Un individu est rationnellement amené à acquérir le titre à un prix supérieur à sa valeur fondamentale dès lors qu’il pense que d’autres sont prêts à l’acquérir à un prix encore supérieur dans le futur. Cela ne suppose nullement que ces autres soient irrationnels mais qu’eux-mêmes pensent qu’ils trouveront d’autres encore à qui vendre le titre avant la fin du jeu à un prix supérieur. On reconnaît dans cette logique d’interactions la logique de ces jeux de société du type chaises musicales où il s’agit de ne pas être le dernier. […] On pourrait faire valoir que lorsque le prix a beaucoup augmenté, il devient plus difficile pour chacun de croire que d’autres vont racheter le titre à un prix encore plus élevé puisqu’on est déjà très loin de la valeur fondamentale. Notons que cela n’est pas nécessairement exact. Si, en effet, l’écart grandissant entre le prix réalisé et la valeur fondamentale accroît le risque d’un achat, simultanément, le fait d’avoir déjà atteint une valeur élevée prouve à l’acheteur potentiel que le groupe est prêt à s’éloigner fortement de la valeur fondamentale. […] Lorsque chacun prend conscience du danger et cherche à vendre, on assiste à la chute brutale du prix.
Sur un marché financier, chacun se détermine, non pas à partir de son estimation de la valeur fondamentale, mais à partir de ce qu’il pense que les autres vont faire. C’est l’anticipation de l’évolution des cours qui détermine l’action des investisseurs. […] Il découle de cette analyse que le prix qui se forme sur un marché n’a aucune raison d’être un bon estimateur de la valeur fondamentale comme le défend la théorie orthodoxe de l’efficience,
[…] il est, selon nous, dans la nature de la logique financière de produire de tels écarts, ce qui permet de comprendre pourquoi l’on observe la répétition systématique de ces épisodes tout au long de l’histoire financière.
Source : André Orléan, Les marchés financiers sont-ils rationnels ? Revue Reflets et perspectives de la vie économique, 2004