Le fait que nous voulions à la fois l’égalité des places et l’égalité des chances ne nous dispense pas de choisir l’ordre de nos priorités. En effet, en termes pratiques, en termes de politiques sociales et de programmes politiques, on ne fait pas exactement la même chose selon que l’on choisit d’abord les places ou d’abord les chances. [….]. L’argument selon lequel on devrait tout faire dans l’idéal ne résiste pas aux impératifs de l’action politique devant fatalement choisir ce qui semble le plus important et le plus décisif. Nous pouvons désirer autant l’égalité des places que l’égalité des chances, mais si nous ne voulons pas nous payer de mots, nous sommes contraints de choisir la voie qui semble la plus juste et la plus efficace, nous sommes tenus de donner la priorité à l’une de ces deux conceptions de la justice.[…]
Si je défends la priorité de l’égalité des places, ce n’est donc pas pour dénier toute légitimité à la justice des chances et du mérite, mais c’est pour deux raisons essentielles.
La première tient au fait que l’égalité, invitant à resserrer la structure sociale, est « bonne » pour les individus et pour leur autonomie ; elle accroît la confiance et la cohésion sociale dans la mesure où les acteurs ne s’engagent pas dans une compétition continue, celle qui consiste à réussir et celle qui consiste aussi à exposer son statut de victime afin de bénéficier d’une politique spécifique. L’égalité des places, bien que toujours relative, crée un système de dettes et de droits conduisant à souligner ce que nous avons en commun plus que ce qui nous distingue et, en ce sens, elle renforce la solidarité. […] Bref, la plus grande égalité possible est bonne « en soi » tant qu’elle ne met pas en cause l’autonomie des individus et, plus encore, elle est désirable parce qu’elle renforce cette autonomie.
Le second argument en faveur de la priorité de l’égalité des places tient au fait qu’elle est sans doute la meilleure manière de réaliser l’égalité des chances. Si les chances sont définies comme la possibilité de circuler dans la structure sociale, d’en franchir les échelons, soit pour les monter, soit pour les descendre en fonction de son mérite et de sa valeur, il semble évident que cette fluidité est d’autant plus grande que la distance entre les places est resserrée, que ceux qui montent n’ont pas trop d’obstacles à franchir et que ceux qui descendent ne risquent pas de tout perdre.
« Égalité des places, égalité des chances », François Dubet, 2011
Questions :
1. Quelle est la forme du principe d’égalité qui doit être privilégiée par les pouvoirs publics selon l’auteur ? Rejette-t-il pour autant l’autre forme d’égalité possible ?
2. Retrouvez, dans le texte, les deux raisons avancées par l’auteur pour expliquer ce choix.
3. Dans quelle conception de la justice sociale s’inscrit ce choix ?
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1. Quelle est la forme du principe d’égalité qui doit être privilégiée par les pouvoirs publics selon l’auteur ? Rejette-t-il pour autant l’autre forme d’égalité possible ?
Selon François Dubet, il faut donner la priorité à l’égalité des places. L’égalité des chances ne doit pas être rejetée, mais la voie à privilégier en cas de nécessité de choisir est celle de l’égalité des places.
2. Retrouvez, dans le texte, les deux raisons avancées par l’auteur pour expliquer ce choix.
Première raison : l’égalité des places accroît la cohésion sociale, car les individus ne considèrent plus que leur position dans la société est le résultat de leur mérite individuel ou de l’existence éventuelle de discriminations ; la solidarité devient alors légitime.
Deuxième raison : l’égalité des places débouche sur plus d’égalité des chances, car le resserrement de la hiérarchie des positions sociales permet aux individus d’accéder plus facilement à une autre position que la leur.
3. Dans quelle conception de la justice sociale s’inscrit ce choix ?
Le fait de donner la priorité à l’égalité des places est un choix qui s’inscrit dans une conception égalitariste de la justice sociale : les positions socio-économiques doivent être resserrées pour permettre à la société d’être plus juste.