Doc.1 l’adaptation stratégique des citoyens aux modifications de l’offre politique
Quand on les interroge, les électeurs donnent d’ailleurs du sens à leur mobilité. « Les électeurs sont de plus en plus éduqués, ils réfléchissent à leurs choix et ils ne sont pas totalement déboussolés : ils ont une cohérence idéologique, même si les fidélités partisanes ne sont pas au rendez-vous, constate le politologue Bruno Cautrès. Un électeur socialiste qui décide de voter pour Christiane Taubira au premier tour de la présidentielle de 2002 manifeste son mécontentement à l’égard du gouvernement de Lionel Jospin tout en continuant à affirmer ses convictions de gauche. Le vote n’est pas un jeu de hasard : c’est un geste anthropologique qui exprime les valeurs que l’on porte et les places que l’on occupe dans la société. » (…)
Si cette recomposition est aujourd’hui aussi puissante, ce n’est pas seulement parce que les électeurs ont changé : c’est aussi parce que le paysage politique s’est profondément transformé. Lorsqu’un parti disparaît, lorsque les alliances se déplacent, lorsque le clivage droite-gauche perd de sa pertinence, l’électeur n’a guère le choix : il lui faut épouser les nouveaux contours de la vie politique en se déplaçant, lui aussi, sur l’échiquier. L’instabilité, estime Gérard Grunberg, n’est donc pas seulement le fait du citoyen : elle relève, « au moins partiellement, de son adaptation stratégique aux modifications de l’offre politique ».
Dans ce domaine, la France fait preuve, depuis trente ans, d’une imagination très fertile. « Nous assistons à de vastes mouvements de fond du paysage politique, poursuit Gérard Grunberg. Ce fut d’abord, dans les années 1980, l’agonie du Parti communiste, qui a pourtant représenté, à la fin des années 1970, le quart de l’électorat. Ce fut ensuite, à partir du milieu des années 1990, la montée du Front national. Et c’est aujourd’hui la crise entre les deux gauches “irréconciliables”, selon le mot de Manuel Valls. Ces secousses créent un mouvement brownien, un “désalignement” pour reprendre le terme du chercheur Pierre Martin, qui accentue les phénomènes de mobilité.
Source : Anne Chemin, Abstention, indécision. Comment expliquer la volatilité grandissante des électeurs ?, Le Monde, 30 mars 2017
Doc.2 Ampleur et caractéristiques de l’attitude populiste chez les électeurs français
Doc.3 Distribution de l’attitude populiste dans l’électorat de 2017
Questions
1. Montrez que la volatilité électorale peut être en partie analysée comme l’adaptation stratégique des citoyens aux modifications de l’offre politique.
2. Montrez que le populisme est une composante importante de la modification de l’offre politique, et que cette attitude se distribue différemment dans l’électorat.
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Montrez que la volatilité électorale peut être en partie analysée comme l’adaptation stratégique des citoyens aux modifications de l’offre politique.
Les modifications de l’offre politique sont structurelles et peuvent apparaître sous des traits spécifiques selon l’élection. En France, on a plusieurs tendances concomitantes :
- une fragmentation accrue de la vie politique, visible notamment à travers l’explosion du nombre de listes et de candidatures aux élections nationales et européennes.
- une fragmentation et un déclin des grands partis républicains représentant respectivement la Gauche et la Droite.
- la montée en puissance de l’offre politique populiste (Rassemblement National, La France Insoumise, Debout la France…) caractérisant des partis se revendiquant « hors système », exposant une vision souvent simplifiée d’enjeux complexes, et semblant non seulement partager le rejet de la classe et des élites politiques exprimé par des franges populaires et défavorisées de la population, mais également trouver les mots pour y faire écho.
- la montée en puissance du parti EELV issu de la Gauche, qui s’autonomise à travers une offre politique perçue comme de plus en plus adéquate à la montée des périls environnementaux.
- L’accès au pouvoir d’un parti centriste, libéral et pro-européen (LREM) se réclamant d’un dépassement du clivage multiséculaire Gauche-Droite, et qui a su instaurer une hégémonie sur la vie parlementaire, sur la base d’une improbable position de « vainqueur de Condorcet » acquise au printemps 2017 lors de l’élection présidentielle.
- Il en résulte que l’offre politique est à la fois fragmentée, mais paradoxalement stabilisée par l’institution centrale de la V° République, le scrutin majoritaire uninominal à deux tours, qui permet à une majorité présidentielle de maintenir une position forte sur la base d’un nouveau clivage idéologique : l’opposition entre l’ouverture à une globalisation multilatérale et la posture nationaliste.
Face à ces modifications structurelles, certains politistes insistent sur une double capacité de cohérence idéologique et stratégique d’un grand nombre d’électeurs. Ainsi, pour Bruno Cautrès les différentes modalités de la volatilité électorale traduisent bien un vote entier, un «geste anthropologique qui exprime les valeurs que l’on porte et les places que l’on occupe dans la société. Pour Gérard Grunberg, le déplacement des choix électoraux des français garde une cohérence : il ne fait que s’adapter à la nouvelle donne d’un déclin du clivage Gauche-Droit et l’émergence de nouvelles alliances (doc. 1).
Montrez que le populisme est une composante importante de la modification de l’offre politique, et que cette attitude se distribue différemment dans l’électorat.
Le populisme, défini dans la réponse à la question précédente (deuxième caractéristique des modifications de l’offre politique), constitue tout à la fois une offre et une demande politiques : le vote permet l’expression d’un questionnement indigné sur les contraintes et injustices perçues comme accrues dans le contexte d’un capitalisme globalisé créateur d’externalités négatives et sur le rôle joué par les élites politiques.
L’offre populiste va émaner de partis et leaders classés à l’extrême gauche (LFI) ou à l’extrême droite (RN) sur l’échiquier politique.
Du côté de la demande, les enquêtes mobilisées dans l’analyse du politiste Gilles Ivaldi livrent trois enseignements :
- une proportion importante des électeurs français est susceptible d’adhérer au discours des partis populistes.
- Les présupposés populistes les plus largement partagés par les français sont respectivement que les hommes politiques doivent suivre la volonté du peuple ; que les différences entre citoyens ordinaires et élites sont plus grandes qu’entre les citoyens ; que les hommes politique parlent trop et n’agissent pas assez (doc. 2).
- La distribution de l’attitude populiste au sein des électorats des différents candidats à l’élection présidentielle de 2017 est inégale. L’électorat du vainqueur de la Présidentielle face à Marine Le Pen est celui qui a le moins de dispositions populistes, suivi par ceux des deux candidats représentants les partis de gauche (Benoît Hamon) et de droite (François Fillon) classiques. Logiquement, on trouve une plus forte adéquation entre les présupposés des électorats du RN, de LFI et de DLF et leurs offres politiques respectives (doc.3).