femmes et les hommes sont parfois justifiées. »

Ainsi, un individu peut avoir une vision traditionnelle, opposée à une vision égalitaire, dans certaines des dimensions précédentes mais pas dans les autres.

Les stéréotypes ont une influence sur les comportements. Tout d’abord, d’un point de vue individuel, il est pertinent de considérer la notion de « menace du stéréotype ». L’anxiété ressentie par les femmes liée à la peur d’être évaluées de façon négative peut dégrader leurs performances. Les rôles traditionnellement confiés aux femmes jouent aussi un rôle. En 2019, dans l’UE, 29 % des femmes à temps partiel le sont pour s’occuper d’enfants ou d’adultes, contre 6 % des hommes. Pour suivre une formation, ce sont 6 % des femmes contre 16 % des hommes qui le sont. Cela contribue aux inégalités salariales.

Les stéréotypes ont également une influence sur les décisions prises au sein des entreprises (promotions par exemple). Les femmes sont vues comme moins proches de la sphère professionnelle que les hommes (plus grande attention aux enfants, moins d’importance attachée aux revenus du travail, voire moindres compétences professionnelles), ce qui fait que leurs compétences peuvent être sous-évaluées. De plus, les mêmes comportements ne sont pas perçus de la même manière chez les femmes et les hommes : adopter une attitude de « leader » est évalué moins favorablement chez une femme.

Les stéréotypes existent également au niveau national ou institutionnel. Par exemple, dans la très grande majorité des pays, le congé de maternité est beaucoup plus long que le congé de paternité, ce qui engendre des inégalités de partage des tâches domestiques qui se perpétuent, même quand les femmes reprennent le travail.

Les stéréotypes et les inégalités contribuent au maintien l’un de l’autre. Par exemple, la faible présence des femmes dans les filières scientifiques et techniques peut renforcer le stéréotype selon lequel les femmes sont moins douées ou intéressées par ces filières.

Les inégalités trouvent aussi leur source dans la culture et dans les représentations et ne sont pas du seul ressort des entreprises mais ces dernières peuvent néanmoins agir pour les contrer.

Certaines pratiques de gestion des ressources humaines contribuent aux inégalités, en les reproduisant voire en les accentuant. Par exemple, la place centrale accordée à l’évaluation d’un individu par un autre individu augmente le risque de discrimination directe ; des critères tels que la mobilité obligatoire pénalisent les femmes qui ont des charges familiales. Mieux vaut alors privilégier d’autres pratiques : standardisation des critères, collégialité, etc. et mettre en cause certains critères implicites de carrière (disponibilité extensive notamment) et certains fonctionnements informels (réseaux informels, cooptation, etc.).

La lutte contre les stéréotypes est donc nécessaire pour atteindre l’égalité professionnelle. Pour cela, il est nécessaire de former, sensibiliser et créer de nouvelles représentations plus égalitaires.

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