Sujet : La finance verte est-elle une solution pour assurer un développement durable ?
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En janvier 2017, l’Agence France Trésor, administration qui gère la dette et la trésorerie de l'État, a lancé sa première obligation souveraine verte pour un montant de 7 milliards d’euros. La France affiche ainsi sa volonté de mettre en œuvre l’accord de Paris sur le Climat (2015), traité international qui vise à contraindre les États signataires à atténuer et à s'adapter au changement climatique, notamment via leur financement.
D’une manière générale, la finance verte peut être définie comme l’ensemble des opérations financières favorisant la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique. La finance verte entre dans le champ plus large, celui de la finance responsable. Il s’agit de faire en sorte que les investisseurs orientent leurs fonds vers des entreprises et des projets qui développent des produits et services en faveur de la transition énergétique et, plus largement, du développement durable.
Selon le Rapport Brundtland, Notre avenir à tous (1987) rédigé sous la direction l’ancienne première ministre norvégienne Gro Harlem Brundtland par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l'Organisation des Nations unies, le développement durable (sustainable development) est « un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. » Le développement durable veut concilier le développement économique, la justice sociale et la préservation de l’environnement. Pour cela, il met ainsi l’accent sur les « besoins » des populations, notamment des plus démunis, et la capacité des sociétés à répondre aux besoins des prochaines générations.
Pour atténuer le changement climatique et ses effets néfastes, il faut réorienter les politiques publiques et les investissements privés pour satisfaire les besoins présents, notamment en matière de transport, de logement, d’énergie, etc. Cette réorientation souligne le rôle central du secteur financier puisque la réalisation de tels objectifs suppose la mise à contribution des marchés financiers, des banques et des compagnies d’assurance. Le secteur financier, par les projets qu’il finance et les incitations qu’il met en place, est donc au cœur des réflexions sur le bien-être des générations futures.
Si la finance verte apparaît à première vue comme une panacée pour assurer le développement durable, elle ne peut échapper aux interrogations sur ses réelles possibilités à mobiliser les acteurs, les institutions, les pratiques de la finance au service de nouveaux objectifs environnementaux (réduction des émissions de gaz à effet de serre, préservation de la biodiversité et des ressources naturelles, efficacité énergétique, etc.) et, surtout, à modifier ses finalités.
Les logiques de la finance et l’horizon temporel des acteurs correspond t-il à la nature de long terme des projets d'investissement vert ?
Pour ses défenseurs, il faut tirer parti du pouvoir écologique de la finance qui permet d’orienter l’épargne vers les projets permettant la transition écologique (I). Toutefois, les détracteurs de la finance verte rappellent que la finance est d’abord au service de la rentabilité du capital, celle-ci s’oppose à la dévalorisation brutale des actifs non verts et, plus radicalement, loin de permettre un miracle, la finance verte ne serait qu’un mirage (II). Toutefois, la finance verte se développe en France et dans le monde et permet le financement de nouveaux projets, dans les économies avancées comme dans les pays en développement, qui répondent à une demande d’une meilleure soutenabilité de la croissance (III).
I - LE POUVOIR ECOLOGIQUE DE LA FINANCE
Les outils de la finance vertes se développent (A) et permettent de réorienter les investissements vers des projets respectueux de l’environnement et des générations futures (B).
A. Des instruments financiers et des indicateurs au service de la transition écologique
1. Les outils de financement de la transition : obligations vertes (green bonds) et crédits verts (green loans), etc.
2. La performance environnementale : de nouveaux indicateurs pour les gestionnaires de portefeuille. La finance verte est l’enjeux du financement de l'économie de demain (cf. Philippe Zaouati, 2018, La finance verte commence à Paris).
B. Réorienter durablement et efficacement la finance publique et privée vers des modèles plus protecteurs de l’environnement.
1. Les obligations souveraines vertes visent à orienter les dépenses de l’État vers les projets permettant la lutte contre le changement climatique, la protection de la biodiversité et la lutte contre la pollution.
2. Le « verdissement » de la finance privée par la mise à contribution des marchés financiers, des banques et des compagnies d’assurance pour réorienter les flux financiers vers des activités économiques bénéfiques ou moins nuisibles pour l’environnement.
La finance verte serait donc une stratégie « gagnant-gagnant» qui permet d’explorer de nouveaux marchés rentables pour les acteurs de la finance et bénéfiques pour l’environnement.
II UNE DOUBLE CRITIQUE DE LA FINANCE VERTE
La finance serait incompatible avec la dévalorisation des actifs fossiles au cœur de la transition écologique (A) et, plus radicalement, l’expression « finance verte » est un oxymore, car la finance permettant un développement durable est une « illusion » (B).
A. Les questions des actifs fossiles sur les marchés financiers et dans les bilans des intermédiaires financiers
1. Le problème de la (dé)valorisation des actifs fossiles dans les fonds propres des banques et des compagnies d’assurance (cf. Oxfam France, 2020, Banques : des engagements climat à prendre au 4ème degré).
2. Les actifs fossiles, les nouveaux subprimes ? (Gaël Giraud)
B. « L'illusion de la finance verte »
1. La finance verte a un fonctionnement interne identique à celui de la finance traditionnelle voire elle permet une soumission des enjeux environnementaux aux logiques marchandes et aux intérêts financiers.
De plus, il existe une « tragédie de l'horizon » (Mark Carney) puisque les risques collectifs catastrophiques liés aux changements climatiques sont susceptibles de se manifester bien au-delà de l'horizon des décideurs économiques et politiques actuels.
2. Au-delà des défis macroéconomiques (internalisation des externalités environnementales, asymétrie de l’information entre investisseurs et bénéficiaires, horizon temporel à court terme des épargnants et des investisseurs, etc.), il apparaît que l’objectif de maximiser le rendement des investissements est incompatible avec le respect des enjeux climatiques (Alain Grandjean et Julien Lefournier, 2020, L'illusion de la finance verte).
La finance consiste à mettre en relation les agents à besoin et à capacité de financement. La rentabilité du capital étant au cœur de ses préoccupations elle ne peut répondre aux objectifs de développement durable.
III – FINANCER NOUVEAUX PROJETS QUI ASSURENT UN DÉVELOPPEMENT DURABLE DANS LES ÉCONOMIES DEVELOPPÉS ET EN DÉVELOPPEMENT
Les études de Novethic et de l’ADEME soulignent que les fonds verts en Europe représentent moins de 2% des encours de la gestion d’actifs européenne. Néanmoins, l’offre de fonds à dimension environnementale continue son déploiement progressif (A) et répond à une demande croissante des investisseurs publics et privés (B).
A. Développer l’offre de produits financiers à vocation environnementale
1. La finance verte connaît un essor considérable depuis la COP21 et l’Accord de Paris (Julie Ansidei, Noam Leandri, La finance verte, 2021). La hausse des offres de fonds verts en Europe et le verdissement de produits financiers s'accompagnent d'une diversification de l'offre.
2. Les réglementations sur les produits de la finance verte se développent tant en France (ct. loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, LTECV, qui oblige les entreprises cotées en bourse à rendre compte de leur empreinte écologique et des actions menées pour la réduire), que dans Union européenne (cf. classification commune d’identification des actifs verts) voire à l’initiative du G20 (lignes directrices pour la publication des informations des entreprises).
B. Répondre à une demande croissante dans le monde
1. Les différents acteurs (émetteurs, investisseurs institutionnels, épargnants) des économies avancées veulent s’appuyer sur des critères transparents et sur une traçabilité permettant de labelliser ce qui est « vert » (refus de l’écoblanchiment) pour financer l’efficacité énergétique, la protection de la biodiversité, le transport propre, etc.
2. Les contraintes environnementales orientent les décisions des États, notamment dans la redéfinition de l’aide au développement (aide environnementale de l’Agence française de développement). La «finance verte» redéfinit les modes d’intervention des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux.
Bien qu’encore limitée, l’urgence climatique et la lutte contre la biodiversité se développement dans les projets de financement des acteurs publics et privés.
Conclusion
La finance verte permet d’orienter l’épargne vers les projets permettant la transition écologique. Elle apparaît alors au cœur du développement durable puisque les produits financiers et les comportements des acteurs semblent compatibles avec les projets d’investissements verts.
Néanmoins, le « verdissement » de la finance ne peut dissimuler les « mauvaises pratiques » comme l’écoblanchiment. Il ne peut occulter qu’il existe des « perdants », notamment les détenteurs d’actifs fossiles et, surtout, que les défis restent importants pour ajuster les logiques de la finance, souvent orientées vers le court terme, à celles du développement durable, qui suppose la prise en compte d’un temps long.
Néanmoins, l’ancien gouverneur de la banque d’Angleterre, Mark Carney, invitait les investisseurs à « briser la tragédie des horizons », c’est-à-dire à jeter un pont entre les intérêts de court terme de la finance et ceux à long terme du développement durable.
Dans ce cadre, l’essor des obligations vertes, souveraines ou d’entreprises et la hausse des fonds orientant l’épargne vers des projets à dimension environnementale doivent être soulignés. La finance verte est devenue un enjeu au cœur des stratégies des gestionnaires des fonds publics et des fonds privés qui interrogent les impacts sociaux et environnementaux de leurs activités, notamment de leur financement.
Les promesses de la finance verte, qui animent maintenant les conseils d’administration des firmes multinationales et ceux des institutions financières internationales, ne doivent cependant pas occulter qu’ils sont porteurs de deux types de crises : financières et environnementale…