Sujet : Vous montrerez que l’augmentation de la volatilité électorale est en partie due au processus d’affaiblissement du clivage gauche-droite.
Document 1
En 2000, les politologues Nonna Mayer, Daniel Boy et Marc Swyngedouw prennent le relais en comparant, cette fois, les législatives de 1993, la présidentielle de 1995 et les législatives de 1997. Ils constatent que les transferts gauche-droite sont plutôt rares – environ 10 % des électeurs –, mais que beaucoup d’électeurs hésitent entre le vote et l’abstention, voire entre deux partis issus de leur camp : 49,9 % des électeurs modifient leur choix entre 1993 et 1995, 47,5 % entre 1995 et 1997. « La mobilité électorale n’a rien d’exceptionnel, concluent-ils. À deux ans d’intervalle, pour les deux paires d’élections étudiées, près de la moitié des électeurs inscrits a modifié son vote. »
Une dizaine d’années plus tard, l’enquête « Présidoscopie 2012 » montre que la moitié des électeurs a changé d’avis pendant la campagne présidentielle. « La fidélité partisane n’est plus ce qu’elle était », résume alors le directeur de la Fondation Jean-Jaurès, Gilles Finchelstein. « En amont du vote, il y a de plus en plus d’itinérances qui contribuent à fragiliser le vote, confirme Pascal Perrineau, professeur à Sciences Po Paris. Il est de moins en moins investi, de plus en plus fragile, de plus en plus réversible. » Avec des taux d’indécision très élevés, la campagne électorale de 2017 suit le même chemin.
Si le nomadisme électoral est de plus en plus répandu, est-il pour autant une forme de trahison, de légèreté, de confusion ou d’immaturité ? Pas forcément. Pour nombre de politologues, cette fluidité est un signe de liberté : l’électeur discipliné d’hier a fait place, selon eux, à un électeur éclairé.
« La mobilité électorale signe l’avènement d’un électeur éduqué et surtout autonome, estime Gérard Grunberg, directeur de recherche émérite CNRS au Centre d’études européennes de Sciences Po. Il est né après l’effondrement des grandes institutions partisanes et religieuses qui encadraient les citoyens de la naissance à la mort, comme les mouvements de jeunesse catholiques ou le Parti communiste. L’électeur d’aujourd’hui est plus informé, plus critique et plus exigeant que ses aînés. »
Source : Anne Chemin, Abstention, indécision. Comment expliquer la volatilité grandissante des électeurs ? Lemonde.fr, 31 mars 2017
Document 2 : Résultats de l’élection européenne de mai 2019 en France
La fragmentation de l’offre politique
Voir la correction
Sujet : Vous montrerez que l’augmentation de la volatilité électorale est en partie due au processus d’affaiblissement du clivage gauche-droite.
La volatilité électorale correspond à la baisse de loyauté des électeurs à l’égard des partis politiques, à une hésitation et une prise de distance qui prennent principalement deux formes, celle du passage du vote actif à l’abstention (vote intermittent) et celle du changement de préférences partisanes.
Le clivage gauche-droite renvoie à une opposition profonde entre deux « visions du monde » héritée d’un épisode de la Révolution française, lorsqu’en 1791 louis XVI faisait face à deux composantes antagonistes de l’assemblée constituante, les partisans conservateurs de l’Ancien régime et les défenseurs d’une démocratie républicaine. Cette opposition s’est pérennisée depuis au fil des siècles et des régimes, opposant dans la République une culture politique de gauche (valeurs associées à la justice sociale, l’égalité économique, le libéralisme culturel) et une culture politique de droite (ordre social et efficacité économique), se traduisant clairement en préférences partisanes jusqu’à la fin des années 1980.
Aujourd’hui, cette corrélation est de moins en moins établie, du fait des hésitations grandissantes des électeurs. Nous analyserons ce phénomène successivement sous l’angle d’un recul sociétal du clivage gauche-droite, d’une modification de la structure de l’offre électorale et de l’adaptation des électeurs à ces mutations.
Le recul sociétal du clivage gauche-droite
Le recul des idéologies collectives
- La décennie des année 1980 a été le théâtre d’une transformation profonde des sociétés capitalistes et démocratiques : la fin des « Grands récits » (Jean-François Lyotard), c’est-à-dire des grandes idéologies collectives, ouvre la voie à des sociétés post-modernes (déhiérarchisées et fondées sur la circulation de la connaissance).
- C’est dans ce contexte intellectuel, en phase avec la montée en puissance du néolibéralisme économique, que s’impose la thématique de la fin de l’Histoire (Francis Fukuyama) et de la victoire présentée comme définitive depuis la chute du mur de Berlin de la globalisation capitaliste. Dès lors, la référence au clivage gauche-droite apparaît peu à peu comme obsolète. On entre dans un « nouveau monde »…
Les mutations sociétales des sociétés post-industrielles
- On nomme ainsi le stade de développement des sociétés capitalistes démocratiques caractérisé par une tertiarisation poussée de la production, des emplois et des modes de vie ;
- ce processus de fond s’accompagne d’un déclin des institutions partisanes, syndicales et religieuses, d’une fragmentation de la population moins affiliée à des groupes sociaux traditionnels et d’une moindre pertinence de la lutte des classes qui constituait l’un des ressorts du clivage gauche-droite.
Le recul du clivage gauche-droite dans l’offre électorale
Le déclin des partis traditionnels et la montée des populismes
- face à la complexification des politiques publiques et à la perception de risques inédits liés à de nouveaux enjeux (accroissement des inégalités économiques, déclassement, pression migratoire, impact « disruptif » du progrès technique), l’offre politique se fragmente (34 listes en France lors de l’élection européenne de 2019, Doc.2) et les partis traditionnels liés au clivage gauche-droite sont concurrencés par ceux portant des programmes populistes.
- Les résultats aux élections nationales et européennes de ces partis traditionnels s’érodent de plus en plus, comme leurs nombres d’adhérents.
La substitution de nouveaux clivages au traditionnel clivage gauche-droite
- Le clivage ouverture/ fermeture face aux dangers inhérents à la mondialisation ou encore celui opposant développement durable/ productivisme fragmentent les partis politiques.
- Simultanément, une convergence des valeurs (la gauche s’ouvre au libéralisme économique depuis la « troisième voie » de Tony Blair et Gerhard Schröder dans les années 1990 ; la droite s’ouvre au libéralisme politique et culturel) rend la distinction idéologique moins pertinente pour les électeurs.
La construction de nouvelles alliances électorales
- Dans l’Europe d’avant les élections de mai 2019, on comptait pas moins de 11 « grosses coalitions » au pouvoir, associant parfois des partis politiques idéologiquement éloignés.
- Trois types de logiques peuvent mobilisées, augmentant la fragmentation de l’offre politique au niveau européen : la recherche d’un consensus, la résistance à une crise ou la logique atypique et émotionnelle de « tous contre… » (par exemple Jean-Claude Junker au Luxembourg).
- L’émergence de l’idée d’un Centre (initiée par VGE dans les années 1970), revisitée dans une version « de gauche et de droite » contre les populismes par Emmanuel Macron.
La volatilité électorale comme adaptation des électeurs aux mutations de l’offre politique
Le constat du déclin de l’identification partisane
- La volatilité électorale prend plusieurs formes et augmente. Depuis l’élection présidentielle de 2012, plus de 50% des électeurs ont changé d’avis pendant la campagne. Au cours des quatre derniers scrutins nationaux, la part du vote intermittent est passée de 40% à 50% et en longue période, note le politiste Georges Lavau, les 2/3 des électeurs ont changé de préférences partisanes.
Au final, on observe façon synthétique une augmentation de l’indice de volatilité. Mais les travaux menés depuis 30 ans par Gérard Grunberg ont montré que si l’instabilité concerne un électeur sur deux elle se traduit essentiellement par l’hésitation entre participation et l’abstention, alors que l’ensemble des transferts entre la gauche et la droite ne concerne qu’environ 5% des électeurs inscrits.
- Par exemple, traditionnellement ancré à Gauche, le vote ouvrier d’une part bascule majoritairement à droite partir des élections nationales de 1995, mais surtout apparaît aujourd’hui extrêmement fragmenté.
Les causes d’une moindre identification partisane
- la montée de l’individualisme et le déclin des appartenances collectives expliquent largement la fragmentation de l’électorat.
- la montée en puissance de « l’électeur stratège » qui, dégagé des déterminismes sociaux du vote et à distance de l’affiliation partisane, est capable d’un « vote sur enjeux » qui met à mal le clivage gauche-droite (doc.1).
- Il est de plus en plus en mesure de mettre en cohérence la volatilité de ses choix ; ainsi, les électeurs du centre gauche qui ont quitté le PS pour rejoindre En Marche! n’ont pas eu le sentiment d’être inconstants, mais au contraire de se rapprocher de leurs convictions en restant fidèles au libéralisme culturel et à l’engagement européen du PS tout en exprimant un désaccord sur ses positions économiques et sociales. Ainsi s’explique le « paradoxe français », d’un autopositionnement à gauche ou à droite qui reste majoritaire (en valeurs) et d’un rejet du clivage droite-gauche de l’offre politique jugé obsolète.