Document 9. Le « grand renversement » de la concurrence entre l’Union européenne et les États-Unis (terminale)

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Les États-Unis ont inventé la législation antitrust moderne à la fin du XIXème siècle. Ils ont dérèglementé́ bon nombre de leurs secteurs au début des années 1980 et défendent depuis les marchés libres, pour le plus grand bonheur des ménages américains. La doctrine états-unienne du marché libre s’est répandue à travers le monde, au point que, dans les années 1990, un large consensus international en faveur de la règlementation à l’américaine de la plupart des marchés s’était dégagé́ parmi les responsables politiques. L’Europe en particulier a adopté cette vision. Les États-Unis ont néanmoins conservé leur avance, d’autant qu’ils disposaient d’organismes de contrôle indépendants depuis longtemps. Étant donné la situation de départ, on se serait attendu à ce que les marchés états-uniens restent plus concurrentiels que les européens. C’est alors que quelque chose de totalement inattendu s’est produit. Vers l’an 2000, les taux de profit et les ratios de concentration se sont mis à grimper aux États-Unis alors qu’ils restaient stables ou diminuaient en Europe. La hausse des prix rapportés aux salaires est supérieure de 8 % aux États-Unis par rapport à en Europe, en dépit d’une croissance de la productivité́ similaire. Alors que les marchés états-uniens ont subi un affaiblissement continu de la concurrence, les Européens n’ont rien connu de tel. Aujourd’hui, bien des marchés européens semblent plus compétitifs que leurs homologues américains. Comment cela est-il arrivé ? Comment l’Europe, plus qu’une autre région, est-elle devenue la terre des marchés libres ? Tout au long de son histoire, le continent a souvent privilégié́ l’intervention de l’État au détriment de la concurrence privée. Qu’est-ce qui a pu changer en vingt ans pour persuader les Européennes et Européens d’embrasser le libéralisme ? Les responsables politiques d’Europe semblent avoir tenu compte de l’avertissement des économistes Alberto Alesina et Francesco Giavazzi en 2006 : « Si l’Europe veut enrayer son déclin [...], elle doit adopter des politiques qui se rapprochent du modèle du marché libre américain. » L’Union européenne a simplifié sa réglementation pour encourager l’entrée et la concurrence sur de nombreux marchés (…) Comparer la réglementation des marchés aux États-Unis et dans l’Union européenne s’avère éclairant. Si la mondialisation ou la technologie étaient la cause de l’affaiblissement de la lutte antitrust aux États-Unis, nous observerions des tendances similaires des deux cotés de l’Atlantique. Or, cela ne semble pas être le cas. L’Europe est restée active sur le plan de l’application des mesures antitrust. Martin Carree, Andrea Günster et Maarten Pieter Schinkel (2010) montrent qu’en Europe, 264 affaires d’antitrust, 284 fusions et 1 075 affaires d’aides d’État ont été examinées en moyenne chaque année de 2000 à 2004. La Commission européenne a pris plusieurs décisions controversées, comme le blocage de la fusion de General Electric et de Honeywell qui avait auparavant été approuvée par les autorités états-uniennes. Elle s’est aussi prononcées en défaveur de Google dans une affaire que les autorités états-uniennes avaient rejetée cinq ans plus tôt.

Source : © T. Philippon, Les gagnants de la concurrence, quand la France fait mieux que les États-Unis, Seuil, 2022. 

Question :

Expliquez pourquoi l’ouvrage de T. Philippon parle de « grand renversement » entre les États-Unis et l’Europe en matière de concurrence ?

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