Cette réalité, dynamique et adaptative, a guidé le travail de recherche d’Elinor Ostrom (1933-2012), professeure de science politique à l’Université d’Indiana (États-Unis) et lauréate en 2009 du prix de la banque de Suède en sciences économiques (le « prix Nobel » d’économie). Depuis la soutenance de sa thèse en 1965 sur l’approvisionnement en eau de plusieurs collectivités locales du Sud de la Californie, elle a mis en évidence les stratégies déployées par des communautés d’usagers pour assurer la pérennité de ressources dites « rivales » – chaque unité consommée par un usager diminue d’autant le stock disponible pour tous les autres – mais« non exclusives » – il est difficile, voire impossible, d’en interdire l’accès. Constatant que des systèmes coopératifs de gestion des ressources naturelles continuent, malgré leur marginalisation par les théories dominantes, de perdurer à travers le monde, elle a cherché, avec l’Atelier de théorie et d’analyse des politiques fondé en 1973 à Bloomington (Indiana, États-Unis), à identifier ce qui fait la robustesse de ces systèmes. Isolant les grands critères permettant de pérenniser la gestion coopérative d’une ressource, Elinor Ostrom a su démontrer que des biens communs de petite et moyenne dimension – des pâturages, des zones de pêche, des systèmes d’irrigation, des massifs forestiers, mais aussi des biens communs immatériels sans périmètre, comme la connaissance – peuvent échapper à leur destin tragique à la condition que ceux qui sont directement concernés par leur utilisation puissent mettre au point des mécanismes institutionnels pour les gérer
L’« école de Bloomington », qui réunit lors de sa création des économistes et des chercheurs en science politique, fait ensuite appel à des juristes, à des anthropologues et à des spécialistes des sciences cognitives. En combinant plusieurs approches méthodologiques – études de terrain, méta-analyses et recherche expérimentale en laboratoire –, cet atelier pluridisciplinaire a pu vérifier de manière répétée que la communication, considérée jusque-là par la théorie des jeux comme du « bavardage » (cheap talk) n’ayant pas d’impact sur l’issue du jeu, permet en réalité de réguler les comportements et de créer ou de renforcer la confiance. La dimension d’apprentissage social que revêtent dès lors ces processus de communication permet, dans certaines conditions, d’éviter la surexploitation des ressources. En 1998, une photo satellite des zones pastorales situées aux confins de la Chine, de la Russie et de la Mongolie a permis d’observer que les tribus nomades qui, côté mongol, géraient le territoire avec des systèmes de propriété collective, rencontraient moins de problèmes de surpâturage que les exploitations situées en Chine, où elles ont été tour à tour nationalisées puis privatisées, ou encore côté russe, où elles étaient encore sous contrôle étatique.
Cette découverte bouleverse profondément la vision dominante qui assène des solutions fondées sur la perception d’un individu rationnel et égoïste, tourné vers la seule satisfaction de ses désirs individuels. Des travaux de science cognitive datant des années 1990 appuient cette nouvelle perspective, en affirmant que nous sommes aussi et surtout des êtres doués d’empathie pour nos semblables.
Source : Agnès Sinaï, Penser la décroissance. Presses de Sciences Po, « Nouveaux Débats », 2013
Questions :
18 ) Pourquoi peut-on dire que la « tragédie des communs » est fondée sur la « perception d’un individu rationnel et égoïste » ?
19 ) Qu’ont montré les travaux d’Elinor Ostrom sur la gestion des biens communs ?
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18 ) Pourquoi peut-on dire que la « tragédie des communs » est fondée sur la « perception d’un individu rationnel et égoïste » ?
La « tragédie des communs », telle qu’elle est formalisée par le biologiste Garett Hardin se base sur l’idée selon laquelle les caractéristiques des biens communs (non-excluabilité et rivalité) conduisent à leur surexploitation. Cette surexploitation est motivée, selon Hardin, par le fait que chaque individu perçoit qu’il a intérêt à exploiter au plus les biens communs, de crainte que d’autres ne le fassent avant lui. Ce modèle est tout à fait logique si on suppose que l’agent raisonne sur la base de son seul intérêt individuel. Il l’est moins à partir du moment où on raisonne avec un individu intégré dans des groupes sociaux et politiques.
19 ) Qu’ont montré les travaux d’Elinor Ostrom sur la gestion des biens communs ?
Les travaux d’Elinor Ostrom, fondés sur des analyses de terrain et des expérimentations, ont remis en cause la tragédie des communs. Ils ont montré l’existence de « systèmes coopératifs de gestion des ressources naturelles », c’est-à-dire de systèmes collectifs de gestion des ressources.